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8 février 2014 6 08 /02 /février /2014 21:15

 

 Le Présent éternel (3/7)

(L'Être pur est dans le présent éternel)

 

         2) « La critique du scepticisme de l'homme-mesure se trouve déjà exposée dans le Théétète de Platon. Aristote la développe plus méthodiquement (Métaphysique, livre Gamma en entier). Saint Thomas la développe surtout dans son Commentaire sur la Métaphysique. Cf. : In IV Mét., lectio 6 et 9. Sa position se résume dans les grands thèmes dogmatiques : l'évidence est non seulement contraignante en fait, mais valable en droit (nous en verrons la justification critique dans la suite de ce chapitre, en exposant la théorie de l'intentionnalité dans la connaissance sensible et dans la connaissance intellectuelle). Les arguments sceptiques ne prouvent rien, etc."

 

           3) « Si l'on met en doute les premiers principes, tout particulièrement le principe de contradiction [ou de non-contradiction], les mots, l'expression de la pensée, perdent toute signification [d'aucuns n'ont pas encore réalisé que ce premier principe convient, en tant que principe, à tout mode d'être, réel, possible, logique ou de raison (nécessité logique enclose dans ce principe), et jouit par conséquent d'une amplitude universelle]. On aboutit à un confusionnisme universel, aucun être n'a plus de nature, ou de manière d'être précise et concevable, la diversité des choses entre elles, qu'elle soit numérique ou spécifique, s'évanouit, etc. Voir saint Thomas, Commentaire de la Métaphysique d'Aristote, l. IV, lect. 6 à 10 par ex. Le P. Garrigou-Lagrange, profondément imprégné de la pensée thomiste, a souvent repris ces thèmes avec une grande rigueur d'expression. Cf. p. 3, Le réalisme du principe de finalité, Desclée De Brouwer, IIe P., ch. I : La finalité de notre intelligence et le réalisme. Cf. sur le sot préjugé, si difficile à déraciner de certains esprits modernes : le principe de contradiction est peut-être nécessaire comme loi de la pensée, mais le réel n'y obéit pas forcément, pp. 161-170. Sur ce point voir encore J. Maritain, Réflexions sur l'intelligence (Desclée De Brouwer), qui reprend fort bien les thèses thomistes sur la question en les accommodant aux préventions d'un adversaire moderne : " Plaçons-nous dans cette hypothèse. J'accorde donc qu'un cercle carré est inconcevable, mais je dis qu'on peut douter de son impossibilité réelle, j'accorde que la contradiction ne peut pas habiter dans l'esprit, mais je dis que peut-être elle habite dans l'être. Eh bien, ce doute est lui-même impossible. Dire que l'être est peut-être absurde est lui-même une absurdité. On ne peut pas douter de l'impossibilité de l'absurde dans les choses sans poser une contradiction dans l'esprit (où l'on concède pourtant que la contradiction ne peut pas habiter). S'il est possible en effet que l'être soit absurde, alors c'est qu'il est possible que toute ma connaissance soit fausse [parce que la vérité est relative à l'être, puisqu'elle est l'accord de l'intelligence avec celui-ci]. Mais cela même, ou bien je le pense comme vrai ; tandis que je pense que ma connaissance tout entière peut être fausse, je pense donc que sur ce point ma connaissance ne peut pas être fausse, et je pose la contradiction dans mon esprit. Ou bien je ne le pense pas comme vrai, j'en doute et je suspends mon jugement en me gardant de rien affirmer sur rien. Mais alors ma pensée reste absolument indéterminée, puisqu'elle est dans un doute absolu et universel [c'est le cas du monde moderne], et en même temps elle a une détermination, puisqu'elle ne doute ainsi parce qu'elle tient pour possible que toute ma connaissance soit fausse ; et la contradiction est de nouveau posée dans mon esprit. Si de plus il n'est pas impossible que quelque malin génie réalise une chose qui soit et ne soit pas en même temps et sous le même rapport, alors en disant : " Cette chose est ", mon intelligence sera vraie, et vraie aussi en disant : " Cette chose n'est pas ". Et c'est encore poser la contradiction dans l'esprit. Au reste, si je soustrais les choses au principe d'identité [telle chose est ce qu'elle est ou a une nature déterminée], cette chose qu'est la pensée pourra n'être pas pensée, cette chose qu'est affirmer pourra être niée. Il faudra aussi que l'affirmation et la négation soient possibles ensemble, et donc que le principe d'identité [principe qui permet de donner une identité propre à chaque chose observée, comme tout être humain est titulaire d'une carte d'identité qui permet de le distinguer des autres êtres humains et de le reconnaître] soit rejeté de la pensée elle-même. En réalité c'est à l'être que le principe d'identité se porte directement et immédiatement, c'est l'être d'abord [a], non la pensée qu'il affirme identique à soi-même. Si cette première affirmation est brisée, il ne tient plus nulle part. Il est impossible de soustraire les choses au principe d'identité sans lui soustraire aussi la pensée ; il n'est la loi suprême de l'intelligence que parce qu'il est la loi suprême de l'être (pp. 46-47). »

 

           a) Saint Thomas, Questions disputées De Veritate, q. I, a. I (le "primum cognitum") :

 

           " Ce que l'intelligence conçoit premièrement comme le plus connu, et en quoi elle résout toutes les pensées, c'est l'être, comme dit Avicenne au début de sa Métaphysique."

