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12 février 2014 3 12 /02 /février /2014 11:26

LA POLITIQUE

 

(12/14)

 

Louis Daménie, La Révolution, phénomène divin, mécanisme social, ou complot diabolique ? Les Cahiers de l'Ordre Français, 5e Cahier, 1968, pages 3-4, 11-13, 13-14, 15-16, 16-17, 17-18, 18, 19, 22, 23, 24-25, 27-29, 30-31 :

 

Michelet, romancier, prêtre et prophète de la Révolution

 

Le prêtre officiel d'une religion officielle.

 

" Je ne cesse d'être frappé de la persistance dans les esprits des idées fausses, des préjugés, du fatras de vieux clichés touchant la Révolution française. Persistance est peu dire car je crois que les nouvelles générations en son encore plus imprégnées que les anciennes, d'où la difficulté de plus en plus grande à faire comprendre et admettre les véritables mécanismes révolutionnaires.

" Que l'enseignement soit le véhicule essentiel de cette intoxication, cela ne fait point de doute ; quant à l'inspiration, il me semble que Michelet [1798-1874] y tient une place de choix. M'interrogeant sur ce point, je voulus me remettre en mémoire le petit livre intitulé : Trois idées politiques où Maurras consigne en un style admirable [et inimitable] les fortes idées que les commémorations de l'année 1898 lui ont suggéré (centenaire de la naissance de Michelet particulièrement carillonné, cinquantenaire de la mort de Chateaubriand, érection du buste de Sainte-Beuve) et dont voici celles qui se rapportent au rôle d'éducateur officiel que réserve au premier la république.

" Il est vrai que l'État veille sur Michelet depuis longtemps. Il en fait son affaire et comme sa religion. Outre les quatre cultes reconnus par l'État, en voilà un cinquième de privilégié. Partout où il le peut sans se mettre dans l'embarras ni causer de plaintes publiques, l'État introduit les œuvres et l'influence de son docteur ; voyez, notamment, dans les écoles primaires, les traités d'histoire de France, les manuels d'inspiration civique et morale [et quelle morale !] : ces petits livres ne respirent que les " idées " de Michelet. A Sèvres, à Fontenay, les jeunes normaliennes ont Michelet pour aumônier ; il est le Fénelon de ces nouveaux Saint-Cyr...

" On a de la peine à penser que cet annaliste d'une France décapitée, ce philosophe d'une humanité sans cerveau, représente l'essence de l'esprit national, ou même l'esprit de l'État. Je concède que nos pouvoirs publics, en tant que démocrates, aient parfois intérêt à choisir ce héros-là : mais en tant que Français ? en tant qu'hommes ? en tant que gardiens de la civilisation ? en tant que parti de gouvernement ? Si j'étais à leur place, le souvenir de ce centenaire ne me laisserait point très paisible.

" Ils en auront des remords avant peu de temps. Tout ce bouillonnant Michelet, déversé dans des milliers d'écoles, sur des millions d'écoliers, portera son fruit naturel : il multiplie, il accumule sur nos têtes les chances de prochain obscurcissement (à vrai dire, d'obscurantisme), les menaces d'orage, de discorde et de confusion. Si nos fils réussissent à paraître plus sots que nous, plus grossiers, plus proches voisins de la bête, la dégénérescence trouvera son excuse dans les leçons qu'on leur fit apprendre de Michelet."

" Et Maurras de noter qu'au 14 juillet, le gouvernement fit distribuer gratuitement dans toutes les écoles une brochure de morceaux choisis de Michelet intitulée : Hommage à Jules Michelet, 21 août 1798 - 9 février 1874.

" Ce sont les prévisions les plus pessimistes de Maurras qui se sont réalisées au cours des soixante années écoulées depuis qu'il les a formulées ; les hommes de gouvernement en ont-ils pour autant conçu quelque remords en tant que Français, en tant que gardiens de la civilisation? Il faudrait pour cela qu'ils distinguent la patrie de la Révolution de la patrie française, l'anti-civilisation de la Révolution de la civilisation ; s'ils avaient cette faculté, ils cesseraient d'être les instruments de la Révolution et par conséquent de faire partie de ce fief qu'ailleurs Maurras a justement appelé le pays légal.

           [...]

 

Haine du catholicisme, haine du prêtre.

 

" De quelles affabulations n'était pas capable l'homme soumis à toutes les impulsions du tempérament et dénué de tout contrôle intellectuel que viennent de nous décrire et Maurras et Henri Lasserre, lorsqu'il était en proie à une furie. Or tel est bien le terme qui convient à la passion anti-catholique de Michelet. Comme le fait encore entendre Henri Lasserre, celle-ci vint en 1843 ; c'est à l'époque où, arrivé à la fin du règne de Louis XI, il interrompt son Histoire de France pour entreprendre l'Histoire de la Révolution. C'est aussi le moment où la lutte devient violente entre catholiques et libéraux au sujet de l'Université, le moment où les cours de Michelet et de Quinet au Collège de France sont supprimés.

" Henri Lasserre situe ; dans le courant intellectuel révolutionnaire du moment, la décision de Michelet d'abandonner la rédaction de l'Histoire de France. Il notre que les deux premiers volumes de l'Histoire de la Révolution de Michelet, les deux premiers volumes de l'Histoire de la Révolution de Louis Blanc, l'Histoire des Girondins de Lamartine paraissent la même année, en 1847, que ces ouvrages eurent tous un grand retentissement à commencer par celui de Lamartine. 

" Les trois ouvrages eurent, celui de Lamartine par-dessus tous, un retentissement violent et assuré d'avance. Un commun courant les porta, que ces natures de lyriques et d'orateurs multiplièrent et échauffèrent, mais qu'ils avaient senti le plus puissant de l'heure présente. Les trois auteurs s'étaient mis à l'œuvre, pour ainsi dire, le même jour et ils furent prêts au même instant. Par des voies un peu différentes, mais par les mêmes moyens ils travaillèrent au même but et parvenaient au même résultat, de créer dans les imaginations la religion révolutionnaire. Elle date d'eux ; ils l'ont faite ; elle n'a produit depuis aucun monument apologétique de cette importance. Resterait à expliquer l'origine de ce courant d'opinion et de passion publique. Il nous suffit de constater son existence d'ailleurs bien connue. Un savant, un bénédiction poursuit, loin du bruit, le travail commencé. Les poètes de la multitude courent au-devant de ses vœux comme le soldat au canon.

" Telles sont donc les circonstances qui virent se développer la passion antireligieuse de Michelet qui dorénavant ne dira plus que jésuite pour catholique comme Voltaire disait fanatisme pour religion. Il n'y aura de bassesse et de sottise dont Michelet se dispensera à l'égard des jésuites et des prêtres dans son Histoire de la Révolution, sans parler de son livre Du Prêtre, écrit spécialement à l'effet d'exhaler sa haine.

 

" Voici d'abord l'explication de la perversité du prêtre.

 

" La première raison que j'en trouvai naguère, dans mon livre Du Prêtre, c'est le prodigieux enivrement d'orgueil que cette croyance donne à son élu. Quel vertige ! Tous les jours, amener Dieu sur l'autel, se faire obéir de Dieu !... Le dirais-je (j'hésitais, croyant blasphémer) faire Dieu !... Celui qui chaque jour accomplit des miracles, comment le nommer lui-même ? Un Dieu ? Ce ne serait pas assez.

[...] Que voulez-vous que devienne un pauvre homme [ici, comme précédemment, ce n'est plus un Dieu ou même plus qu'un Dieu] à qui tous les jours cent femmes viennent raconter leur cœur, leur lit, leur secret ? [...] Il peut garder les petites facultés d'intrigue et de manège, mais les grandes facultés viriles, surtout l'invention, ne se développent jamais dans cet état maladif [et saint Jean Népomucène, saint Jean-Marie Vianney, saint Joseph Cafasso, saint Léopold de Castelnuovo et le bienheureux Padre Pio, le fondateur d'un hôpital unique en son genre, ces apôtres extraordinaires du confessionnal, pour ne parler que des plus connus ?] ; elles veulent l'état sain, naturel, légitime et loyal. Depuis cent cinquante ans surtout, depuis que le Sacré-Cœur, sous le voile d'équivoques [il s'agit là de la dévotion pour le Sacré-Cœur de Jésus révélée à sainte Marguerite-Marie], a rendu si aisé ce jeu fatal, le prêtre s'y est énervé et n'a plus rien produit ; il est resté eunuque dans les sciences [ces lignes de Michelet sont proprement sataniques ou lucifériennes]."

" Engagé dans le roman nauséabond, Michelet s'y vautre indéfiniment, son imagination vicieuse que le mystère du confessionnal excite tout particulièrement ne cessant d'inspirer ses intarissables développements et les forgeries historiques les plus insensées :

" Si le mariage est l'union des âmes, le vrai mari c'était le confesseur. Ce mariage spirituel était très fort, là surtout où il était pur. Le prêtre était souvent aimé de passion, avec un abandon, un entraînement, une jalousie qu'on dissimulait peu. [...] L'Assemblée fut obligée de lancer ce décret du 27 novembre 91, qui envoyait au chef-lieu les prêtres réfractaires, les éloignait de leur commune, de leur centre d'activité, du foyer du fanatisme et de rébellion où ils soufflaient le feu. Elle les transportait dans la grande ville, sous l'œil, sous l'inquiète surveillance des sociétés patriotiques.

