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23 novembre 2012 5 23 /11 /novembre /2012 14:49

 

Dieu, en parlant de la crainte et de la charité, montre la part de chacun. « Le fils, dit-il, honore son père, et le serviteur craint son maître  ; et si je suis votre père, où est l'honneur que vous me devez ? et si je suis votre maître, où est ma crainte ? » (Malach., I, 6.) Il est nécessaire que le serviteur craigne ; « car celui qui sait la volonté de son maître et ne l'accomplit pas, méritera de nombreux châtiments. » (S. Luc, XII, 47.) Mais pour celui que l'amour a fait parvenir à l'image et à la ressemblance de Dieu, il se plaira à faire le bien à cause du bien même : il possédera la patience et la douceur divines, et ne s'irritera pas des défauts du prochain ; mais il sollicitera plutôt leur pardon, en compatissant à leur faiblesse, et en pensant qu'il serait sujet aux mêmes misères, si la miséricorde de Dieu ne l'en avait pas préservé. Ce n'est pas par ces efforts qu'il a été délivré des attaques de la chair, mais par la protection divine, et il comprend que ce n'est pas de l'aigreur, mais de l'indulgence qu'il faut avoir pour ceux qui s'égarent. Il chante à Dieu, dans la paix de son cœur, ce verset de David : « Vous avez brisé mes liens ; je vous sacrifierai une hostie de louange. » (Ps. CXV, 17.) Si le Seigneur ne m'eût pas assisté, mon âme était sur le point de tomber en enfer. » (Ps. XCIII, 17.) Et cette humble disposition de sort cœur lui fera accomplir ce précepte de la perfection évangélique : « Aimez vos ennemis, et faites du bien à ceux qui vous haïssent ; priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient. » (S. Luc, VI, 27. )

Il méritera ainsi de parvenir non seulement à l'image et à la ressemblance de Dieu, mais encore au titre de son fils. Car il est dit : « Afin que vous soyez les enfants de votre Père céleste, qui fait briller son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et les injustes. » (S. Matth., V, 45.) C'est ce que saint Jean comprenait, lorsqu'il disait : « Pour que nous ayons confiance au jour du jugement, car tel est Celui-là, tels aussi nos sommes dans le monde. » (I S. Jean, IV, 17.) Comment l'homme, si faible et si fragile de sa nature, peut-il être semblable à .Dieu, si ce n'est en l'imitant par la douce charité qu'il aura dans son cœur, pour les bons et les méchants, pour les justes et les injustes ? C'est en faisant le bien par amour du bien même, qu'on arrive à cette adoption des enfants de Dieu, dont saint Jean a dit : « Celui qui est né de Dieu, ne pèche point, parce que la semence de Dieu est en lui  ; et il ne peut pécher, parce qu'il est né de Dieu » (I S. Jean, III, 9) ; et encore : « Nous savons que quiconque est né de Dieu, ne pèche pas, mais que la génération divine le conserve, et que le méchant ne le touche pas. » (I S. Jean, V, 18.) Cela ne doit pas s'entendre de toutes sortes de péchés, mais seulement des péchés mortels. Le même apôtre ne veut pas qu'on prie pour ceux qui refusent d'éviter les péchés et de s'en purifier. « Celui qui sait que son frère commet un péché, mais un péché qui ne conduit pas à la mort, doit prier pour lui, et ses prières donneront la vie à son frère, dont le péché ne va pas à la mort. Il est un péché qui est mortel, et ce n'est pas pour celui-là que je dis de prier. » (Ib.,16.)

Pour les péchés qui ne sont pas mortels, et que les disciples les plus fidèles du Christ et les plus vigilants sur eux-mêmes ne peuvent éviter, l'Apôtre en parle de cette manière : « Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n'est pas en nous » ; et encore : « Si nous disons que nous n'avons pas péché, nous faisons mentir Dieu, et sa parole n'est pas en nous. » (S. Jean, I, 10.) Car il est impossible, quelque saint qu'on soit, qu'on ne tombe pas en ces fautes légères, par paroles, par pensées, par ignorance, oubli, nécessité, volonté ou distraction ; mais, quoique ces fautes ne soient pas mortelles, il faut toujours s'en repentir.