 

           4) " Il est évident par soi qu'il y a une vérité ; car celui qui nie qu'il y ait une vérité concède qu'il n'y a pas de vérité. Si la vérité n'est pas, il est vrai qu'il n'y a pas de vérité. Mais si quelque chose est vrai, il faut bien admettre qu'il y a une vérité" (Saint Thomas d'Aquin, Somme théologique, Ire Partie, qu. I, art. 2, ad 3. Il y a tout autre chose ici qu'un jeu grammatical. Nous l'avons montré plus haut à propos du principe d'identité. Nous y insisterons en critiquant l'idéalisme. Dans la Question disputée Sur la vérité, on trouve (article IX, corps de l'article) un texte fort suggestif sur la manière dont l'intelligence prend conscience du caractère valable et fondé de son activité en réfléchissant (au sens stricte) sur celle-ci. Mais pour être pleinement apprécié et saisi, ce texte suppose qu'on ait déjà quelque connaissance de la théorie thomiste de l'intentionnalité, dont nous ne parlons que plus loin. Nous nous contentons donc d'en indiquer l'existence au passage. [Cf. pp. 50-51 : " Mais en fait nous sommes en contact avec le réel dès les premiers instants de la connaissance. Celle-ci est intentionnelle (du lat. tendere in, tendre vers), c'est-à-dire qu'elle n'a de contenu, de signification, que par rapport à l'objet. Toute connaissance est saisie de quelque chose."]

 

           5) Répétons-le : " On dit que seul le scepticisme affirmatif et catégorique est contradictoire, non le scepticisme hypothétique et suspensif " (" Que sais-je " ?). Rien n'est plus faux : une suspension universelle du jugement suppose deux fois au moins l'admission de la valeur absolue du principe d'identité :

 

a) c'est grâce à des arguments préalables, souvent complexes, et supposés valables et persuasifs que le sceptique a suspendu toute adhésion ;

 

b) le sceptique distingue son doute de la position adverse, du " non- doute ", il ne confond pas sa thèse avec les autres, elle est ce qu'elle est, n'est pas ce qu'elle n'est pas, encore le principe d'identité. Le vrai sceptique devrait se réduire non pas même à l'état d'animal (sans penser les principes, l'animal les suppose par son activité) mais à l'état de plante."

 

 

Jean de Saint-Thomas, Curs. theol., I. P., q. 12, disp. 12, a. 2 :

 

           "L'objet adéquat de l'intelligence créée enveloppe dans son amplitude Dieu Lui-même vu par son essence : 'Deus clare visus continetur intra latitudinem objecti adaequati intellectus creati' [sans oublier également que Dieu seul, la Cause première, est être par essence ou Acte pur d'être].

 

Roger Verneaux, professeur à l'Institut catholique de Paris (1956), Problèmes et mystères du mal, éd. Téqui, p. 49 :

 

           " Le comble de l'incohérence est atteint quand on enfreint l'un des principes premiers qui commandent tout discours rationnel, et spécialement le principe de contradiction. On tombe alors dans l'absurdité. Et ce qui est grave, ce n'est pas seulement qu'on se met en dehors de toute logique, dans un état de folie, mais que le mal est irrémédiable. Saint Thomas déclare froidement : 'Celui qui se trompe sur un premier principe est inguérissable ('insanabilis est')'. En effet, les premiers principes étant les vérités les plus évidentes, on ne peut trouver de principe plus premier, plus évident, qui permettrait de corriger l'erreur. Si donc quelqu'un ne voit pas la vérité des principes premiers, il est intellectuellement aveugle et personne ne peut rien pour lui. "

 

S. Thomas d'Aquin, Contra Gentiles, liv. 4e, chap. XCV et liv. 3e, chap. XLVII :

 

           " Les premiers principes sont naturellement connus ; l'erreur qui porte sur eux vient d'une corruption de la nature. C'est pourquoi l'homme ne pourrait passer d'une juste à une fausse perception des principes, ou vice versa, sans un changement de nature  ; celui qui erre sur les principes ne peut être en effet ramené par des principes plus certains, alors qu'on peut ramener l'homme dont l'erreur porte sur des conclusions. [...] les principes premiers de l'intellect tant spéculatif que pratique [...] sont comme une image de la divine vérité, universellement reproduite dans l'intelligence des hommes. Tout ce qu'acquiert l'esprit avec certitude, il le saisit en ces principes, mesure de tout jugement puisqu'en eux tout se résout [...] "

 

Ibid., Somme théologique, Ire partie, q. 85, a. 7, cependant :

 

           " Cependant, on voit par expérience que certains esprits comprennent plus profondément que d'autres. Ainsi celui qui peut ramener une conclusion aux premiers principes et aux causes premières, comprend plus profondément que celui qui la ramène seulement aux causes immédiates. "

 

