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21 novembre 2012 3 21 /11 /novembre /2012 15:58

 

SEPTIÈME DIFFICULTÉ.

 

« Ce mode d’oraison semble s’éloigner de la méthode commune d’oraison de la Compagnie, enseignée par notre Père saint Ignace et communément commandée par les docteurs ; ainsi il cause la division entre les membres d’une même communauté, les uns allant par un chemin et les autres par un autre. »

 

RÉPONSE.

 

« Mais la réponse est facile ; je dis qu’au contraire, ce mode de prier favorise la méthode commune d’oraison de la Compagnie. En effet, c’est par cette méthode que l’on doit commencer, à moins d’une inspiration spéciale de Notre-Seigneur ; et c’est d’elle que naît cette autre mode d’oraison, puisque c’est par le moyen de la méditation que l’on acquiert le repos de la contemplation. Et l’auteur des Exercices spirituels en est lui-même la preuve : par une grâce spéciale, il s’éleva de ces Exercices à ce mode d’oraison, puisqu’il est dit de lui dans sa vie que, dans l’oraison, il subissait plutôt les opérations divines, jouissant de ce qu’on lui donnait, qu’il ne travaillait par la voie du discours ; car, déjà alors, il se reposait, ayant atteint le terme et s’y étant uni. D’ordinaire, on doit proposer à tous la méthode commune d’oraison. Mais s’il plaît à Notre-Seigneur, par une faveur spéciale, d’élever quelqu’un dès le commencement à l’oraison de quiétude, on doit le conduire par cette voie. On peut, de même, initier à cette voie ceux qui se sont exercés depuis des années dans l’oraison commune par la méditation et par le raisonnement, lorsqu’ils sont déjà avancés et disposés pour ce mode de prier dans un repos intérieur en présence de Dieu et par voie de contemplation ; il faut leur conseiller toutefois de ne pas abandonner entièrement les méditations, mais de diminuer peu à peu le discours, et de donner plus aux affections, se contentant des discours passés, et produisant les affections rapportées plus haut. Et ceci est conforme à ce que dit notre Père saint Ignace dans les Additions de ses Exercices spirituels : Sitôt que nous trouvons dans un point de dévotion que nous cherchons, il faut rester là, sans nous mettre en peine de passer outre, jusqu’à ce que notre dévotion soit satisf²aite. On peut donner ce même conseil à ceux qui, par faiblesse ou pur toute autre cause, ne sont pas capables de faire de longs raisonnements. En pratique, on doit se conduire en tout par l’avis d’un directeur qui puisse être juge en cette matière. Son jugement fondé sur la prudence et sur les règles données là-dessus, peut être considéré comme signe de la vocation et de la volonté de Dieu ; et l’expérience prouve que Dieu a coutume d’aider ces sortes d’âmes et de les élever, quand elles y pensent moins, au repos de la contemplation [à ne pas confondre avec la prophétie qui peut exister sans la grâce sanctifiante – S. Th., 2-2, q. 172, a. 4, concl.]. Il est visible que ceci que ceci ne met point de division dans la communauté. En général, le mode de prier par affection et en discourant peu est du grand nombre. Le plus au point de perfection dans ce mode de prier est du petit nombre, vu que les parfaits sont toujours peu nombreux ; et plût à Dieu que les hommes élevés à cette haute oraison fussent en grand nombre pour enflammer les âmes tièdes ! Ainsi donc les âmes qui marchent de cette manière par un chemin particulier sont dans une voie qui n’a rien de répréhensible ; ce sont au contraire des âmes que Dieu veut enrichir de ses dons privilégiés ; car Dieu n’accorde pas des grâces ou des faveurs très particulières à ceux qui se contentent de la voie et de la vie commune (Porque no haze Dios mercedes muy particulares a los que se contentan con el camino y vida comun). »

 