" [...] Qui peut dire les scènes douloureuses de ces départs forcés ? Tout le village assemblé, les femmes agenouillées pour recevoir encore la bénédiction, noyées de larmes, suffoquées de sanglots ?... Telle pleurait jour et nuit. Si le mari s'en étonnait un peu, ce n'était pas pour l'exil du curé qu'elle pleurait, c'était pour telle église qu'on allait vendre, tel couvent qu'on allait fermer...

" On connaît maintenant les moyens, les agents de cette guerre impie. Le côté politique, le Roi et la noblesse y furent très secondaires. Le prêtre y fut presque tout."

" Voici la conclusion à laquelle il fallait aboutir, voici comment Michelet écrit l'histoire car il suffit d'ouvrir ses livres à peu près au hasard pour y trouver des pages de la veine de celles qui viennent d'être citées. On comprend d'où le petit instituteur primaire anticlérical tire, depuis, ses arguments.

 

La Révolution, religion exclusive.

 

" Henri Lasserre nous dit que Michelet est totalement dénué de philosophie ; pourtant deux idées sont persistantes dans l'œuvre de Michelet, l'une est une vérité, l'autre une contre vérité : Révolution et Catholicisme sont exclusifs l'un de l'autre, telle est la vérité ; le peuple est le moteur de la Révolution, telle est la contre vérité.

" Je veux d'abord laisser à Michelet le soin de présenter sa religion de la Révolution, celle de l'Homme et du droit abstrait.

" La Révolution, a-t-on dit, a eu un tort. Contre le fanatisme vendéen et la réaction catholique, elle devait s'armer d'un Credo de secte chrétienne, se réclamer de Luther ou Calvin.

" Je réponds : Elle eût abdiqué. Elle n'adopta aucun Église. Pourquoi ? C'est qu'elle était une Église elle-même.

" Comme agape et Communion, rien ne fut ici-bas comparable à 90, à l'élan des Fédérations. L'absolu, l'infini du Sacrifice en sa grandeur, le don de soi qui ne réserve rien, parut au plus sublime dans l'élan de 92 : guerre sacrée pour la paix, pour la délivrance du monde.  

" Et s'écroulent en même temps toutes les petites barrières où s'enfermait chaque église, se disant universelle et voulant faire périr les autres. Elles tombent devant Voltaire, pour faire place à l'église humaine, à la catholique église qui les recevra, les contiendra toutes dans la justice et dans la paix.

" Cette religion de la Révolution n'est pas une religion quelconque, elle est la seule. Il n'y a qu'un Dieu, celui de l'égalité et de l'équité. Les droits de l'homme sont le décalogue de cette religion, la Marseillaise son cantique.

" Elle se dit non pas chrétienne mais plus, attaquée comme impie, elle était ultra chrétienne... On a reproché à la Révolution de n'être pas chrétienne : elle fut davantage. Ce qu'elle fut, c'est la religion de l'homme et de la justice telle que l'orgueil de la raison humaine, pour peu qu'elle soit de mauvaise qualité et livrée à elle-même, est capable de la concevoir, c'est-à-dire sous forme d'égalitarisme simpliste.

" Il fallait, avant toute chose, revendiquer le droit de l'homme si cruellement méconnu, rétablir cette vérité, trop vraie, et pourtant obscurcie : “ L'Homme a droit, il est quelque chose ; on ne peut le nier, l'annuler, même au nom de Dieu ; il répond, mais pour ses actions, pour ce qu'il fait de mal ou de bien ”. Ainsi disparaît du monde la fausse solidarité : l'injuste transmission du bien, perpétuée dans la noblesse ; l'injuste transmission du mal, par le péché originel, ou la flétrissure civile des descendants du coupable [Adam]. La Révolution les efface."

" [...] Ce que Michelet a senti c'est le caractère personnel et du catholicisme et des institutions qu'indubitablement il a façonnées, caractère personnel qui ne laisse pas de place aux généralités abstraites, aux idéologies déifiées. À l'appui de cette inconciliable opposition du christianisme avec le droit et la Révolution, Michelet n'hésite pas à se réclamer tout aussi bien de Bonald et de Maistre que de Proudhon.

" Royalisme et catholicisme sont choses identiques, deux formes du même principe ; incarnation religieuse, incarnation politique.

" Le christianisme même, démocratique extérieurement dans sa légende historique, est en son essence, en son dogme, fatalement monarchique. Le monde perdu par un seul [Adam] est relevé par un seul [Jésus-Christ, le nouvel Adam]. Le monde perdu par un seul [Adam] est relevé par un seul [Jésus-Christ, le nouvel ou le second Adam]. Dieu y dit aux rois : " Vous êtes mes Christs ". Bossuet établit admirablement contre les protestants, contre les républiques catholiques, que le christianisme donné, la royauté en ressort comme se forme logique et nécessaire dans l'ordre temporel.

" “La vie du catholicisme, c'est la mort de la République. La vie de la République, c'est la mort du catholicisme. [...].”

" Il est de la plus haute importance pour nous contre-révolutionnaires de savoir que la pensée fondamentale de celui dont la Révolution a fait son prophète, réside dans cette incompatibilité du Catholicisme et de la Révolution, et que ces deux forces sont les seules à se partager le monde. J'ai souvent cité la déclaration d'Henri Lefebvre proclamant cette même exclusivité en ce qui concerne le catholicisme et le marxisme, et j'ai déjà fait remarquer qu'elle n'était vraie que si l'on admettait que le marxisme était destiné à absorber l'ensemble de la Révolution, ce qui n'est pas démontré malgré les apparences contemporaines ; la formule de Michelet est plus juste et plus générale :

" Il y a deux choses et non pas une, nous ne pouvons le méconnaître, deux principes, deux esprits, l'ancien, le nouveau.

" Donc, malgré les développements que les théories ont pu prendre, malgré les formes nouvelles et les mots nouveaux, je ne vois encore sur la scène que deux grands faits, deux principes et deux personnes, le Christianisme, la Révolution."

" Ces phrases sont extraites de l'introduction de l'Histoire de la Révolution Française ; le fait que celle-ci ait comme centre cette idée de l'irréductible opposition Catholicisme-Révolution, atteste de l'importance primordiale que lui attribue Michelet et par conséquent ceux qui l'ont choisi pour grand-prêtre. Aussi citerai-je quelques autres passages de cette profession de foi.

" La Révolution continue le Christianisme, et elle le contredit. Elle en est à la fois l'héritière et l'adversaire.

" Dans ce qu'ils ont de général et d'humain, dans le sentiment, les deux principes s'accordent. Dans ce qui fait la vie propre et spéciale, dans l'idée mère de chacun d'eux, ils répugnent et se contrarient.

" Ils s'accordent dans le sentiment et la fraternité humaine. Ce sentiment, né avec l'homme, avec le monde, commun à toute société, n'en a pas moins été étendu, approfondi par le Christianisme. À son tour, la Révolution, fille du Christianisme, l'a enseigné pour le monde, pour toute race, toute religion qu'éclaire le soleil.

 

" Voilà toute la ressemblance. Et voici la différence :

 

" La Révolution fonde la fraternité sur l'amour de l'homme pour l'homme [la “philanthropie de l'enfer” : la philanthropie sans la charité, vertu théologale - cf. Don Guéranger, dans L'Année Liturgique, le temps après la Pentecôte, tome IV, saint Camille de Lellis et saint Vincent de Paul, cinquième édition, pages 173 et 181], sur le devoir mutuel, sur le droit et la justice. Cette base est fondamentale, et n'a besoin de nulle autre [naturalisme absolu et intégral].

" Elle n'a point cherché à ce principe certain un principe douteux historique. Elle n'a point motivé la fraternité par une parenté commune [par Adam et Ève, nos premiers parents], une filiation qui, du père aux enfants, transmettrait avec le sang la solidarité du crime [le péché originel]."

" [...] Donnons-nous ce grand spectacle :

 

" I. - Le point de départ est celui-ci : Le crime vient d'un seul, le salut d'un seul ; Adam a perdu, le Christ a sauvé.

" Il a sauvé, pourquoi ? Parce qu'il a voulu sauver. Nul autre motif. Nulle vertu, nulle œuvre de l'homme, nul mérite humain ne peut mériter ce prodigieux sacrifice d'un Dieu qui s'immole. Il se donne, mais pour rien ; c'est là le miracle d'amour ; il ne demande à l'homme nulle œuvre, nul mérite antérieur.

 

" II. - Que demande-t-il, en retour de ce sacrifice immense ? Une seule chose : qu'on y croie, qu'on se croie en effet sauvé par le sang de Jésus-Christ. [...]

" Plusieurs esprits éminents, dans une louable pensée de conciliation et de paix, ont affirmé de nos jours que la Révolution n'était que l'accomplissement du Christianisme, qu'elle venait le continuer, le réaliser, tenir tout ce qu'il a promis [quel aveuglement !].

" Si cette assertion est fondée, le dix-huitième siècle, les philosophes, les précurseurs, les maîtres de la Révolution se sont trompés, ils ont fait tout autre chose que ce qu'ils ont voulu faire. Généralement, ils ont un tout autre but que l'accomplissement du Christianisme [c'est évident]."