Blaise Pascal (1623-1662), Pensées, tome I, n° 104, Bibliothèque de Cluny, Editions de Cluny, édition critique établie, annotée et précédée d'une introduction par Zacharie Tourneur, Paris 1942, page 49 :

 

           " Nous connaissons la vérité non seulement par la raison, mais encore par le cœur. C'est de cette manière que nous connaissons les principes premiers [...] Les principes se sentent, les propositions se concluent, et le tout avec certitude [...] "

 

Garrigou-Lagrange, O. P., professeur à la Faculté de l'Angelico, Rome, Dieu, Son Existence et Sa Nature, en 2 vol., éd. Beauchesne, onzième édition, Paris 1950 ; Première Partie ou vol. I : Existence de Dieu (quelques extraits sur la valeur ontologique des notions premières et des premiers principes), pages 103, 104, 114, 117, 118, 119, 120-121, 125, 133, 144, 145, 146 et 148 :

 

           " 14° Le principe général de l'agnosticisme moderne.- En résumé, l'empirisme et l'idéalisme kantien sont deux formes de l'agnosticisme. Et comme le remarque l'Encyclique Pascendi, le principe général de l'agnosticisme n'est autre que le phénoménisme. "La raison humaine enfermée rigoureusement dans le cercle des phénomènes, c'est-à-dire des choses qui apparaissent et telles précisément qu'elles apparaissent, n'a ni la faculté ni le droit d'en franchir les limites ; elle n'est donc pas capable de s'élever jusqu'à Dieu [la Cause première, l'Acte pur], non pas même pour en connaître, par le moyen des créatures, l'existence." (Encycl. Pasc., Pape saint Pie X, Denz., 2072). La raison humaine ne peut connaître que les phénomènes et les lois phénoménales ; nos idées, même les notions premières impliquées dans les premiers principes, n'ont qu'une valeur phénoménale, elles n'ont pas de valeur ontologique : elles ne nous permettent pas d'atteindre l'être substantiel, s'il existe [s'il se tient - lat. stare] sous les phénomènes ; à plus forte raison elles n'ont pas de valeur transcendante : elles ne nous permettent pas de connaître Dieu, l'Être transcendant, à supposer qu'il existe. [...]

           " Par valeur ontologique, nous entendons l'aptitude de ces notions premières à nous faire connaître non pas seulement les phénomènes perçus déjà par les sens ou la conscience, mais l'être (to on - l'être réel, la réalité substantielle), dont les phénomènes [les accidents] ne sont que la manifestation sensible. [...]

           " 17° Défense indirecte de la valeur ontologique des notions premières.- Montrons d'abord. A) que la négation de cette valeur conduit les agnostiques ou idéalistes à d'insolubles difficultés. Nous verrons ensuite : B) qu'elle les conduit à l'absurde.

           " A). - Difficultés insolubles.

           " L'empirisme s'est mis dans l'impossibilité d'expliquer la nécessité et l'universalité des premiers principes rationnels [des idées universelles], qui ne peuvent pourtant pas être mises en doute. La conscience nous atteste que nous les pensons comme universels et nécessaires (nous sommes tous certains que partout et toujours ce qui est réel ne peut pas être non réel ; que tout ce qui commence a une cause) ; la science d'ailleurs exige cette nécessité et cette universalité [c'est pourquoi nous pouvons formuler le syllogisme catégorique suivant de première figure : la Science (M) est réelle (T), or les idées universelles (t) sont nécessaires à la Science (M), donc les idées universelles (t) sont réelles (T) - Par exemple, si l'humanité n'est pas réelle, que devient le crime contre l'humanité ?]. [...]

           " B).- Défense indirecte par réduction à l'absurde.

           " La négation de la valeur ontologique de l'intelligence et de ses notions premières conduit en outre à rendre absurdes tous les éléments essentiels de la connaissance intellectuelle : a) l'objet, b) l'idée, c) les principes, d) l'acte d'intelligence, e) la faculté de connaître. [...]

           " b) L'idée.- Soutenir que, dans l'intellection directe, l'idée est ce qui est connu, et non pas le moyen de connaître autre chose qu'elle, c'est être obligé d'admettre que l'idée ou représentation n'est pas relative à un représenté, mais alors elle n'est l'idée de rien ; ce qui revient à dire qu'elle est, en même temps et sous le même rapport, idée et non idée. [...]

           " c) Les principes.- L'agnostique, qui doute de la valeur ontologique des notions premières doit douter de celle des principes corrélatifs, et tout d'abord de celle du principe de contradiction, fondé sur la notion d'être. [...]

           " d) L'acte de penser.- L'agnostique, de son point de vue, ne peut même pas connaître la réalité de son acte de penser, mais seulement la représentation de cet acte. Et connût-il la réalité de cet acte par conscience directe, il n'en est pas absolument certain, car, s'il doute de l'objectivité du principe de contradiction comme loi de l'être, si le réel peut être contradictoire en son fond, rien ne l'assure que l'action qu'il tient pour réelle l'est réellement. [...]