Tel était en substance l’écrit du Père Balthasar Alvarez. Il le terminait par ces lignes, adressées au Père Visiteur : « Voilà ce qui s’est présenté à mon esprit sur ce mode d’oraison, et ma réponse aux difficultés proposées. Je prie Votre Révérence, pour l’amour qu’elle porte à Dieu et le désir qu’elle a de Lui plaire, de vouloir bien lire cet écrit, de l’examiner, et de faire savoir tant à moi qu’aux autres Pères de cette Province, qui pourraient être consultés par ceux que Dieu semblerait conduire par cette voie, ce que nous devons admettre ou rejeter de cette doctrine. J’espère de la bonté de Dieu que, par ce moyen, Il nous fera connaître, ainsi qu’à ces âmes, sa Très-Sainte Volonté. »

L’issue de cette tempête fut favorable au Père Balthasar Alvarez ; elle tourna à la gloire de sa personne et du mode d’oraison qui avait suivi [oraison de quiétude et de silence] ; car après que la cause eût été examinée par les supérieurs et d’autres personnes graves, le divin Maître, qui, selon sa coutume, exalte les humbles et venge l’honneur de ceux qui, pour son service, veulent se taire, souffrir et sacrifier même leur honneur, montra qu’Il prenait en main les intérêts d’un serviteur si courageux et si fidèle. […]

Chose admirable ! cette tribulation, qui semblait devoir porter un coup mortel à la réputation du Père Balthasar Alvarez, ne servit qu’à le faire connaître davantage et à rendre sa course plus rapide durant le peu de temps qu’il lui restait à vivre, afin qua sa couronne fût plus glorieuse.

 

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Vie du Père Balthasar Alvarez de la Compagnie de Jésus (directeur spirituel de Ste Thérèse d’Avila), par le Vble P. Louis Du Pont, S. J., traduite en français par le P. Marcel Bouix de la même Compagnie, Paris, Librairie Régis-Ruffet, 38, rue Saint-Sulpice, 38, 1873, chapitre XLVIIIe, Comment le Père Balthasar Alvarez s’éleva, de degré en degré, jusqu’au plus parfait amour de Dieu. — Des principales vertus que renferme cet amour. — Sentiments élevés du Père Balthasar sur ce sujet,  pages 560-564 :

 

[…] Ce saint homme présentait toutes ces offrandes, pour témoigner son amour à Celui qui l’aimait tant. Nous en avons la preuve dans ce qu’il écrit dans son journal, 3 août 1575.

« Un jour, dit-il, à l’action de grâces après la messe, j’eus un sentiment sur la manière d’aimer Dieu. Pour L’aimer comme Il le mérite, je devais lui donner tout ce qui est à moi, mon temps, mes goûts, mes amis, et tout le reste et le meilleur, et moi-même avec cela, attendu que Dieu me donne tout ce qui est à Lui, les grandes choses comme les petites, sans en excepter aucune, et que, par-dessus tout, il désire se donner Lui-même à moi. Mon cœur en demeura attendri et incliné à Notre-Seigneur, avec d’inexprimables délices ; ce fut une insigne faveur. Un autre jour, le 10 mars 1569, étant en oraison et l’âme tout éprise du désir de cet amour, je dis à Notre-Seigneur, avec un sentiment très intime : Ô Seigneur, que m’est-il donné de n’avoir plus à traiter avec personne qu’avec vous, ou des choses de votre service, qui regardent le bien des âmes, ainsi que vous le désirez ! Oh ! que n’ai-je déjà commencé l’ouvrage que vous aviez achevé à votre départ de ce monde ! Oh ! que ne suis-je dans l’heureuse nécessité de ne pouvoir plus ni m’éloigner un seul instant de vous, ni traiter d’aucune chose que par obéissance à vos ordres ! Comme ce fut une prière inspirée, le divin Maître me donna l’espérance qu’il me ferait cette faveur. »

Nous ne pouvons douter qu’une faveur si insigne ne lui ait été accordée ; car il travailla avec un soin extrême à enlever de son âme tout amour des créatures qui aurait pu tant soit peu refroidir en lui l’amour du Créateur. Jaloux de communiquer aux autres le grand trésor que son expérience lui avait appris à connaître, il les portait à cette manière d’aimer Dieu, et il les y exhortait en ces termes :