" [...] Ce qui oppose surtout Louis et Michelet, c'est Robespierre ; d'après Michelet, Louis Blanc ne lui pardonne pas d'avoir scruté son idole ; cette opposition n'est pas surprenante et Michelet nous l'expose :

" Il est demi-chrétien à la façon de Rousseau et de Robespierre. L'Être suprême, l'Évangile, le retour à l'Église primitive : c'est le Credo vague et bâtard par lequel les politiques croient atteindre, embrasser les partis opposés, philosophes et dévots." […]

" Un siècle s'est écoulé qui nous permet de mesurer combien, hélas ! était vain le zèle que Michelet déployait contre les révolutionnaires disposés à pactiser : les fils spirituels de Grégoire, les démocrates chrétiens exprimant eux-mêmes dans leur dénomination la contradiction dénoncée par Michelet, se montrèrent les agents les plus pernicieux de la diffusion révolutionnaire. [...]

" Michelet quant à lui est logique avec lui-même : croyant la Révolution la vraie religion, il condamne les partisans de compromis [...]. Logique et malhonnêteté intellectuelle ne sont pas incompatibles. Michelet ne pèche pas par l'enchaînement des syllogismes ; seulement, comme le monde de son idéologie ne se raccorde pas au monde réel, il bâtit une fausse image de celui-ci, qui, cette fois, est compatible avec celui-là ; non sans peine, non sans faille comme nous allons le voir.

 

Le peuple dieu.

 

" J'ai dit que la seconde idée de Michelet est le rôle fondamental du peuple en tant qu'entité collective dans le développement de la Révolution. Cette idée est une contradiction flagrante avec les faits mais logique par rapport à sa religion qu'il nous expose dans son introduction à l'Histoire de la Révolution à propos de Voltaire et de Rousseau.

" “ Solve et coagula ” [dissous et recompose] est l'éternelle devise de la Révolution [et de la Franc-Maçonnerie]. Mais cette Révolution, elle est en fait profondément divisée ; son unité consiste dans la haine du catholicisme ; de l'ordre temporel qu'il a suscité, et dans toute action tendant à détruire l'un et l'autre. Ainsi la conception de Michelet quoiqu'il en dise est en contradiction avec celle et de Voltaire et de Rousseau. Au demeurant Voltaire et Rousseau s'opposent l'un à l'autre bien que Michelet ne veuille les voir ni rivaux ni ennemis et place sur le même piédestal ces deux apôtres de la Révolution.

" Voltaire n'a qu'un mobile : " écraser l'infâme " [i.e. la religion chrétienne] ; il ne compte pas pour cela sur le peuple qu'il méprise, il compte sur les rois, sur la littérature et sur l'organisation de la propagande ; le système politique de Rousseau, il a beau jeu de le réduire en pièces en dégageant les contradictions dans lesquelles s'empêtre l'auteur du Contrat Social depuis la première ligne. Michelet rend gloire à Voltaire pour avoir été le champion de l'irréligion et de la justice abstraite, cela suffit à le rendre aveugle sur les autres aspects de celui-ci.

" Quant à Rousseau, Michelet se sent d'abord avec lui en affinité de tempérament par la sentimentalité débridée comme par la bassesse du caractère ; il lui doit le romantisme mais son système est bâti sur la mésinterprétation [sic] de Rousseau. La volonté générale dans l'esprit de Rousseau n'a jamais été celle du grand nombre mais celle des citoyens vertueux, c'est-à-dire des citoyens inaccessibles aux intérêts particuliers et entièrement dévoués à la cause de la Révolution [i.e. des personnes pratiquement introuvables ou se trouvant sur la lune, peut-être] ; le type même de ces hommes, le vrai disciple de Rousseau, c'est Robespierre, que Michelet accuse de trahir la Révolution. [...]

" En fait, le dieu de Michelet est trinitaire ; sa première personne est l'Homme abstrait qui n'a que des droits ; la deuxième personne est l'homme collectif, le peuple qui renverse l'ordre ancien et bâtit l'Ordre nouveau ; la troisième personne est l'esprit de la Révolution qui procède à la fois de l'homme individuel idéal et de l'homme collectif. Ainsi nous sommes en pleine théocratie puisque le même peule est dieu et souverain. [...]

" Dans mon premier volume (1847), j'avais indiqué à quel point les idées d'intérêt, de bien-être, qui ne peuvent manquer en nulle Révolution, en la nôtre pourtant sont restées secondaires, combien il faut la tordre, la fausser, pour y trouver déjà les systèmes d'aujourd'hui. Sur ce point, le beau livre de Quinet confirme le mien. Oui, la Révolution fut désintéressée. C'est son côté sublime et son signe divin."

" Ainsi, dans sa préface de 1868, écrivait Michelet qui semble ignorer qu'Orléans avait fait distribuer des modèles de cahiers dans toute la France, où la campagne d'élection des députés aux États Généraux avait été conduite partout en sous-main par la maçonnerie.

" Une chose qu'il faut dire à tous, qu'il est trop facile d'établir, c'est que l'époque humaine et bienveillante de notre Révolution a pour acteur le peuple même, le peuple entier, tout le monde. Et l'époque des violences, l'époque des actes sanguinaires ou plus tard le danger la pousse, n'a pour acteur qu'un nombre d'hommes minime, infiniment petit." [...]

" Écoutez donc ce peuple chanter la Marseillaise :

" Quand ces pauvres gens arrivèrent au passage : Liberté chérie ! il se fit un grand bruit. Touchant spectacle ! tout ce peuple était tombé à genoux : il achevait ainsi le cantique et la terre était inondée de pleurs." [Et même si cela était vrai, n'aurions-nous pas plutôt à faire à des actes de folie mystique que l'on a déjà vus sous les régimes communistes et nazis ? Attention aux réactions de la foule ! Elles ne sont pas nécessairement dues à de bons esprits. Il faut encore savoir les discerner par leurs fruits ou leur fin.]

 " C'est le peuple que l'Esprit saint de cette pentecôte illumine et non les scribes !

" [...] Au savant, au prêtre, au légiste, la Révolution a opposé l'homme, l'a mis de niveau avec eux. Cet homme qu'ils avaient dédaigné, que le Christianisme lui-même leur avait mis sous les pieds comme une créature gâtée, impuissante, obscurcie en sa raison par le péché originel, mineur à jamais sous le prêtre, cet homme dont le prêtre en lois, le légiste, se fait ensuite tuteur, la Révolution proclama sa majorité." [...]

" Il faut bien qu'il a ait eu intervention de l'Esprit [ou de Lucifer] pour que le peuple fît ces grandes choses spontanément puisque avec une certaine ingénuité, Michelet nous le définit jusqu'ici content de son sort, plein de tendresse pour ses maîtres.

" À l'esprit de fédération, d'union, à la nouvelle foi révolutionnaire, on ne pouvait opposer que l'ancienne foi, si elle existait encore.

" Au défaut du vieux fanatisme éteint, ou tout au moins profondément assoupi, le Clergé avait une prise qui ne manque guère, la facile bonté du peuple, sa sensibilité aveugle, sa crédulité pour ceux qu'il aimait, son respect invétéré pour le prêtre et pour le Roi... le Roi, cette vieille religion, ce mystique personnage, mêlé des deux caractères du prêtre et du magistrat, avec un reflet de Dieu !

" Toujours le peuple avait adressé là ses vœux, ses soupirs ; avec quel succès, quel triste retour, on le sait de reste. La royauté avait beau le fouler, l'écraser, comme une machine impitoyable ; il l'aimait comme une personne...

" J'entends ce mot sortir des entrailles de l'ancienne France, mot tendre, d'accent profond : " Mon Roi ! ".

" [...] Ce qui (...) étonne encore plus, c'est la résignation de ce peuple, son respect pour ses maîtres, laïques, ecclésiastiques, son attachement idolâtrique pour ses rois... Qu'il garde, parmi de telles souffrances, tant de patience et de douceur, de bonté, de docilité, si peu de rancune pour l'oppression, c'est là un étrange mystère..."

" Voilà, tout est simple, quand les vues de l'esprit sont en contradiction avec la réalité, on se contente de constater le mystère - puisque la Révolution est une religion pourquoi n'aurait-elle pas de mystères ?

" Mais à regarder les choses positivement, il est bien évident que ce peuple soumis au Roi, respectueux des prêtres n'a pas fait la Révolution tout seul ; au demeurant que signifie cette fiction de la volonté générale encore plus absurde dans la conception Michelet que dans celle de Rousseau ? Rien, car la volonté est une faculté psychique d'un homme et une masse en est encore plus dénuée qu'une oligarchie.

" Non les choses ne se sont pas passées comme le voudrait Michelet ; j'aurai l'occasion de revenir sur cette question essentielle quant à la compréhension des mécanismes révolutionnaires dans un autre article. Pour l'instant, je me contenterai de noter le désaccord qui existe sur ce point entre Michelet et son rival en tant qu'historien révolutionnaire ; il me suffit de faire parler Louis Blanc.