           " Aristote avait montré au livre G de sa Métaphysique en défendant ce principe, que celui qui refuse de partir de l'être (objet premier et formel de l'intelligence), et du premier principe qu'il implique, s'interdit toute affirmation soit sur l'être, soit sur l'existence de sa propre pensée, et de son propre moi. 'En quoi un tel homme diffère-t-il de la plante, qui est entièrement privée de connaissance ? Il doit imiter Cratyle qui ne pouvant plus rien dire se contentait de remuer le doigt.' (Livre G, 5, 1010 a 13). [...]

           " Telle est la défense indirecte de la valeur ontologique des notions premières considérées en général. La négation agnostique de cette valeur conduit à d'insolubles difficultés et à rendre absurdes tous les éléments essentiels de la connaissance intellectuelle. Pour éprouver la portée naturelle de l'intelligence sur l'être, la critique agnostique prive l'intelligence de sa relation essentielle à l'être [à 'ce-qui-est'], comme pour éprouver un ressort qui se briserait. [...]

           " 18° Défense directe de la valeur ontologique des notions premières.- Il ne s'agit pas ici, nous l'avons dit plus haut, d'une démonstration directe, on ne démontre pas directement ce qui est de soi et immédiatement évident. On ne peut qu'expliquer les termes pour mieux saisir leur connexion immédiate, et résoudre les objections. [...]

           " Si les conceptualistes subjectivistes à la manière de Kant objectent que l'être tout en étant de soi d'ordre intelligible et non sensible, n'est peut-être qu'une forme subjective de l'entendement, nous répondrons en montrant l'opposition de cette notion d'être avec celles qui n'expriment que des êtres de raisons [et non des êtres réels], susceptibles seulement d'exister dans l'esprit [humain], susceptibles d'être conçus, et non pas d'être réalisés par exemple avec les notions logiques d'universalité, de spécificité, de prédicat, etc. Ou encore, pour être plus clair, il suffira d'opposer la formule ontologique du principe de contradiction : 'Il est impossible qu'un même être sous le même rapport soit et ne soit pas', à la formule logique : 'On ne peut affirmer et nier le même prédicat du même sujet sous le même rapport.' Cette seconde formule exprime seulement l'inconcevabilité de l'absurde, la première exprimait l'impossibilité de l'absurde. Vouloir réduire la notion d'être à une forme subjective de l'esprit et le principe de contradiction à une simple loi logique et non pas ontologique, c'est identifier deux notions manifestement distinctes : l'impossible (ou l'irréalisable) et l'inconcevable, ou tout au moins c'est ne plus oser affirmer que ce dernier et douter de l'impossibilité extramentale de l'absurde. Celui qui douterait de la valeur ontologique de la notion d'être et du principe de contradiction devrait dire : un cercle carré est inconcevable, mais il n'est peut-être pas irréalisable en dehors de l'esprit. Nous avons vu, dans la défense indirecte, que ce doute est absurde, même subjectivement, et impossible. [...]

           " Les principes premiers qui fondent tout raisonnement sont enfin immédiatement perçus dans l'être, objet premier de l'intuition-abstractive de l'intelligence. 'Intellectus naturaliter cognoscit  ENS et  EA QUÆ SUNT PER SE ENTIS, in quantum hujusmodi, in qua cognitione fundatur PRIMORUM PRINCIPIORUM noticia' : 'L'intellect connaît naturellement l'être et ce qui appartient par soi à l'existant en tant que tel, en cette connaissance est fondée la notion des premiers principes' (S. Thomas d'Aquin, Contra Gentiles, livre IIe, chap. LXXXIII, § 15, 'Adhuc. Cum natura semper').- L'enfant n'a pas besoin qu'un maître lui apprenne les principes d'identité, de contradiction, de substance, de raison d'être, de causalité, de finalité. A propos de tout, il cherche la cause et nous fatigue de ses pourquoi ; si même il ne possédait pas ces principes, comme le dit Aristote (Organon, Les seconds analytiques, liv. I, chap. I, 71 a), l'action du maître sur lui ne serait pas possible ; tout enseignement suppose dans le disciple une connaissance préalable.

           " 19° Objections idéalistes. On ne peut partir de l'être ; un au delà de la pensée est indispensable. Réponse.- [...] Cette difficulté n'est pas nouvelle, les sophistes comme Protagoras n'avaient pas manqué de la soulever, on peut s'en convaincre en lisant les chapitres V et VI du livre G de la Métaphysique d'Aristote, qui a pour but de les réfuter. S. Thomas d'Aquin, dans sa Somme théologique, Ire Partie, q. 85, a. 2, reproduit cette objection sous la forme suivante : 'Rien n'est connu que s'il est dans le sujet connaissant. Or, les réalités extramentales ne peuvent être dans le sujet connaissant. Donc elles ne peuvent être connus ; nous ne connaissons que nos propres idées.' [...]