« Ayez Dieu en si grande et si haute estime, que tout l’amour que vous Lui portez vous paraisse petit. Pour mieux faire cela, réunissez, pour les concentrer en Dieu, toutes vos affections dispersées dans les créatures, non seulement dans celles qui n’ont pour vous que de l’indifférence, mais encore dans celles qui vous sont éperdument dévouées, afin qu’il soit manifeste que vous ne les abandonnez pas parce qu’elles vous abandonnent, mais uniquement à cause de la grande estime et du profond respect que vous avez pour Dieu. N’ayez point de peine à les abandonner, puisque c’était votre affection pour elles qui vous tenait éloigné de Dieu. Vous éprouverez ensuite qu’il n’y avait point en elles de vrai bonheur , et que ce bonheur ne se trouve qu’en Dieu. D’après cela, il sera bon de ne pas solliciter leur amitié ; et, si elles vous l’offrent de leur plein gré, il sera bon de la détourner et de la refroidir, tenant même à bonheur qu’elles vous la refusent. Car, de cette manière, vous payerez avec moins d’obstacles, et avec une plus parfaite intégrité, le tribut d’amour et d’obéissance que vous devez à Dieu, et vous mettrez tout votre cœur en Celui qui est tout votre trésor. De même, que c’est peu de tout votre temps pour le consacrer à Dieu, puisque saint Augustin nous dit que tout temps qui n’est pas employé à aimer Dieu est un temps perdu : Perdit quod vivit, qui te Deum non diligit (1). J’en dis autant de tous vos goûts, de toutes vos pensées, de toutes vos paroles, de toutes vos œuvres, de vos yeux, de vos oreilles et de tout le reste : ne les employez qu’à payer ce tribut d’amour au Seigneur. »

Pour arriver à ce degré de perfection dans l’amour, le Père Balthasar nous dit qu’il fut puissamment aidé par la lumière qu’il eut de la vanité des créatures ; car, s’arrêtant un jour à une plainte intérieure qu’il formait contre une personne qui, à son avis, ne répondait pas à ses bienfaits par l’affection qu’ils méritaient, il eut ces sentiments si profitables à son âme :

« Comprends ce que Dieu négocie pour ton bien. Tu n’aurais pas eu peu à souffrir, si la chose était arrivée comme tu la souhaitais. C’est Dieu qui, dans sa Providence et dans sa grande miséricorde envers toi, fait que les créatures te rebutent et t’envoie au Créateur, remplissant ainsi l’office qu’Il leur impose.

« Les créatures, dit le Père Balthasar dans son journal, le 30 juin 1575, remplissent cet office de trois manières admirables. La première, c’est qu’en ne satisfaisant point, en ne comblant point notre désir, lorsque nous les possédons et que nous jouissant d’elles, nous répondant comme jadis à Augustin : Je ne suis pas ton Dieu, je ne suis pas ton repos ni même ta consolation : Non sum ego Deus, non sum ego tua quies atque solatium (2). La seconde, en ne communiquant pas toujours ce peu de bien et de douceur qu’elles possèdent, mais en traitant, au contraire, de la manière la plus capricieuse, changeant sans cesse d’humeur, ne demeurant jamais dans le même état ; et c’est de tout cela que doit dépendre celui qui les recherche. La troisième manière, c’est en nous abandonnant sans retour, dès qu’elles rencontrent dans un autre un tant soit peu plus de bien, d’utilité ou de plaisir. Et bien que nous ayons fait l’expérience de cette vérité un plus grand nombre de fois que nous n’avons de cheveux à la tête, nous n’achevons pas de sortir d’une si sotte illusion, et nous ne cessons pas de courir après les créatures, en oubliant le Créateur ; d’où il résulte que nous n’avons ni faim du Créateur ni rassasiement des créatures. Le remède, c’est de les gagner de vitesse, de les prévenir, de commencer par où elles achèvent, c’est-à-dire de les abandonner promptement, pour ne pas perdre de temps, et de passer au Créateur, dans Lequel nous trouverons repos, paix, rassasiement, avec une stabilité éternelle, sans qu’il soit au pouvoir de personne d’empêcher ou de troubler cette jouissance. Qui jouit d’une paix plus grande que celui qui ne désire rien ? Qui est plus riche que celui qui tient pour superflu toutes les plus grandes et les plus éblouissantes choses du monde ? Ayez Dieu, et rien ne vous manquera. »