" Il importe d'introduire le lecteur dans la mine que creusaient alors sous les autels, des révolutionnaires bien autrement profonds et agissants que les encyclopédistes. Une association composée d'hommes de tous pays, de toute religion, de tout rang, liés entre eux par des conventions symboliques, engagés sous la foi du serment à garder d'une manière inviolable le secret de leur existence intérieure, soumis à des épreuves lugubres, s'occupant de fantastiques cérémonies, mais pratiquant d'ailleurs la bienfaisance et se tenant pour égaux quoique répartis en trois classes, apprentis, compagnons et maîtres : c'est en cela que consiste la Franc-maçonnerie. Or, à la veille de la révolution française, la Franc-maçonnerie se trouvait avoir pris un développement immense ; répandue dans l'Europe entière, elle secondait le génie méditatif de l'Allemagne, agitait sourdement la France et présentait partout l'image d'une société fondée sur des principes contraires à ceux de la société civile." [...]

" C'est à peine si Michelet consacre quelques lignes aux sociétés secrètes ; quant aux clubs, c'est comme une émanation du peuple qu'il nous les présente.

" Michelet, l'instrument de propagande idéal de la Révolution.

" La Révolution n'a pas renié Louis Blanc mais sans conteste, elle lui a préféré Michelet ; à celui qui a cyniquement dévoilé la machinerie et l'envers du décor [ce qui déplaît beaucoup à l'ennemi de la nature humaine qui veut agir en cachette, sans être découvert - cf. Exercices spirituels de S. Ignace, n° 326, 13e règle], elle préfère [bien sûr !] celui qui a embelli le décor ; au montreur de marionnettes, elle préfère leur habilleur.

" La raison de ce choix est évidente ; est-ce que le spectacle ne perd pas de son attrait lorsque les artifices des coulisses sont dévoilés [surtout lorsque l'on sait par là que l'auteur du spectacle est l'esprit malin ou Satan lui-même] ? Si les machinistes doivent parfaitement connaître leur métier, ils sont les seuls à le devoir connaître ; quant au public ce que l'on attend de lui c'est l'enthousiasme qu'aucun truquage apparent ne doit ternir, ce sont les applaudissements qui accréditent la qualité du spectacle.

" De toutes les thèses révolutionnaires, celle de Michelet est, jusqu'à l'avènement du marxisme (qui n'a pas été sans lui emprunter), celle qui a le plus de capacité de mobilisation des forces populaires [c'est actuellement le communisme qui a pris la relève en France), du fait du rôle flatteur qu'elle attribue au peuple [la démocratie ! le mot magique] ; qu'importe qu'elle soit fausse, qu'importe que le processus révolutionnaire soit tout autre, inverse même de celui où s'est complu Michelet ; ceux qui s'en servent comme instrument de propagande ne sont pas dupes.

" C'est le cas du gouvernement qui, en 1898, répand les œuvres de Michelet dans les écoles ; celui-ci est entièrement aux mains des Francs-maçons ; les sociétés secrètes [la société maçonnique ou la secte de la Franc-Maçonnerie] continuent de faire avancer l'œuvre révolutionnaire comme elles l'ont fait au cours du XVIIIe siècle ; leur force est d'être secrète ; le régime sera d'autant plus solide que d'une part, en tant que régime, il apparaîtra comme moins lié à la Révolution, que, d'autre part, l'opinion publique sera révolutionnaire avec plus de ferveur.

" Devant la montée des forces révolutionnaires [ou du naturalisme inhérent à la Franc-Maçonnerie], les catholiques ne seront-ils pas tentés de voir dans le gouvernement un arbitre neutre qu'il a intérêt à appuyer plutôt qu'à bouder ? Si Léon XIII avait su que le régime était une forteresse maçonnique inexpugnable [il l'a su vers la fin de sa vie terrestre], il n'aurait pas prié les catholiques français de s'y rallier ; et les catholiques français, s'ils avaient su la vérité, n'auraient pas suivi le Pape dans un domaine ou leur religion ne leur en faisait nulle obligation. Plus tard le masque sera levé, mieux cela ne vaudra-t-il pas pour la cause de la Révolution ; en 1898, l'équivoque est encore payante puisque le jeune Marc Sangnier n'a pas encore commencé sa carrière. Michelet n'a pas encore fini la sienne ; de la semence qu'il a répandue, sont encore à venir ; comme Maurras le redoutait à l'époque [et comme le voyait le Pape Saint Pie X], bien des fruits empoisonnés [et actuellement nous sommes complètement submergés par la marée moderniste] ; si vous voulez vous en convaincre, lisez les manuels dans lesquels la jeunesse des écoles de la République et de celles dites libres apprend aujourd'hui l'histoire. Ceux-là sont plus délétères encore que les œuvres mêmes de Michelet parce que plus perfides. À Michelet, dont on prononce beaucoup moins le nom, ils ont pris la vision de la Révolution présentée comme une réaction du peuple sacro-saint contre un ancien régime caricaturé ; mais ils se gardent bien de faire savoir que cette vision n'est que partie intégrante d'un système dans lequel la Révolution est une religion exclusive, dont le catholicisme est évidemment le plus irréductible ennemi ; ceci mettrait en éveil trop de ceux qui semblent heureux de dormir et de rêver.

" L'intoxication du grand nombre ne saurait empêcher l'existence d'une élite réfléchie. L'absurdité des thèses révolutionnaires éveillera les esprits épris de vérité. Taine réhabilitera l'honnêteté et démystifiera l'histoire présentée par Michelet ; il préparera ainsi la voie à Augustin Cochin qui entreprendra de démontrer les mécanismes secrets de la Révolution. Ceci fera l'objet d'un prochain chapitre."

 

Cardinal Pie (1815-1880) [évêque de Poitiers (1849) qui contribua au concile Vatican I à la définition de l'infaillibilité pontificale (1870) et fut créé cardinal par le Pape Léon XIII en 1879], Œuvres de Mgr l'Evêque de Poitiers, 10 volumes, tome V, chap. IV : Troisième instruction synodale sur les principales erreurs de notre temps, juillet 1862 et août 1863, Poitiers, Henri Oudin, Librairie-Éditeur, Paris, Victor Palmé, Librairie-Editeur, 1872, pages 41-42, 44, 46-47 :

 

" Or, si l'on cherche le premier et le dernier mot de l'erreur contemporaine, on reconnaît avec évidence que ce qu'on nomme l'esprit moderne, c'est la revendication du droit, acquis ou inné, de vivre dans la pure sphère de l'ordre naturel : droit moral tellement absolu, tellement inhérent aux entrailles de l'humanité, qu'elle ne peut, sans signer sa propre déchéance, sans souscrire à sa honte et à sa ruine, le faire céder devant aucune intervention quelconque d'une raison et d'une volonté supérieures à la raison et à la volonté humaine, devant aucune révélation ni aucune autorité émanant directement de Dieu.

" Cette attitude indépendante et répulsive de la nature à l'égard de l'ordre surnaturel et révélé, constitue proprement l'hérésie du naturalisme : mot consacré par le langage bientôt séculaire de la secte [i.e. la Franc-Maçonnerie - cf. l'enc. Humanum Genus du Pape Léon XIII] qui professe ce système impie, non moins que par l'autorité de l'Eglise qui le condamne.

" Cette séparation systématique, on l'a aussi appelée, et non sans fondement, l'antichristianisme. Par le fait, elle est entièrement destructive de toute l'économie chrétienne. En ne laissant subsister ni l'incarnation du Fils naturel [et unique] de Dieu, ni l'adoption divine de l'homme [par la grâce], elle supprime le christianisme à la fois par son faîte et par sa base, elle l'atteint à sa source et dans toutes ses dérivations.

" Pour assigner à ce naturalisme impie et antichrétien son origine première et son premier auteur, il faudrait pénétrer jusque dans les mystérieuses profondeurs du ciel des anges. Celui que Lucifer, constitué dans l'état d'épreuve, n'a pas voulu adorer, n'a pas voulu servir, celui auquel il a prétendu s'égaler, il serait difficile de croire que ce fut le Dieu du ciel [cf. le Palladisme ou le culte de Satan-Lucifer]. Une nature si éclairée, un esprit originairement si droit et si bon, ne semble pas susceptible d'une révolte si gratuite et si insensée. Quelle fut donc la pierre d'achoppement pour Satan et pour ses anges ? David commenté par saint Paul, l'Écriture interprétée par les plus illustres docteurs, versent d'admirables lumières d'où découlent tant de conséquences. [...]

" Du reste, en dehors de toute opinion concernant ce caractère spécial du péché des mauvais anges, il est certain, ainsi que l'enseigne saint Thomas, que " le crime du démon a été ou bien de mettre sa fin dernière dans ce qu'il pouvait obtenir par les forces seules de la nature [par la Science], ou bien de vouloir parvenir à la béatitude glorieuse par ses facultés naturelles sans le secours de la grâce " (Somme théologique, Ire Partie, qu. 63, art. 3, Concl.). Il faut donc, dans toute hypothèse, remonter jusqu'à Satan pour la découvrir dans son origine et pour la saisir dans son fond, cette odieuse impiété du naturalisme qui, à l'aide d'axiomes et de programmes plus ou moins habiles et savants, glisse ses ombres détestables jusque dans l'esprit des chrétiens de nos jours, décorant aussi faussement que fastueusement du nom d'esprit moderne ce qui est le plus vieux des esprits, l'esprit de l'ancien serpent, l'esprit du vieil homme, l'esprit qui fait vieillir toutes choses qui les précipité vers la décadence et la mort, et qui prépare insensiblement les effroyables catastrophes de la dissolution dernière. [...]