           " Telle est l'objection classique faite contre la solution donnée par le réalisme traditionnel au problème des universaux. S. Thomas la résout dans sa Somme théologique, Ire Partie, q. 85, a. 2, ad. 2 : L'intelligible ne peut être dans les choses matérielles avec le mode abstrait, immatériel, universel qu'il a dans l'esprit, je le concède ; il ne peut y être sans ce mode à titre de nature ou essence connue par l'intelligence, je le nie. 'Quand on parle, dit S. Thomas, de l'intelligible, de l'universel, de l'abstrait, on peut entendre deux choses : soit d'une part la nature de la chose connue, soit d'autre part l'intelligibilité actuelle, l'universalité ou l'abstraction. La nature, par exemple l'humanité, qui est intellectuellement connue, qui est abstraite et universelle, n'existe que dans les individus, mais ce mode qui est l'intelligibilité actuelle, l'universalité, l'abstraction n'existe que dans l'esprit [qui a cependant abstrait de l'individu qu'il perçoit quelque chose de bien réel ... sa substantifique moelle, en quelque sorte]. Il y a déjà quelque chose de semblable pour la connaissance sensible : la vue perçoit la couleur d'un fruit sans percevoir son odeur. Si l'on demande où est la couleur qui est vue sans l'odeur, on répond qu'elle est dans le fruit. Mais que la couleur soit perçue sans l'odeur, cela est relatif à la vue, qui reçoit une similitude représentative de la couleur et non de l'odeur. [Nous pouvons même dire que nos sens reçoivent bien une partie substantielle des choses qu'ils connaissent : notre odorat et notre goût absorbent bien des corps réduits à l'état de volatilisation ou de dissolution, et notre vue un objet à l'état de rayonnement, car il faut une cause, une cause efficiente, et la lumière est une émission de matière à l'état radiant.] [...]

           " Nos concepts ne peuvent exprimer d'une manière universelle que ce que nos sens perçoivent d'une manière singulière, soit à titre d'objet proprement sensible, soit à titre d'objet sensible per accidens. Or, les sens ne perçoivent que des phénomènes sensibles à titre d'objet proprement sensible, je le concède ; ils ne perçoivent même pas accidentellement l'être (en tant que tel) et la substance (principe et cause, selon la forme, de ce-qui-est), sujet des phénomènes, je le nie ; la vue ne perçoit pas en effet la couleur en général, mais un sujet coloré, en tant que coloré ; l'intelligence l'atteint en tant qu'être et substance, elle lit au moins confusément dans les phénomènes (intus legit) le principe de leur intelligibilité, l'essence dont ils sont la propriété (cf. S. Thomas, in De anima, liv. II, leç. 13 ; Somme théologique, Ire Partie, q. 17, a. 2 ; ibid., q. 78, a. 3, sol. 2). [...]

           " Le motif formel de la certitude de cette valeur ontologique est l'évidence non pas sensible, mais intellectuelle, sous la lumière non des sens mais de l'intelligence. C'est ce qui fait que cette certitude est métaphysique et supérieure à celle de la connaissance sensible. [...]

           " Et l'intelligence juge dans sa lumière à elle, et par ses propres principes de la valeur de la sensation dont elle se sert : Une sensation de rien de senti serait contraire au principe de contradiction ; une sensation se produisant sans cause extérieure déterminante serait contraire au principe de causalité ; des sens qui ne seraient pas ordonnés à connaître une réalité sensible seraient contraires au principe de finalité. Accidentellement le sens peut se tromper même à l'égard de son objet propre, par suite d'une mauvaise disposition de l'organe (cf. S. Thomas, S. th., Ire Partie, q. 17, a. 2). Au contraire, l'intelligence [sauf cas d'aliénation mentale] ne peut se tromper même accidentellement sur les notions premières simples et les premiers principes (cf. S. Thomas, S. th., Ire Partie, q. 17, a. 3, ad. 2), la certitude naturelle de ces principes subsiste sous les erreurs systématiques qui les dénaturent ou qui les nient (il est toujours possible d'interposer entre l'intelligence et le vrai un écran qui vient de notre mauvais vouloir - cf. Apologia pro vita sua du cardinal Newman). Ces erreurs sont comme un nuage d'imagination à la surface de l'intelligence et ne peuvent en modifier le fond, ce qui reviendrait à détruire l'intelligence même. Au sujet de ceux qui nient le principe de contradiction, Aristote remarque : 'Tout ce qu'on dit, il n'est pas nécessaire qu'on le pense' (Métaphysique, liv. G, chap. III, 1005 b 25). [...]

           " La certitude et la valeur ontologique des notions premières et des premiers principes sont naturellement et logiquement antérieures à la théorie par laquelle on essaie d'expliquer comment se produit cette certitude et comment notre intelligence entre en contact avec l'être et est déterminée et mesurée par lui. La constatation d'un fait précède nécessairement la théorie explicative du mode intime selon lequel ce fait se produit."