Ce sont ces sentiments et d’autres semblables que le divin Maître communiquait au Père Balthasar Alvarez pour le détacher entièrement de toutes les créatures. Comme ils étaient la règle de sa conduite, on ne connut jamais en lui aucune affection ni goût pour chose quelconque, quelque petite qu’elle fût.  Bien moins encore eut-il pour qui que ce soit un attachement qui altérât ou gênât tant soit peu la liberté et la franchise avec lesquelles il aimait Notre-Seigneur. À la vérité, il travailla longtemps pour arriver là, s’efforçant de dégager son cœur de telle sorte, qu’il vécût aussi détaché des créatures que s’il eût été dans les déserts d’Afrique. Enfin, avec la grâce divine, il arriva à cette bienheureuse liberté. Il était visible que cet homme, dont la société était si chère à plusieurs grands d’Espagne, et qui était capable des emplois les plus élevés, souhaitait et se fût estimé heureux de mourir ignoré dans quelque coin. C’est par ce mépris de lui-même qu’il monta au dernier et suprême degré de perfection, ainsi qu’on le verra dans le chapitre suivant.

 

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Vie du Père Balthasar Alvarez de la Compagnie de Jésus (directeur spirituel de Ste Thérèse d’Avila), par le Vble P. Louis Du Pont, S. J., traduite en français par le P. Marcel Bouix de la même Compagnie, Paris, Librairie Régis-Ruffet, 38, rue Saint-Sulpice, 38, 1873, chapitre XLIXe, Comment le Père Balthasar acquit la parfaite résignation et conformité à la volonté divine, en toutes choses, dans les prospérités comme dans les adversités. — Ses sentiments sur cette vertu,  pages 565-567, 568-570 :

 

La vie du Père Balthasar Alvarez, comme on l’a vu, fut un tissu de prospérités et d’adversités de tout genre ; mais toutes lui servirent comme d’échelons pour s’élever au plus haut degré de perfection dans le divin amour, en sorte que l’on vit se vérifier en lui ces paroles de l’Apôtre ; « Nous savons que tout coopère au bien de ceux qui aiment Dieu : Scimus quoniam diligentibus Deum omnia cooperantur in bO.N.U.m (1). » Et quel plus grand bien que l’augmentation de ce même amour de Dieu, surtout quand il est parvenu à n’avoir qu’une seule volonté avec Dieu, en toutes choses, corporelles et spirituelles, grandes et petites, sans vouloir choisir ni incliner vers l’une plutôt que vers l’autre, avant de connaître la volonté divine, dont il cherche l’accomplissement en tout ? Mais laissons ici parler le Père Balthasar Alvarez lui-même :

« Un jour, je demandais à Notre-Seigneur certaine chose que je désirais en vue de son service ; j’entendis cette réponse : Toute la perfection est dans la volonté de Dieu ; et le plus grand de tous les sacrifices est la conformité avec cette volonté, parce que Dieu est jaloux de sa gloire et qu’il sait ce qui est plus propre à la lui procurer. »

 

Un autre jour, le 27 janvier 1569, comme il doutait s’il dirait ou ne dirait pas la messe, à cause d’un empêchement qui était survenu, Notre Seigneur lui communiqua ce sentiment : « Ce n’est pas chose de petite importance que de connaître ou d’ignorer la volonté de Dieu ; car l’erreur en cela, comme la connaissance de la vérité, a les suites les plus graves. Si Dieu veut une chose, c’est témérité qu’un vil ver de terre ne la veuille pas ; et si Dieu ne la veut pas, c’est une effroyable folie à l’homlme d’oser l’entreprendre. Que si cela est vrai dans les choses les plus minimes, combien plus quand il s’agit de s’approcher ou de s’éloigner de l’autel ! Quelles suites, en effet, un tel acte ne peut-il pas avoir pour le bien comme pour le mal, suivant que que l’on est dans la volonté de Dieu ou qu’on agit contre sa volonté ? Je compris également alors qu’on ne doit pas vivre sans douleur et sans larmes dans une vie sujette à une si grande ignorance ; je compris avec quelle prudence nous devions nous conduire dans une chose si importante, et que l’unique moyen qui nous reste pour connaître la vérité est l’oraison continuelle, conformément à ces paroles de l’Écriture : “ Comme nous ignorons ce que nous devons faire, nous n’avons d’autre ressource que d’élever les yeux vers vous, Seigneur : Cum ignoremus quid agere debeamus, hoc solum habemus residui, ut oculos nostros dirigamus ad te (2). ” Ainsi, celui qui, avec une intention droite, priera humblement le Seigneur, pourra espérer d’être conduit par Sa main ; car il est écrit de Lui : “ Il dirigera le conseil du juste : Ipse diriget consilium ejus (3). ” Que si quelque fois il vient à se tromper, il peut espérer avec confiance le pardon de son erreur, attendu qu’il aura fait un faux pas sans le vouloir, et parce qu’il marchait à tâtons dans l’obscurité de la nuit. »