" IV. Mais cette œuvre du diable leur père (cf. Jn 8 44), les faux sages de notre époque ne la conçoivent pas tous de la même façon : ils l'embrassent et l'opèrent diversement selon les inspirations diverses qu'ils reçoivent de lui. Le naturalisme a des degrés : absolu chez les uns, partiel chez les autres ; là niant les principes premiers, ici écartant seulement quelques conséquences. Mais comme tout se tient, comme tout est fortement lié dans l'œuvre de Dieu, la négation des moindres conséquences fait remonter logiquement à la négation des principes. Le poison du naturalisme n'est donc inoffensif à aucun degré, il n'est supportable à aucune dose. Si les esprits moins imprégnés du venin courent moins de dangers pour leur propre compte, ils ne sont guère moins redoutables quant à la portée et aux effets contagieux de leur erreur. Cette influence mauvaise doit donc être dévoilée et combattue partout où elle se trouve.

" Les plus mitigés sont assurément ceux qui, acceptant la présence et l'autorité de Jésus-Christ dans l'ordre des choses privées et religieuses, l'évincent seulement des choses publiques et temporelles. Le Verbe, de qui saint Jean nous dit énergiquement qu' " il s'est fait chair " (Jn 1 14), ils veulent qu'il n'ait guère pris de l'humanité que les côtés spirituels ; et, tandis que le symbole enseigne qu' " il est descendu du ciel et s'est incarné pour les hommes " (Symbole de Nicée : Propter nos homines), c'est-à-dire pour des êtres essentiellement composés d'un corps et d'une âme et appelés à la vie sociale, ils insinuent que les conséquences de l'incarnation n'ont trait qu'aux âmes séparées de leur enveloppe corporelle, ou du moins qu'aux individus pris en dehors de la vie civile et publique. De là une séparation formelle entre les devoirs du chrétien et les devoirs du citoyen, de là des remontrances plus ou moins respectueuses à l'Épouse de Jésus-Christ, des théories qui lui font sa part, qui déterminent sa compétence et son incompétence ; de là enfin toute cette école nouvelle qui, avec des nuances diverses, entreprend de faire l'éducation de l'Eglise sur un certain nombre de questions pratiques, et s'intitule plus ou moins ouvertement l'école des " catholiques sincères et indépendants ".

" Le naturalisme de certains autres revêt un autre caractère. Soit qu'ils admettent ou qu'ils refusent d'examiner les questions de possibilité et d'existence de l'ordre surnaturel et révélé, ils posent en principe que cet ordre étant de surérogation et comme de luxe, demeure nécessairement facultatif ; que chacun peut licitement refuser de s'y engager, ou, après y être entré, en sortir à son gré ; que l'ordre de nature subsiste dans son intégrité et sa perfection propre, avec ses vérités, ses préceptes, sa sanction, et qu'il offre toujours à la créature raisonnable une fin assortie à la pure nature, et des moyens suffisants pour atteindre cette fin. Pour ces hommes, la question de religion positive n'étant qu'une affaire de choix et de goût, l'État, tout en assurant aux citoyens qui appartiennent à un culte quelconque la liberté de le suivre, doit, pour sa part, exercer le sacerdoce de l'ordre naturel, et poser l'éducation nationale, l'enseignement des lettres, de l'histoire, de la philosophie, de la morale, en un mot, toute la législation et toute l'organisation sociale, sur un fondement neutre, ou plutôt sur un fondement commun, et résoudre ainsi en dehors de tout élément révélé le problème de la vie humaine et du gouvernement public. C'est ce que le jargon du jour nomme l'État laïque, la société sécularisée, tenant en réserve la qualification de “ clérical ” à l'adresse de tout laïque et séculier qui n'est pas renégat de son baptême et transfuge de son Eglise."

 

ID., ibid., tome II, chap. XXVIII : Première instruction synodale sur les principales erreurs de notre temps, 7 juillet 1855, Poitiers, Henri Oudin, Librairie-Editeur, Paris, Victor Palmé, Librairie-Editeur, 1872, pages 388-393 :

 

" Les docteurs les plus illustres des premiers siècles vous fourniront de magnifiques développements sur cette matière [le naturalisme]. Vous ne sauriez surtout assez interroger saint Augustin [354-430].

" XIV. Ce beau génie, que la philosophie actuelle daigne honorer de son estime particulière, vous sera d'un grand secours. Parmi les docteurs du christianisme, un trait distinctif caractérise saint Augustin, c'est qu'il est de tous le plus philosophe, nous dit un récent traducteur de la Cité de Dieu (M. Saisset, Revue des Deux-Mondes, 15 mai 1855, p. 870). Je veux bien souscrire à cet éloge. Voyons donc si le théologien philosophe se montrera plus accommodant que les autres pères de l'Église, quand il s'agit de la nécessité de la foi et de la grâce surnaturelle pour parvenir au bonheur de l'autre vie et pour échapper aux peines éternelles. Je tombe sur son commentaire du quinzième chapitre de saint Jean. On ne peut disconvenir que les paroles du divin Sauveur soient assez directes contre l'erreur que nous avons en vue, contre l'erreur de ceux qui accordent que le chrétien uni à Jésus-Christ par la foi et par la grâce peut produire des fruits plus abondants, plus exquis peut-être, mais qui prétendent que le sarment détaché du cep, la nature séparée de la grâce, peut produire des fruits à tout le moins convenables et suffisants. Jésus leur dit : " Je suis la vigne et vous êtes les branches ; si le sarment adhère à la tige, il produira beaucoup ; sinon, rien ; on le mettra dehors, et il séchera, et on le jettera au feu, et il brûlera " (Jn 15 4-6). L'évêque d'Hippone, qu'on nous représente comme un fidèle disciple de Platon, va-t-il, dans sa tolérance philosophique, retrancher quelque chose de cette rigueur et de cette intolérance théologique ? Écoutez-le : “ De peur, dit-il, que le sarment ne crût pouvoir produire quelque petit fruit par lui-même, le Sauveur, après avoir dit que le rameau uni au cep produira de grands fruits, n'ajoute pas que sans cette union il en produira peu, mais il ne produira rien. Ni peu, ni beaucoup, rien n'est possible à l'homme pour le salut qu'à la condition rigoureuse de son union avec le Christ, qui est la vigne ; s'il n'est adhérent au cep, s'il ne puise sa sève dans la racine, il ne peut porter le moindre fruit par lui-même... Et comme, sans cette vie qui procède de l'union avec le Christ, il n'est pas au pouvoir de l'homme de mourir ou de ne pas mourir, celui qui ne demeure pas dans le Christ sera mis dehors, et il sèchera, et on le jettera au feu et il brûlera ”. Ici le saint docteur remarque, après le prophète Ézéchiel, que “ le sarment a cela de particulier, qu'étant retranché de la vigne il n'est propre à aucun usage, ni pour les travaux de l'agriculture, ni pour les travaux de construction (Éz., 15 : 1-8). Autant ce bois, qui se serait couvert de pampres et de raisins, et qui aurait produit le vin généreux, c'est-à-dire la plus noble des substances, aurait acquis de gloire en demeurant dans la vigne, autant il devient méprisable s'il n'y demeure pas. L'alternative inévitable pour le sarment, c'est la vigne ou le feu. S'il n'est pas dans la vigne, il sera dans le feu : afin de n'être pas dans le feu, qu'il reste donc uni à la vigne...” Entendez ce langage, vous qui vous complaisez en vous-mêmes, vous qui ne craignez pas de dire : “ C'est de Dieu que nous tenons notre nature, notre raison ; mais notre nature et notre raison nous étant données, c'est de notre propre fonds que nous pouvons tirer notre vertu et notre justice ”. Telle est notre vaine présomption ; mais voyez ce qui vous attend, et s'il vous reste quelque sentiment, frémissez d'horreur ! Celui qui croit porter du fruit par lui-même, n'est pas dans la vigne, c'est-à-dire n'est pas dans le Christ ; s'il n'est pas dans le Christ, il n'est pas chrétien : voilà la profondeur de votre abîme. “ Or, autant la nature humaine enrichie de la sève surnaturelle qu'elle eût puisée dans la racine qui est le Christ, aurait été glorifiée, autant sa destinée devient humiliante quand elle s'isole de la grâce : Tanto contemptibiliora si in vite non manserint, quanto gloriosiora si manserint. Le Père céleste, qui est le grand laboureur et le grand architecte, n'en saura tirer aucun parti. Præcisa, nullis agricolarum usibus prosunt, nullis fabrilibus operibus depuntantur. Pour la nature humaine, dans sa condition présente, il n'y a pas de destinée intermédiaire : ou le Christ ou le feu : Unum de duobus palmiti congruit, aut vitis aut ignis. Si elle ne veut pas puiser la vie et la gloire dans le Christ, elle trouvera l'opprobre et le supplice dans la flamme : Si in vite non est, in igne erit. Pour éviter la flamme, qu'elle demeure donc fidèlement unie au Christ : Ut ergo in igne non sit, in vite sit. ” Ailleurs le même saint docteur [saint Augustin] explique une autre parabole, c'est celle où le Sauveur dit : “ Je suis la porte, si quelqu'un entre par moi dans le bercail, il sera sauvé, et il aura ses entrées et ses sorties, et il trouvera d'abondants pâturages ; mais si quelqu'un n'entre pas par la porte, et veut escalader par ailleurs, c'est un ravisseur, qui ne vient que pour dérober, pour massacrer et pour détruire ” (Jn 10 1 9 10). “ En effet, reprend saint Augustin, il est bon nombre de gens qui, d'après certaine coutume de la vie humaine, sont appelés des gens de bien, des hommes de bien, des femmes de bien : secundum quamdam vitæ hujus consuetudinem, dicuntur boni homines, boni viri, bonæ feminæ, gens réguliers qui semblent observer ce qui est commandé dans la loi : rendant honneur à leurs parents, ne commettant ni la fornication, ni l'homicide, ni le vol ; ne portant de faux témoignage contre personne, et accomplissant à peu près les autres points de la loi ; mais ils ne sont pas chrétiens : Christiani non sunt. Or, comme tout ce qu'ils font ainsi, ils le font inutilement, ne sachant pas à quelle fin ils doivent le rapporter, c'est à leur sujet que le Seigneur propose la similitude de la porte par laquelle on entre dans le bercail. Que les païens disent donc : Nous vivons bien. S'ils n'entrent par la porte, à quoi leur sert ce dont ils se glorifient ? Car le motif de bien vivre pour chacun, c'est l'espérance de toujours vivre : Ad hoc enim debet unicuique prodesse bene vivere ut datur illi semper vivere. A quoi bon en effet une vie régulière, si elle n'est le moyen d'obtenir une vie sans fin : Nam cui non datur semper vivere, quid prodest bene vivere ? On ne peut dire que ceux-là vivent bien, qui sont assez aveugles pour ignorer la raison qu'ils ont de bien vivre, ou assez orgueilleux pour la mépriser. Or, personne n'a une assurance vraie et certaine de vivre toujours, s'il ne connaît la véritable vie, qui est Jésus-Christ, et s'il n'entre dans le séjour de la vie par cette porte... Il y a donc certains philosophes qui dissertent avec subtilité sur les vices et les vertus ; ils divisent, ils définissent, ils raisonnent, ils concluent, ils emplissent les livres, ils enflent leurs joues pour vanter leur sagesse... Les hommes de cette trempe cherchent le plus souvent à persuader leurs semblables de bien vivre sans pour cela devenir chrétiens. Mais ces hommes n'entrent pas par la porte qui est Jésus-Christ ; ils veulent monter par ailleurs ; ils n'aboutiraient qu'à ravir, à ravager, à perdre les âmes.”