 

 

Pourquoi saint Thomas a critiqué saint Augustin, ayant "versé aux débats un ensemble de documents d'une importance extrême." - Archives d'Histoire doctrinale et littéraire au moyen âge, 1926-1927, Paris, Vrin.) :

 

           " [...] C'est ici que M. Gilson devient tout à fait intéressant. Avec quelle timidité d'historien, quelles précautions, quelles nuances, il avance l' « hypothèse d'une décision philosophique pure » qui aurait précédé et commandé le changement radical opéré par saint Thomas dans le mode de notre connaître! Scrupules assurément légitimes chez un historien qui, par profession, se cantonne in via inventionis, et pour qui tous les éléments d'une genèse doivent être matériellement représentés par des textes, étalés selon leur ordre d'apparition phénoménale et comme articulés bout à bout [logique n'est pas nécessairement ontologique]. C'est au point qu'en le lisant, il prend envie au thomiste métaphysicien qui, lui, opère in via judicii, c'est-à-dire en partant des causes et des principes qui commandent la synthèse, de lui crier : N'ayez pas peur, vous y êtes. Entrez donc.

 

           " Mais, de fait, voici M. Gilson qui entre !

 

           " [...] Étienne Gilson : 'Aristote, qui refuse le scepticisme latent sous le platonisme, et tire les conséquences logiques de ce refus : il y a un élément de stabilité dans les êtres sensibles, et c'est pourquoi les sens ne se trompent pas lorsqu'ils jugent, dans des conditions normales, de l'objet qui leur est propre ; dès lors, les choses étant [ens], elles son nécessairement intelligibles, et efficaces dans les opérations en ce qu'elles accomplissent [1] ; la connaissance ne s'explique donc pas plus par un monde d'intelligibles extérieurs à la pensée [à la pensée humaine - cf. Platon] que les choses mêmes qu'elle connaît, mais par un intellect agent, doué d'une lumière naturelle qui produit l'intelligible [2].' [...]

           " Mais pourquoi les choses sont-elles vraiment ? M. Gilson nous quitte après avoir insinué ce pourquoi suprême. Il ne s'étend pas sur les raisons qui motivent cet être concédé aux choses par saint Thomas et que saint Augustin, dans la mesure où il suivait Platon, leur refusait ; il ne donne pas la raison suprême de l'existence du pourquoi de l'intellect agent créé, indispensable selon saint Thomas pour extraire des choses l'intelligibilité, que saint Augustin ne trouvait que dans les idées de Dieu. [...]

           " [...] La théorie de la Participation à la Source des êtres et de leur intelligibilité ne considérait que le côté formel des choses, entia ut talia, dira saint Thomas, et, par suite, elle n'explicitait point la causalité efficiente, en laquelle, pour les aristotéliciens, la causalité formelle exemplaire comme la finale doivent converger pour produire des existants, entia secundum quod sunt entia (S. Thomas d'Aquin, S. th., I P., q. XLIV, a. 2). Je ne dis pas que la cause efficiente était absolument absente de la mentalité platonisante : elle y était, par la force des choses, sous-entendue et comme enveloppée : mais elle n'y était pas analysée en elle-même, ni reconnue dans son caractère de cause productrice distincte et séparée de son effet, véritable esse alterius, projetée hors de l'être de sa cause. [...]

           " Tout autrement se présente le thomisme. C'est avant tout une métaphysique de l'être en tant qu'être. L'être, ens [étant], est le premier objet 'qui tombe dans l'intelligence'. Ce n'est pas le réel tout court : une essence est réelle, comme intelligibilité : et cependant, absolument parlant, elle n'est pas [évitons la contradiction et soyons plus précis : l'essence n'est absolument réelle qu'en la Pensée divine, car Dieu est Acte pur, l'Être même, 'Je Suis']. Le mot ens, 'étant', pour reprendre l'expression de M. Gilson, désigne l'être, mais au participe présent, dans son maximum de réalisation [de manifestation]. Il met en relief la qualité d'esse qui est comme l'acte qui achève l'être, ce que le mot res ne fait pas. Il dit donc l'essence, plus l'existence, signifiées à l'état d'actualité subsistante. Il est ainsi adapté à signifier la totalité des choses ramassées dans une seule expression conceptuelle. [...]

           " [...] La cause produit l'être de l'autre. C'est-à-dire qu'il y a non seulement distinction, mais séparation de ' l'étant ' de l'effet et de ' l'étant ' de la cause, que l'effet est projeté hors de sa cause pour y exister de son existence propre [bien qu'il ait toujours son être en Dieu - cf. Actes, XVII, 28]. A la vérité cette projection [ou manifestation] est l'œuvre propre de la cause efficiente, mais cela suffit, puisque ni la cause finale, ni la cause formelle extrinsèque ou exemplaire ne produisent [ne se manifestent ad extra] qu'en se concrétisant dans une cause efficiente. [...]

           " [...] Voilà l'idée d'après laquelle saint Thomas va restaurer la philosophie de l'Univers. Est-elle nouvelle ? Non, en ce sens que le dogme chrétien de la création l'affirmait comme un fait. Oui, quant à la justification rationnelle du fait, justification qui manifeste la nécessité de la séparation de l'être de l'effet et de l'être de la cause, et permet de constituer en doctrine indépendante l'étude des natures créées, sans y mélanger quoi que ce soit de l'être propre de leur cause. Voilà la révolution aristotélico-thomiste dans sa première apparition intellectuelle, primum punctum saliens, dont la philosophie thomiste de la connaissance ne sera qu'une conséquence [du dogme chrétien de la création]. [...]