Celui donc qui sera parvenu à l'amour du bien et à l'imitation de Dieu, aura les entrailles de la miséricorde divine, et priera aussi pour ses persécuteurs, en disant : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. » (S. Luc, XXIII, 34.) Il est évident qu'une âme n'est pas encore purifiée de la souillure du vice, si elle ne ressent pas de compassion pour les fautes des autres, et les juge avec sévérité. Comment aurait-il la perfection du coeur celui qui n'accomplit pas ce que l'Apôtre déclare être la plénitude de la loi : « Portez les fardeaux les uns des autres, et vous remplirez ainsi la loi du Christ ? » (Galat., VI, 2.) Et celui-là ne possède pas « la charité qui ne s'irrite pas, ne s'enorgueillit pas, et ne pense pas le mal. Elle souffre tout, supporte tout. » ( I Cor., XIII, 5, 7. ) Le juste a compassion de ses animaux mêmes, tandis que les entrailles des méchants sont sans miséricorde. » (Prov., XII, 10.) Il est certain que les religieux tombent dans les fautes qu'ils condamnent si sévèrement dans les autres. « Un prince sévère tombera lui-même, et celui qui ferme ses oreilles pour ne pas entendre le malheureux, se plaindra à son tour et personne ne l'écoutera. » (Prov., XXI, 13.)

11. L'ABBÉ GERMAIN. Mon Père, vous avez admirablement parlé de la charité parfaite de Dieu. Une chose cependant nous étonne, c'est qu'en la louant si bien, vous ayez présenté comme imparfaites la crainte de Dieu et l'espérance des récompenses éternelles. Il semble que ce n'est pas le sentiment du Prophète, lorsqu'il dit : « Craignez le Seigneur, vous tous qui êtes ses saints ; car il ne manque rien à ceux qui le craignent. » (Ps. XXXIII, 10.) Et il déclare que la vue de sa récompense l'a excité à observer les commandements de Dieu. « J'ai porté mon cœur à observer éternellement vos commandements, à cause de la récompense. » (Ps. CXVIII, 112.) Et l'Apôtre a dit : « C'est par la foi que Moïse, devenu grand, déclara n'être pas le fils de la fille de Pharaon, aimant mieux souffrir avec le peuple de Dieu, que de jouir du bonheur passager des pécheurs, et regardant comme plus précieux que tous les trésors des Égyptiens, les opprobres du Christ, parce qu'il considérait la récompense. » (Hébr., XI, 25.) Comment croire que cette espérance était imparfaite, lorsque David se glorifie d'avoir obéi à Dieu, dans l'espoir de sa récompense, et que le grand législateur, par le même motif, méprise une adoption royale, et préfère les peines les plus dures aux trésors des Égyptiens ?

12. L'ABBÉ CHOEREMON. La sainte Écriture proportionne à l'état et à la mesure de chacun les conseils qu'elle nous donne pour arriver à un certain degré de perfection. Elle ne pouvait proposer à tous le même but, parce que tous n'ont pas la même vertu, la même volonté, la même ferveur. C'est pour cela qu'elle a varié ses conseils selon la vocation de chacun. L'Évangile ne nous propose-t-il pas différentes béatitudes ? il dit : « Bienheureux ceux qui auront le royaume des cieux, bienheureux ceux qui possèderont la terre, bienheureux ceux qui seront consolés, bienheureux ceux qui seront rassasiés. » (S. Matth., V.) Et cependant nous croyons qu'il y a une grande différence entre le séjour du ciel et la possession de la terre, quelle qu'elle puisse être, entre ceux qui sont consolés et ceux qui sont rassasiés de justice, entre ceux qui recevront miséricorde et ceux qui jouiront de la vue et de la gloire de Dieu. « Le soleil a sa clarté, qui est différente de celle de la lune, qui est différente de celle des étoiles, et chaque étoile brille autrement qu'une autre étoile, il en sera de même dans la résurrection des morts. » (I Cor., XV, 41.) Ainsi, quoique la sainte Écriture loue ceux qui craignent Dieu et dise : Bienheureux ceux qui craignent Dieu, en leur promettant une béatitude parfaite, elle dit cependant : « La crainte ne se trouve pas dans la charité, mais la charité parfaite éloigne la crainte, parce que la crainte ressent encore la peine, et celui qui craint n'a pas la charité parfaite. » (S. Jean, IV, 18.) Quoiqu'elle dise qu'il est glorieux de servir Dieu : « Servez Dieu dans la crainte » (Ps. II, 11)  ; « C'est une gloire pour toi d'être appelé mon serviteur » (Isaïe, XLIX, 6)  ; « Bienheureux le serviteur que son maître, à son retour, trouvera faisant ainsi » (S. Luc, XII, 43)  ; cependant Jésus-Christ dit à ses apôtres : « Je ne vous appellerai plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; mais je vous nomme mes amis, parce que tout ce j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître » (S. Jean, XV, 15)  ; et encore : « Vous serez mes amis, si vous faites ce que je vous commande. » (Ibid., 14.) Vous voyez donc qu'il y a différents degrés de perfection, et que Dieu nous invite ainsi à les monter l'un après l'autre, afin que celui qui est heureux et parfait par la crainte de Dieu, avance, comme il est dit, de vertu en vertu, de perfection en perfection, et s'élève avec joie de la crainte à l'espérance, pour arriver enfin à la charité, qui est l'état le plus heureux. Celui qui aura été serviteur fidèle et prudent, méritera l'intimité des amis et l'adoption des enfants. C'est dans ce sens qu'il faut prendre nos paroles.