" Vous le voyez, Messieurs et chers Coopérateurs, ce grand homme et ce grand évêque, en qui l'on se complaît à célébrer la fusion intime et complète des deux plus grandes forces de l'esprit humain, la raison et la foi (Revue des cours publics, 24 juin 1855, p. 55), est loin de considérer comme indifférent que l'homme fasse le bien au nom de sa raison et de sa conscience, ou qu'il le fasse au nom de sa foi. Il ne conteste pas à l'honnêteté naturelle sa bonté morale : mais il ne reconnaît point dans la raison humaine une discipline assez forte pour suffire à tous les devoirs ; il n'admet pas de juste milieu philosophique et paisible entre le scepticisme et l'orthodoxie, où qui que ce soit puisse trouver le repos de sa conscience. Quiconque ne veut pas entrer par la porte chrétienne, il n'hésite pas à lui fermer le ciel et à lui montrer l'abîme qui l'attend. Puisse l'autorité de ce grand théologien et de ce grand philosophe ne rencontrer aucun entêtement d'orgueil, mais exciter plutôt une reconnaissance singulière chez ceux de nos frères en Jésus-Christ qui nous ont interpellés (J. Rigault, Journal des Débats, loc. cit.) ! Il est écrit au Livre des Proverbes : “ Celui qui veut instruire le railleur, se fait injure à lui-même ; ne raisonnez pas le moqueur, de peur qu'il ne vous haïsse ” (Pr 9 7). Mais il est écrit aussi : “ Répondez au sage, et il vous aimera ” (v. 8). C'est la grand saint Augustin qui a répondu à notre interrogateur : il trouvera dans son âme docilité et amour."

 

ID., ibid., tome V, chap. IV : Troisième instruction synodale sur les principales erreurs de notre temps, juillet 1862 et août 1863, pages 151, 152, 153, 154-155 :

 

" Le naturalisme part de ce faux supposé que l'homme aurait été constitué d'abord dans un état d'intégrité purement naturelle, avec une fin purement naturelle, et des facultés et puissances capables d'atteindre cette fin [à l'époque actuelle, c'est-à-dire en l'an 2002, on en est même plus là, mais la science, soutiennent les prétendus savants de notre monde en folie, grâce à ses progrès, prouve maintenant incontestablement que l'homme descend du singe ou qu'il n'était à l'origine qu'une bête sans intelligence ni raison - comme si la conscience, l'intelligence et la maîtrise humaine étaient sorties d'un inconscient inintelligent en nous poussant aveuglément. Et de s'abrutir sur la recherche et l'étude de quelques vieux os pour confirmer leurs doctrines insensées et diaboliques sur l'origine de l'homme et inonder les écoles de leurs écrits ou de leurs conclusions par des ouvrages que l'éducation nationale impose dans ses programmes de sciences naturelles, et ce avec la complicité tacite de tout le corps enseignant. On appelle cela un progrès. Voilà en effet qui élève l'homme et qui donne à la jeunesse des raisons d'espérer en une fin plus glorieuse !]. En cela, le naturalisme confond ce qui aurait pu être avec ce qui a été, et il prend l'hypothèse pour l'histoire. [...] Mais la vérité est, nous l'avons vu, que le décret de notre exaltation est antérieur à notre apparition, que la bénédiction spirituelle en Jésus-Christ nous a été octroyée avant la constitution du monde ; que nous avons été créés en lui (cf. Éph., 2 : 10) comme nous avons été rachetés par lui ; que toutes choses ont été faites en lui comme elles ont été restaurées en lui (cf. Col., 1 : 15-16) ; que non seulement la justice originelle, mais l'intégrité même naturelle nous a été conférée par sa grâce. La nature donc, si elle est dépouillée des dons gratuits, est par là même blessée dans ce qui lui est propre (cf. II Cor., 5 : 4). [...] Et comme le fabricateur souverain avait voulu l'humanité enrichie de privilèges, comme il avait simultanément créé en elle la nature et infusé la grâce, comme il avait mêlé son Esprit sanctificateur au premier souffle dont il l'avait animée, comme il avait empreint dans son âme et jusque sur son visage la marque de ressemblance avec son Verbe incarné, en un mot, comme il l'avait prédestinée à l'adoption déifique, elle est désormais défectueuse, elle est laide, elle est réprouvée devant lui, parce qu'elle manque d'un ordre de perfection, de beauté, de mérite auquel étaient attachés la grâce et le salut. De là la parole énergique de l'apôtre qui déclare que nous sommes " par nature, enfants de colère " : natura filii iræ (Éph., 2 : 3). Non pas en ce sens que la nature soit mauvaise et criminelle de son propre chef [n'oublions quand même pas que le Fils unique de Dieu a pris chair de la Vierge Marie], et que tout ce qu'elle fait par elle-même soit péché : ce qui serait contre la foi aussi bien que contre la raison (cf. Bulla Leon. X, Exsurge, Domine, contra Luther). ; mais en ce sens que, s'étant librement détournée de la fin unique et surnaturelle que Dieu lui avait assignée, elle est constituée en dehors de la volonté divine, et qu'ainsi continuant d'être bonne dans son essence, ce qui est vrai de la nature même des démons (cf. S. Thomas, S. th., Ire P., qu. LXIII, art. 4), elle est mauvaise dans son état. [...] Séparée, et dépouillée du Christ ; la nature humaine constitue pleinement ce que les saintes Écritures appellent “ le monde ” ; ce monde dont Jésus-Christ n'est pas (cf. Jn 8 23), pour lequel il ne prie pas (cf. Ibid., 17 : 9), auquel il a dit malheur (cf. Mtt., 18 : 7) ; ce monde dont le diable est le prince et la tête (cf. Ibid., 16 : 11), et dont la sagesse est ennemie de Dieu (Rm 8 7) à ce point que, vouloir être ami de ce siècle, c'est être constitué adversaire de Dieu (Jac., 4 : 4) ; ce monde qui, parce qu'il ignore le Christ sauveur, sera ignoré du Christ rémunérateur : Qui ignorat, ignorabitur (I Cor., 14 : 38), et recueillera la terrible sentence : " Je ne vous connais pas " (Luc, 13 : 25, 27) ; ce monde enfin dont les voies aboutissent à l'enfer (cf. Si., 21 : 10). Tant que dure la vie présente, c'est l'œuvre de la grâce, par conséquent l'œuvre de l'Église, de retirer les créatures de cet état de mondanité, en le rendant à Jésus-Christ, et, par Jésus-Christ, à leur destination bienheureuse (cf. Jean, 17 : 6 15-16). [...] À considérer son état actuel et réel, et nonobstant la bonté persistante de ses éléments essentiels, la nature est “ péché ”. Qu'on parle tant qu'on voudra des droits de l'homme : il en est deux qu'il ne faudrait point oublier. L'homme apporte en naissant le droit à la mort et le droit à l'enfer. Ce n'est que par Jésus-Christ qu'il peut revendiquer le droit à la résurrection et à la vie bienheureuse. Quant à replacer l'homme en dehors de Jésus-Christ, de façon à lui refaire un ordre de pure nature, avec une fin purement naturelle et un droit à la béatitude naturelle, tous les efforts du naturalisme n'y parviendront jamais. On ne changera pas les plans primitifs du Tout-Puissant. Bien plutôt, au péché de son origine, l'homme de la pure nature ajoutera le péché actuel et personnel, puisqu'en fermant son oreille à la révélation et son cœur à la grâce divine, il se rendra coupable de la plus grave de toutes les fautes qui est le péché d'infidélité. Et alors, par un juste jugement de Dieu, n'ayant pas voulu comprendre le degré d'honneur auquel il était appelé il descendra au niveau des êtres sans raison [l'homme du XXIe siècle s'y met déjà par sa théorie sur son origine, justifiant ainsi sa conduite bestiale et se préparant à être jeté pour l'éternité dans l'étang de feu (cf. Ap., 20 : 13-15 ; 21 8 ; 22 15], et, par plus d'un côté, il leur deviendra semblable (Ps., 48 : 13). C'est de cette sorte d'hommes que l'apôtre saint Jude a parlé. Blasphémateurs des choses surnaturelles qu'ils ignorent et veulent systématiquement ignorer, ils se corrompent dans les choses naturelles qu'ils connaissent par un instinct animal plutôt que véritablement raisonnable... Nuées sans eau qui sont promenées au gré des vents, des vents des opinions et des vents des passions ; arbres d'automne, qui poussent des fleurs incapables de donner des fruits, arbres doublement morts, et quant à la vie de la foi et quant à la vie de la raison, arbres déracinés et destinés au feu ; étoiles errantes, auxquelles une tempête noire et ténébreuse est réservée pour l'éternité (cf. Jude, 10 : 12 13). Cela demeure donc établi : il n'y a pas de refuge pour la nature en dehors de Jésus-Christ. " Il faut choisir entre les deux, dit le martyr saint Ignace : ou le courroux éternel de Dieu dans l'autre vie, ou sa grâce dans la vie présente " (Epist. ad Ephes.)."