[…] Il reçut une lumière semblable dans une autre circonstance. Se trouvant un jour accablé par la multitude des occupations extérieures, il adressait à Notre-Seigneur des plaintes amoureuses de n’avoir pas le loisir d’être seul avec Lui. Le divin Maître lui fit alors cette réponse : « Contente-toi de ce que je me sers de toi, bien que je ne te tienne pas avec moi. » — « Et cette réponse, dit le Père Balthasar, laissa mon âme inondée de délices. »

 

Le 9 mai 1575, il eut ce sentiment sur le même sujet : « Il pourra bien se faire que plusieurs religieux de la Compagnie manquent de temps pour faire leurs propres volontés ; mais certes ils ne manqueront ni d’emplois ni de belles occasions pour faire la volonté de Dieu. S’il est nécessaire que le grain de froment meure pour porter du fruit, quoi de plus heureux, quoi de plus grand que cette mort ? Et, par conséquent, quoi de plus insensé que de la redouter et de s’en plaindre ? Si Dieu laissait à notre choix le genre de notre mort, en pourrions-nous trouver un plus doux que celui où l’on n’emploie ni le fer ni le feu, ni rien d’humiliant ? […] La loi qui gouverne ces religieux est la loi du Seigneur : loi sainte, loi pure et sans tache. Comme le Sauveur, ils ont pour nourriture, nourriture inconnue aux amateurs de leur propre volonté. Oh ! combien il est est qui ignorent ce délicieux aliment ! Cette volonté de Dieu, sans mélange d’intérêts propres, est le partage du petit nombre. Elle a été le partage du Sauveur, des apôtres, après la descente du Saint-Esprit ; d’un Paul, qui disait : Soit présents, soit absents, nous nous efforçons de Lui plaire : Contendimus sive absentes, sive præsentes placere illi ; d’un David, qui disait : Mon âme ne sera-t-elle pas soumise au Seigneur (4) ? Et ailleurs, qu’il le servirait sans intérêt propre (5). »

C’est là la partie la plus élevée de cette résignation et de cette conformité à la volonté divine, creset où s’épurent et se rafinent l’intention et le but de l’amour. Le Père Balthasar Alvarez s’y rendit insigne, aimant Dieu tellement sans intérêt propre, qu’il se dépouillait des consolations et des délices qui accompagnent d’ordinaire l’oraison, se résignant à en être privé, pour le bon plaisir de Dieu, comme on va le voir par ces sentiments qu’il nous a laissés par écrit :

« Ce que vous réglez, Seigneur, voilà la règle de toute créature ; ce que vous ordonnez, voilà ce qu’elle doit exécuter. Mais parmi les âmes qui ont reçu de Vous la faveur d’entrer au-dedans de Vous et d’expérimenter la douceur de votre présence, ainsi que la consolation de Votre parole et de Votre enseignement, il n’en est aucune qui puisse s’empêcher de sentir de la peine, quand ces délices lui manquent. C’est ce qui fait dire à David : “ Seigneur, écoutez mes larmes ; ne vous taisez pas : Auribus percipe lacrymas meas. Ne sileas (6).” C’est un grand trésor pour l’âme que d’être arrivée à sentir, par sa propre expérience, qu’elle ne peut vivre sans Dieu, ni sans sa faveur. Je ne dois pas néanmoins être inconsolable si les sentiments tendres manquent à mon cœur ; car la direction de Dieu ne me manque pas pour cela. Il en est de même de mes sentiments propres ; s’ils me manquent, les sentiments communs de la foi ne manquent point dans l’Église. Or, c’est à ce flambeau et à cette clarté que je dois m’éclairer. Les Mages devaient être la preuve de cette vérité : aussitôt qu’ils arrivent à Jérusalem, l’étoile se cache, et ce sont les docteurs qui, d’après les Écritures, leur déclarent où est né l’Enfant-Dieu. L’étoile se montre ensuite de nouveau, et leur joie redouble. Les sentiments particuliers ressemblent aux fleuves, qui parfois coulent sous terre ; ils s’en vont et ils reviennent, selon le bon plaisir de Dieu. Et afin que la foi s’appuie sur la Parole divine, et non sur eux, le Seigneur permet qu’ils manquent. »