La considération des peines éternelles ou des récompenses célestes promises aux saints, n'est certainement pas inutile  ; mais quoiqu'elle mette ceux qui s'en servent sur la voie du bonheur, la charité, cependant, qui renferme une confiance plus grande et une joie plus durable, les retire de la crainte servile et de l'espérance mercenaire, pour les élever à l'amour de Dieu et au rang de ses enfants. Elle rend ainsi les parfaits plus parfaits ; car, dit le Sauveur : « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père. » (S. Jean, XIV, 2.) Tous les astres brillent au ciel ; mais il y a de grandes différences entre la lumière du soleil et celle de la lune et des étoiles. Aussi, l'Apôtre montre que la charité surpasse non seulement la crainte et l'espérance, mais les dons les plus magnifiques de la grâce ; car, après avoir énuméré tous les dons spirituels, il parle ainsi de cette vertu : « Et maintenant, je veux vous montrer une voie bien supérieure : Quand je parlerais les langues des hommes et des anges ; quand j'aurais le don de prophétie et que je connaîtrais tous les mystères, quand je posséderais toute science et que j'aurais une foi capable de transporter les montagnes, quand je distribuerais tous mes biens pour nourrir les pauvres, et que je livrerais mon corps aux flammes, si je n'ai pas la charité, tout ne me servirait de rien. » (I Cor., XIII, 1, 2.) Vous voyez que rien n'est plus précieux, rien n'est plus parfait, plus utile, et je dirais même plus éternel que la charité ; « car les prophéties seront anéanties, les langues cesseront, la science sera détruite, mais la charité ne périra jamais. » (Ibid.) Sans elle, les dons les plus parfaits ne sont rien, et la gloire du martyre même devient inutile.

13. Celui qui sera affermi dans cette perfection de la charité, devra s'élever à un degré plus sublime, qui est la crainte de la charité ; non plus cette crainte qui vient de la frayeur des supplices ou du désir des récompenses, mais celle qui vient de la grandeur de l'amour, la crainte du fils pour son bon père, du frère pour son frère, de l'ami pour son ami, de l'épouse pour son époux ; une crainte qui ne redoute pas les mauvais traitements et les reproches, mais qui s'applique à éviter tout ce qui pourrait affaiblir en la moindre chose une mutuelle affection, non seulement dans les paroles, mais encore dans les actions. Le prophète Isaïe exprime parfaitement la beauté de cette crainte, lorsqu'il dit : « Les richesses du salut sont la sagesse et la science ; la crainte du Seigneur en est le trésor. » (Isaïe, XXXIII, 6.) Il ne pouvait pas exprimer plus magnifiquement la grandeur et le mérite de cette crainte, puisqu'il dit que la sagesse et la science divines, qui sont les richesses de notre âme, ne peuvent être gardées que par cette crainte de Dieu. C'est à cette crainte que le Psalmiste invite, non pas les pécheurs, mais les saints, lorsqu'il dit : « Craignez le Seigneur, vous tous qui êtes saints, parce que rien ne manque à ceux qui le craignent. » (Ps. XXXIII, 10.) Celui qui craint Dieu de cette manière est certainement arrivé à la perfection. C'est évidemment de la crainte servile que parle l'apôtre saint Jean, lorsqu'il dit : « Celui qui craint n'a pas la perfection de la charité, car la crainte est une peine. » (S. Jean, IV, 18.)