           " Désormais l'être créé peut s'organiser avec ses ressources propres. La reconnaissance de la division de l'être en acte et puissance a permis de découvrir et rejoindre la Source de l'être, sans soustraire aux choses, désormais démontrées produites par la Cause divine, leur être individuel. La division de l'être créé en prédicaments permettra d'organiser l'être et l'activité de ces mêmes choses. [...]

           " Un pas à faire encore, et l'intellect agent, véritable pouvoir de l'âme, jaillira [salient] de toute cette synthèse. 'L'hypothèse cruelle au cœur d'un véritable historien' s'imposera. C'est à l'intérieur de la pensée de saint Thomas, sous la pression de son 'thomisme' métaphysique, qu'éclora le 'thomisme' de sa théorie de la connaissance. Le De ente et essentia est le père de l'intellect agent créé, inauguré par saint Thomas. [...]

           " Si donc saint Thomas a critiqué saint Augustin, c'est sans doute en raison de l'être absolument propre qu'il attribuait aux choses créées : 'les choses étant', comme dit M. Gilson ; mais c'est aussi parce que la causalité aristotélicienne, substituée par lui à la participation platonicienne, exigeait que l'être produit [manifesté], séparé [3] de sa cause par cette production même, pût se suffire à lui-même, et comme être et comme cause efficiente immédiate de ses opérations, jusques et y compris les opérations de l'âme [en effet, quand nous pensons, c'est bien nous qui pensons, et non notre voisin, ce qui n'empêche pas que, selon S. Jean (I, 9), ' Dieu est la Lumière véritable qui éclaire tout homme ']."

 

           1) Et c'est pourquoi la Science (i.e. la vraie science - M), elle aussi, est bien réelle (T) ou constitue un Étant (T) - n'appartenant pas à l'ordre du possible,- ce que nous démontrons et formulons par le syllogisme catégorique suivant (de première figure) : la Science (M) est réelle (T), or les idées universelles (t) sont nécessaires à la Science (M), donc les idées universelles (t) sont réelles (T).

 

           2) L'intellect agent, qui est une certaine vertu de l'âme humaine inhérente à une forme incorporelle, est le principe propre de l'action qui consiste à abstraire les espèces intelligibles ou les formes universelles des images préparées par les facultés de la cogitative et de la mémoire, c'est-à-dire par l'intellect passif qui possède un organe corporel et qui atteint, distingue et compare les choses ou données particulières  ; et l'intellect possible, qui est non mêlé au corps, est quelque chose de l'âme qui reçoit ces formes ou espèces intelligibles - opération qui s'accomplit avec une certaine passion ou un certain pâtir - et qui les comprend et conserve pour toujours. (Cf. S. Thomas d'Aquin, Contra Gentiles, liv. II, cc. LX, LXXVI et LXXVII  ; S. Thomas d'Aquin, Somme théologique, I, q. 78, a. 4, sol. 5, et q. 79, aa. 2, 3 et 4.)

 

           3) Rappelons malgré tout qu'en Dieu nous avons la vie, le mouvement et l'être et que toute chose créée qui serait absolument séparée de Lui retournerait instantanément au néant (cf. Actes, XVII, 28 ; Éphésiens, I, 17). Distinguons bien l'être créé de l'Être incréé sans les désunir ! Saint Thomas d'Aquin, bien sûr ! savait tout cela, et c'est la raison pour laquelle il ne s'est quand même jamais séparé de la pensée de saint Denys l'Aréopagite que les théologiens modernes qualifient à tort de platonicien.

 

S. Thomas d'Aquin, Somme théologique, II, IIe, qu. 8, art. 1, conclusion :

 

           "Qui dit intelligence dit une certaine connaissance intime (quamdam intimam cognitionem) : faire acte d'intelligence, c'est en effet comme qui dirait 'lire dedans' (intus legere)." [C'est bien le nom d'intuition ou de connaissance intime qu'il convient de donner en propre à l'acte d'intelligence. Et cette intelligence, qui chez l'homme commence par les sens, pour pénétrer au-delà des choses naturelles et parvenir à une béatitude surnaturelle à laquelle l'homme est ordonné par sa connaissance du bien et de l'être dans leur aspect universel, devra recevoir une lumière surnaturelle qui s'appelle le don d'intelligence (1).]

 

           1) Cf. S. Thomas d'Aquin, Somme théologique, II, IIe, qu.2, art. 3, conclusion.

 

ID., solution 1 :

 

           "La lumière naturelle qui est mise en nous fait connaître immédiatement (statim) certains principes généraux (quædam principia communia) qui sont naturellement connus (naturaliter nota)." [Il s'agit là de la connaissance intime et naturelle, intuitive et vraiment première, des premiers principes évidents par eux-mêmes, et par conséquent indémontrables, savoir tout être est ce qu'il est, ce qui est ne peut pas être et n'être pas en même temps et sous le même rapport, tout ce qui commence d'être ou tout ce qui est d'une existence contingente a une cause, etc., et qui jaillissent spontanément en nous grâce à la lumière de notre intellect agent.]