 

Id., tome V, pages 170, 171, 172, 176-177, 188-189, 191-192, 193, 207 :

 

" L'erreur naturaliste a conçu l'ambition de devenir un dogme public ; si elle ne peut régir toutes les existences individuelles, elle aspire à devenir la loi des Etats, le principe régulateur du monde moderne [en l'an 2002, cette erreur n'aspire plus à devenir la loi des États : elle est le principe régulateur du monde moderne]. Des bancs du portique, elle s'efforce de monter jusque sur le marchepied des trônes et ne désespère pas de s'y asseoir définitivement ; des discours et des livres, elle vise à s'installer dans les constitutions et dans les lois. L'édifice du naturalisme philosophique attend son couronnement du naturalisme politique.

" J'appelle de ce nom le système d'après lequel l'élément civil et social ne relève que de l'ordre humain et n'a aucune relation de dépendance envers l'ordre surnaturel. Le chef de l'Église [le pape Pie IX] le définit en ces termes : “ Ils ne craignent pas d'affirmer dit-il, que les législations civiles, comme les sciences philosophiques et morales, peuvent et doivent décliner la révélation divine et l'autorité de l'Église ; ... ils avancent, dans leur extrême impudence, non seulement que la révélation divine ne sert de rien, mais qu'elle nuit à la perfection humaine, qu'elle est elle-même imparfaite, et par conséquent soumise à un progrès continu et indéfini [progressisme], qui doit répondre au progrès de la raison de l'homme ;... ils ajoutent que cette raison, sans tenir aucun compte de la parole de Dieu, est l'unique arbitre du vrai et du faux, du bien et du mal ; qu'elle est à elle-même sa loi, et qu'elle suffit par ses forces naturelles à procurer le bonheur des hommes et des peuples ” (Al. au Consistoire, 9 juin 1862 : La source du droit). [...]

" Aux yeux du déiste, combien plus à ceux du panthéiste, du matérialiste, du fataliste, toute influence de la religion sur la politique est une domination usurpée, une tutelle humiliante, une entrave apportée au libre développement des forces de la société. Quand ils sont imprégnés de ces doctrines, il est naturel que les rois de la terre et les peuples se liguent ensemble contre Dieu et contre son Christ, qu'ils aspirent à briser leurs liens et à semer le joug de ce qu'ils appellent la superstition (cf. Psaumes, 2 : 1-3).

" Mais, par une de ces inconséquences dont l'esprit humain est susceptible, il est des hommes qui, sans révoquer en doute le caractère divin du christianisme [c'est-à-dire tous nos hommes politiques qui sont de confession catholique], enseignent que l'autorité de Jésus-Christ, l'autorité de sa doctrine, de sa loi, de son Église, s'arrête au seuil de la vie publique des chrétiens. En tant qu'elle procède de certaines maximes familières à l'ancien gallicanisme de la cour et du parlement, nous avons eu l'occasion de réfuter directement cette prétention incompatible avec la saine croyance chrétienne (cf. tome IV, p. 228). [...]

" En effet, tandis que la presse impie et rationaliste [ou franc-maçonne] proclame la sécularisation désormais absolue des lois, de l'éducation, du régime administratif, des relations internationales et de toute l'économie sociale, comme étant le fait et le principe dominant de la société nouvelle, de cette société émancipée de Dieu, du Christ et de l'Église [objectif pleinement atteint en l'an 2002], nous avons vu surgir, sous l'empire de préoccupations honnêtes et estimables, des adeptes inattendus de ce système nouveau. Des chrétiens ont paru penser que les nations n'étaient pas tenues, au même titre que les particuliers, de s'assimiler et de professer les principes de la vérité chrétienne [l'œuvre par excellence des démocrates chrétiens — les pires !] ; [...] enfin que la génération héritière de celle qui aurait accompli, en tout ou en partie, cette œuvre de déchristianisation légale et sociale, pouvait et devait l'accepter, non pas seulement comme une nécessité, mais comme un progrès des temps nouveaux, que dis-je, comme un bienfait même du christianisme, lequel après avoir conduit les peuples à un certain degré de civilisation, devait se prêter volontiers à l'acte de leur émancipation, et s'effacer doucement de leurs institutions et de leurs lois [à la grande satisfaction des francs-maçons qui voyaient leur plan diabolique se réaliser d'une façon inespérée], comme la nourrice s'éloigne de la maison quand le nourrisson a grandi." [...]

" [...] Enfin, ce n'était pas des princes de Juda seulement que le Seigneur disait, pour expliquer les châtiments dont il les avait écrasés : " Ils ont régné par eux-mêmes et non par moi ; ils ont été princes, et je ne les ai pas connus " (Osée, 8 : 4). Remarquez ces derniers mots, Messieurs. Une plume qui n'avait pas conscience de son impiété écrivait : " La loi moderne IGNORE DIEU ". Eh bien ! nous ne craignons pas de le dire : A un tel ordre de choses, partout où il existera, Dieu répondra par cette peine du talion qui est une des grandes lois du gouvernement de sa providence. Le pouvoir qui comme tel ignore Dieu, sera comme tel ignoré de Dieu : si quis autem ignorat, ignorabitur (I Co., 14 : 38). Or, être ignoré de Dieu, c'est le comble du malheur ; c'est l'abandon et le rejet le plus absolu [i.e. la damnation éternelle]. La sentence d'éternelle réprobation ne sera pas formulée en d'autres termes : " Je ne vous connais pas, je ne sais pas d'où vous êtes " (Luc, 13 : 25). De là, ces transformations si fréquentes, ces changements périodiques des gouvernements et des dynasties. [...]

" [...] Par exemple, après l'expérience de dix-huit siècles de christianisme, comment s'obstiner à mettre quotidiennement sur les lèvres de tous les chrétiens des vœux aussi irréalisables que ceux qui sont exprimés dans l'oraison dominicale ? N'y a-t-il pas lieu d'opérer la radiation définitive de ces mots : " Que votre règne arrive et que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel " ? Appliquée aux nations, cette même règle serait la condamnation, non pas seulement du principe de la politique chrétienne, mais de toute la législation mosaïque. Car nous ne craignons pas de l'affirmer, l'histoire à la main : les temps et les pays chrétiens ont vu plus de grands règnes, des règnes plus purs, plus saints, que les temps d'Israël. Qu'on compare les Livres des Juges, des Rois et des Maccabées avec les annales des nations catholiques, et qu'on lise si le désavantage est du côté qui offre ici les Charlemagne et les saint Louis, là les saint Henri d'Allemagne, les saint Etienne de Hongrie, les saint Wenceslas de Bohème, les saint Ferdinand de Castille, les saint Édouard d'Angleterre, enfin tant de princes et de princesses non moins illustres par l'éclat religieux de leurs règnes que par leurs grandes et royales qualités. Qu'on ne l'oublie pas : le droit chrétien a été, pendant mille ans, le droit général de l'Europe. Beaucoup de crimes, assurément, ont été commis alors comme aujourd'hui. L'humanité, depuis les jours de Caïn et Abel, a été et sera toujours divisée en deux camps. Parfois même les passions ont été plus violentes, plus énergiques, en face des vertus plus fortes et de la sainteté plus éclatante. Mais personne de sensé ne le niera : tout ce qui subsiste aujourd'hui encore de vraie civilisation, de vraie liberté, de vraie égalité et fraternité, a été le produit du christianisme européen ; l'affaiblissement du droit chrétien de l'Europe a été le signal de la décadence et de l'instabilité des pouvoirs humains ; enfin, ce que l'œuvre d'ailleurs si négative et si désastreuse des révolutions modernes pourra laisser de bon et de salutaire après elle, aura été la réaction contre des excès et des abus que réprouvait le régime chrétien.