Il y a une grande distance entre cette crainte à laquelle rien ne manque, et qui est le trésor de la sagesse et de la science, et cette crainte imparfaite qui est le commencement de la sagesse, qui ressent encore une peine, et qu'éloigne du cœur des parfaits la plénitude de la charité : « Car la crainte n'est pas dans la charité, et la charité parfaite chasse la crainte. » (Ibid.) Et en effet, si le commencement de la sagesse est dans la crainte, où sera sa perfection, si ce n'est dans la charité du Christ, qui renferme en elle cette autre crainte parfaite de l'amour, appelée, non pas le commencement, mais le couronnement de la sagesse et de la science ? Ainsi donc il y a deux sortes de crainte, celle des commençants qui tremblent encore servilement sous le joug, et dont il est dit : « Le serviteur craindra son maître » (Malach., 1, 6)  ; et dans l'Évangile : « Je ne vous appellerai plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître » (S. Jean, XV, 15) ; « Le serviteur ne reste pas toujours dans la maison. » (S. Jean, VIII, 35.) Il nous invite ainsi à passer de la crainte servile à la pleine liberté de la charité, à la confiance des amis et des enfants de Dieu.

Saint Paul, qui s'était élevé au-dessus de cette crainte servile, par la vertu de la charité divine, méprise en quelque sorte ce degré inférieur, et reconnaît avoir reçu du Seigneur des dons plus parfaits : « Car, dit-il, Dieu ne nous a pas donné un esprit de crainte, mais un esprit de vertu, d'amour et de sagesse. » (II Tim., I, 7.) Et c'est pour cela qu'il exhorte ceux qui brûlaient d'amour pour leur Père céleste, et qui de serviteurs devenaient enfants par l'adoption divine : « Car, disait-il, vous n'avez pas reçu un esprit de servitude dans la crainte, mais vous avez reçu l'esprit d'adoption des enfants qui nous fait crier : Père, Père.» (Rom., VIII, 15.) C'est de la crainte parfaite que parle le Prophète, lorsqu'il énumère les sept dons du Saint-Esprit, qui doivent remplir l'Homme-Dieu, au moment de son incarnation : « L'esprit du Seigneur, dit-il, reposera sur lui, l'esprit de sagesse et. d'intelligence, l'esprit de conseil et de force, l'esprit de science et de piété, » et il ajoute comme complément de ces dons, « et l'esprit de la science du Seigneur le remplira. » (Isaïe, XI, 2.) Remarquez qu'il ne dit pas comme des autres, l'esprit de la crainte du Seigneur reposera sur lui, mais l'esprit de la crainte du Seigneur le remplira. C'est que la puissance de cette vertu est si grande qu'elle occupe, non seulement une partie de l'âme, mais qu'elle la possède tout entière.

Peut-il en être autrement, puisque, étant inséparable de la charité qui ne cesse jamais, non seulement elle remplit, mais encore elle anime sans cesse le cœur dont elle s'est emparée, sans le laisser affaiblir par les joies passagères et les plaisirs de la volupté, tandis que la crainte servile, qu'elle a chassée, n'en préserve pas toujours ? C'est donc de cette crainte parfaite qu'a été rempli l'Homme-Dieu, qui, non seulement venait racheter le genre humain, mais lui offrir le type de la perfection et l'exemple de toutes les vertus : « Celui qui était véritablement le Fils de Dieu, ne pouvait connaître la crainte servile et redouter les châtiments ; car il ne connut point le péché, et la ruse ne fut jamais dans sa bouche. » (I S. Pierre., II, 22.)

14. L'ABBÉ GERMAIN. Après avoir entendu si bien parler de la perfection de la charité, nous désirons ardemment vous entendre aussi parler de la perfection de la chasteté ; car nous n'en doutons pas ce haut degré de charité, qui conduit, comme vous l'avez montré, à la ressemblance divine, ne peut exister sans la perfection de la chasteté. Mais est-il possible de conserver toujours cette vertu sans que le moindre mouvement de la concupiscence la trouble dans notre cœur, et pouvons-nous nous délivrer de cette passion en cette vie, de manière à n'en jamais ressentir les ardeurs ?

15. L'ABBÉ CHOEREMON. Ce serait un grand bonheur et une grâce précieuse de pouvoir toujours nous entretenir de cet amour qui nous unit à Dieu, et de consacrer, à le méditer, les jours et les nuits, comme le dit le Psalmiste, pour que cette méditation soutienne notre âme qui a faim et soif de la justice. Mais il faut aussi penser à notre corps, selon la recommandation de notre bon Sauveur, de peur qu'il ne tombe en défaillance dans le chemin : « Car l'esprit est prompt, mais la chair est faible. » (S. Matth., XXVI, 41.) Prenons donc maintenant un peu de nourriture, afin qu'après avoir satisfait ce besoin, nous soyons plus attentifs à la question que vous désirez examiner.

 

F I N

 

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