Le Père Balthasar dit ailleurs : « Dieu me fit entendre qu’Il accorde les consolations dans une sobre mesure, parce que cela convient ainsi à Son service ; car l’âme est d’autant mieux disposée qu’elle ressemble plus au Rédempteur, qui vécut au milieu des travaux et l’âme remplie de tristesse. La consolation doit être à la manière du rafraîchissement que prend le voyageur dans une maison qu’il trouve sur le chemin : ce n’est ponit pour rester là, mais pour continuer sa route avec plus d’élan et de courage. »

S’entretenant avec Notre-Seigneur, il avait coutume de Lui dire : « Très cher Maître, puisque vous m’avez accordé la grâce de me faire goûter le repos, en m’offrant à Vous avec tout ce que je suis, à cette grâce daignez en ajouter une autre : faites que je trouve mon repos à me voir en tout par Vous selon votre bon plaisir. Je ne veux point de plus haute fin, ni de moins convenables moyens, ni plus de faveurs, ni moins de souffrances, ni plus de délices, ni moins de travaux. Je ne veux être considéré que selon ce que Dieu m’a accordé, et ce que j’ai mérité ; je ne veux être traité que comme Dieu m’a traité, et comme mes péchés l’ont mérité ; je ne veux pas plus de tendresses, ni moins de rigueur. »

Cette grâce qu’il avait reçue de Notre-Seigneur lui servait de règle pour diriger ceux qui marchent dans les voies spirituelles, et qui s’attristent parce qu’il leur semble qu’ils n’aiment pas Dieu avec ferveur. Il leur enseignait premièrement à supporter patiemment l’épreuve, quand, à leur avis, Dieu les traitait avec rigueur. Secondement, à se contenter de ce qu’Il leur donne, l’estimant comme un don de haute valeur. Troisièmement, à se contenter également de Ses retards, ne les trouvant pas longs, mais plutôt courts, et les tenant pour de riches trésors, attendu que les trésors des âmes pures ne consistent pas à posséder les biens de Dieu, mais à Le contenter et à Lui plaire. Quatrièmement, à lui rendre tous les services qui seront en leur pouvoir. « De même, disait-il, qu’une très chaste femme, s’efforce de plaire en tout à son mari, prenant ou quittant ses ornements selon son bon plaisir, et sans s’inquiéter de déplaire aux autres ; de même l’âme qui aime véritablement Dieu met tout son contentement à le contenter. Et si elle désire l’ornement des vertus, des sciences et d’autres grâces, ce n’est pas pour plaire aux hommes, ni pour en être estimée, parce qu’elle tient cela pour une sorte d’adultère, mais uniquement pour plaire à son Dieu et pour aider les autres à Lui plaire. De façon que si Dieu enlève à cette âme les consolations, les faveurs et les grâces gratuitement données, et ne lui laisse en quelque sorte pour partage que les humiliations et les mépris, elle en demeure contente. Pourquoi ? Parce que c’est ainsi que son Dieu le veut, et que tout son contentement consister à Le contenter. Et ainsi, selon le langage de l’Esprit-Saint, “ que le bien-aimé plaira à Dieu : Placens Deo factus est dilectus (7).” Celui qui marche dans les voies spirituelles, s’efforçant de plaire à Dieu de cette manière, sera aimé de Lui, et il parviendra à l’excellence de son amour et aux richesses qui en découlent. »

 

 

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