" [...] Quand l'Église pose ses principes, encore bien qu'ils impliquent une perfection qui ne sera jamais atteinte ici bas, elle en veut les conséquences, toutes les conséquences : les conséquences extrêmes seront le ciel. Quand la révolution pose ses principes, elle ne veut qu'une partie de leurs conséquences ; elle arrête, elle enchaîne les conséquences trop générales et trop étendues : la conséquence extrême et totale sera l'enfer. La révolution ne peut pas et ne veut pas être logique jusqu'au bout. L'Église peut et veut l'être toujours : rien au monde n'est donc plus pratique et n'est moins chimérique.

" [...] Disons-le : il est des nations tellement créées pour Jésus-Christ qu'elles ont l'heureuse impuissance de trouver leur assiette fixe en dehors de lui. Du sein de la gloire, les veillants et les saints s'emploient à ce qu'il en soit de la sorte (cf. Daniel, 4 : 14) : les temps se passent dans d'humiliantes épreuves ; les révolutions, les craquements des trônes, des sociétés, des institutions se succèdent, jusqu'à ce que le droit suprême de Dieu soit proclamé (cf. Ibid., 21-22), et qu'il soit reconnu que la puissance vient du ciel (Ibid., 23). Jusque là, toute la prudence des prudents, toutes les habiletés des habiles, tous les discours des orateurs, tous les livres des écrivains n'aboutissent à rien de fonder de stable et de solide. Les vertus, les actes généreux des particuliers ne profitent guère qu'à eux-mêmes. C'est la société publique qui a péché et qui périt par l'ulcère d'un naturalisme injurieux à Dieu [cf. Enc. Humanum Genus du Pape Léon XIII sur la Secte des Francs-Maçons] ; c'est à la société qu'il est urgent et nécessaire, quoiqu'on dise, de présenter le remède. Le remède est en Jésus-Christ, il est dans l'acceptation sociale des principes révélés [cf. Enc. Quas Primas du Pape Pie XI instituant la fête de la Royauté du Christ]. Hors de là, la religion pourra jusqu'à un certain point vivifier les individus, vivifier les familles ; les sociétés et les pouvoirs resteront sous le coup de la réprobation d'en haut [la seconde partie de ce passage, que nous reprenons ici étant donné son importance, a déjà été citée plus haut].

" [...] Je vous adressais, dans cette même enceinte, il y a sept ans, Messieurs et chers Coopérateurs, une Instruction synodale sur la papauté ; et je vous disais :

" Aussi longtemps que la grande famille occidentale s'est appelée la Chrétienté, et que le pontife romain en a été l'oracle, il n'a jamais manqué aux devoirs que lui imposait la confiance des rois et des peuples. Depuis que cette grande unité sociale du monde chrétien a été rompue, depuis que les royautés même orthodoxes ont déclaré n'avoir besoin que de Dieu et de leur épée, le pontife de Rome, qui va chercher partout les âmes pour les gagner au ciel, mais qui n'impose pas ses conseils et son concours aux empires de la terre lorsqu'ils paraissent les redouter, s'est noblement renfermé dans l'administration temporelle de ses propres Etats et dans le gouvernement spirituel de l'Église. [...]

" En face de cette œuvre universelle de destruction, que reste-il, sinon “ l'Église du Dieu vivant qui est la colonne et le rempart de la vérité ” (I Tim., 3 : 15) ! Et cette Église, cette colonne, ce rempart, le monde ne l'a jamais mieux compris, c'est principalement la papauté [ce que prouve manifestement notre présente étude qui s'appuie sur de nombreux textes pontificaux], incarnation vivante de tout l'ordre surnaturel et chrétien, seule force morale capable de préserver la raison contre ses propres excès, la société contre ses tendances subversives.

 

Id., pages 182-185, 200-201, 202, 208 :

 

" Ecoutez ces admirables accents d'un poète de Pologne :

" Les nations, dit-il, sont voulues de Dieu, et conçues dans votre grâce, ô Jésus-Christ ! A chacune d'elles vous avez donné une vocation. En chacune d'elles vit une idée profonde qui vient de vous, qui est la trame de ses destinées. Or, parmi les nations, il en est qui ont la mission de défendre la cause de la vérité et de la beauté céleste, de racheter les crimes du monde et de lui donner un évangélique exemple en portant, pendant de longs jours, leur lourde croix sur la route inondée de sang, jusqu'à ce que, par une lutte sublime, elles aient inspiré aux hommes une idée plus divine, une charité plus sainte, une plus large fraternité, en échange du glaive qu'on a plongé dans leur poitrine. Telle est votre Pologne, ô Jésus-Christ ! (L'Aurore, par Krasinski)."

" Mais cette prédestination catholique que les fils de la Pologne revendiquent à juste titre pour leur patrie, le monde entier n'est-il pas d'accord pour la décerner surtout à la France ? O peuple des Francs, remonte le cours des siècles, consulte les annales de tes premiers règnes, interroge les gestes de tes ancêtres, les exploits de tes pères, et ils te diront que, dans la formation du monde moderne, à l'heure où la main du Seigneur pétrissait de nouvelles races occidentales pour les grouper, comme une garde d'honneur, autour de la seconde Jérusalem, le rang qu'il t'a marqué, la part qu'il t'a faite te placent à la tête des nations catholiques [Seigneur, où en sommes-nous, maintenant, en l'an 2002 ? C'est vraiment l'abomination de la désolation : la Franc-Maçonnerie a tout envahi. La France, Fille aînée de l'Eglise, a renié les promesses de son baptême en ayant exclu Jésus-Christ de la législation et des affaires publiques, l'autorité ne tirant plus son origine de Dieu, mais des hommes.]. Tes plus vaillants monarques se sont proclamés les " sergents de Jésus-Christ " ; et l'Eglise reconnaissante de tes services chevaleresques t'a adjugé la plus glorieuse de toutes les primogénitures.

" Après cela, n'est-ce pas évident, Messieurs et chers Coopérateurs, que le devoir de toute nation chrétienne, combien plus le devoir de la nation très-chrétienne, est de pénétrer en toutes choses et avant tout de l'esprit chrétien ? Saint Ambroise a dit : " Celui-là s'exile de sa patrie, qui se sépare du Christ " (Exposit. in Luc. L. VII, 214). Où cette maxime sera-t-elle plus vraie qu'en France ? La France est originairement chrétienne et substantiellement chrétienne : aucune révolution ne changera sa nature, sa constitution, son tempérament, sa mission, son histoire, sa destinée, ses aspirations. " O Dieu, s'écriait le plus religieux de tous les monarques, le roi se réjouira dans votre force, et il éprouvera un vif transport des progrès de votre règne salutaire " (Ps 20 1). Oui, le roi trouvant sa joie dans le libre déploiement de la force divine, dans le libre exercice des droits suprêmes de Jésus-Christ, le roi tressaillant avec ardeur quand l'œuvre du salut des hommes s'accomplit dans ses Etats : c'est là le type de la vraie royauté, de la royauté baptisée et sacrée en Jésus-Christ. Pour être délaissé, honni, rejeté, ce programme n'en reste pas moins le programme de tout pouvoir régulier au sein des nations chrétiennes. Qu'on l'appelle " idéal " tant qu'on voudra ; au-dessous de cet idéal, nul programme n'est digne de la France, parce que rien de ce qui est au-dessous de la vérité n'est au niveau du rôle que la nature et la grâce ont donné à cette nation dans le monde.

" Mais je lis sur les lèvres de quelques-uns de vous, Messieurs, les objections que vous avez si souvent entendues et qui m'ont été plus d'une fois adressés à moi-même. Ne craignons pas de les formuler ici tout haut avant d'y répondre.

" XXIII. Le programme est beau, nous dit-on ; il n'a que le défaut d'être chimérique, inopportun et, par suite, dangereux. A quoi bon maintenir des théories désormais sans application ? L'absolutisme et la théocratie ont fini leur temps. Le seul régime possible du monde moderne, c'est le régime de la démocratie et de la liberté. Les chrétiens n'ont qu'à gagner à se montrer hommes pratiques et positifs, et, pour cela, hommes de leur temps. C'est ainsi qu'ils exerceront une action puissante et qu'ils réconcilieront l'Eglise avec la société moderne, etc., etc. -

 

 

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