 

ID., solution 2 :

 

           "Toujours le mouvement discursif de la raison commence à l'intelligence et se termine à l'intelligence : nous raisonnons en effet en partant de certaines choses dont nous avons l'intelligence, et le mouvement de la raison est achevé dès l'instant que nous parvenons à l'intelligence de ce qui jusque-là nous était inconnu."

 

Ibid., I, qu. 79, art. 8, conclusion :

 

           "Faire acte d'intelligence, c'est simplement saisir la vérité intelligible. Raisonner, c'est aller d'un objet d'intelligence à un autre, en vue de saisir la vérité intelligible. [...] Le raisonnement est donc à l'intelligence ce que le mouvement est au repos, ou l'acquisition à la possession, l'un appartenant à l'être parfait (intellectus), l'autre à l'imparfait (ratio). Mais du fait que toujours le mouvement procède de l'immobile, le raisonnement humain procède, par la méthode de recherche ou d'invention, de quelques connaissances intellectuelles simples, qui sont les premiers principes (prima principia) ; ensuite, par la méthode de jugement, il retourne de nouveau à ces premiers principes, à la lumière desquels il éprouve les résultats de sa découverte."

 

Ibid., 2a-2æ, qu. 49, art. 5, sol. 2 et 3 :

 

           « La certitude de la raison vient de l’intelligence, mais la nécessité de la raison du défaut de l’intelligence (ex defectu intellectus). Les êtres en effet chez qui l’intelligence possède sa pleine vigueur n’ont pas besoin de la raison, mais ils saisissent la vérité de leur simple regard (sed suo simplici intuitu veritatem comprehendunt), comme (sicut) Dieu et les anges. […] Bien que l’intelligence et la raison ne soient pas des puissances différentes, elles prennent leur nom cependant d’actes divers : en effet, le nom d’intelligence se prend de l’intime pénétration de la vérité (ab intima penetratione veritatis) ; mais (autem) le nom de la raison de la recherche et du discours (ab inquisitione et discursu). »

 

Ibid., I, qu. 85, art. 7 (Quelqu'un peut-il mieux comprendre une réalité qu'un autre?), cependant :

 

           "On voit par expérience que certains esprits comprennent plus profondément que d'autres. Ainsi celui qui peut ramener une conclusion aux premiers principes (prima principia) et aux causes premières (et causas primas), comprend plus profondément que celui qui la ramène seulement aux causes immédiates."

 

ID., sol. 2 :

 

           "De même pour la seconde difficulté (qui consiste à soutenir qu'il n'y a pas de plus ou de moins dans la connaissance d'une réalité) : car la vérité de l'intelligence consiste en ce qu'elle connaît le réel tel qu'il est."

 

Ibid., I, qu. 86, art. 6, sol. 2 :

 

           "[...] L'âme humaine est plus apte à recevoir les impressions des causes spirituelles, lorsqu'elle est retirée des sens : car elle est par là même plus proche des esprits, et plus libre des troubles extérieurs." [D'où l'importance de la morale ou de la voie purgative.]

 

Ibid., Ire Partie, qu. 55, art. 3, conclusion :

 

           « Certains hommes ne saisissent la vérité intelligible que si elle leur est expliquée en détail, point par point. Cela tient à la faiblesse de leur intelligence ; alors que d’autres, dont l’intelligence est plus puissante, peuvent saisir un grand nombre de choses à l’aide de quelques principes. »

 

S. Matthieu, V, 8 :

 

           "Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu'ils verront Dieu." [Or Dieu est Celui qui est, c'est-à-dire l'Être même ou la Vérité même. Donc, ceux qui ont le cœur pur verront l'Être ou connaîtront la Vérité ou le Réel tel qu'Il est et, en Lui, tout ce qui est créé et qui n'existe que par Lui ou n'a de réalité que par Lui.]

 

Jean Baruzi (1891-1953), licence de philosophie à 19 ans, docteur ès Lettres (thèse de doctorat sur Saint Jean de la Croix et le problème de l'expérience mystique soutenue le 21 novembre 1924 à la Sorbonne avec la mention Très Honorable), prof. au Collège de France, L'intelligence mystique, éditions Berg International, Paris 1985, collection l'Ile Verte, p. 213, conférence de Genève, 1951 (Le problème de la vie et les formes les plus hautes de l'expérience religieuse), textes choisis et présentés par Jean-Louis Vieillard-Baron, publié avec le concours du Centre National des Lettres :

 

           " L'auteur des Deux Sources [Bergson], qui a si bien analysé ce qu'il appelle 'la fonction fabulatrice' et la superstition chez l'être raisonnable, n'a pas indiqué à quel point théologiens et philosophes, en leurs exigences de structure solide, contribuent à vaincre une autre sorte d'absurdité, inhérente à toute mystique que ne contrôlerait pas une raison sévère, cette raison sévère que, tout au contraire, certains grands Mystiques ont puissamment appelée à eux. Sans une sévérité de cette sorte l'expérience religieuse risque de sombrer dans l'incohérence. Aussi est-ce d'une telle rigueur que toute analyse objective doit partir. Alors se découvre un univers dont tout être qui, dans la prière, se recueille avec profondeur et austère sincérité, aperçoit le premier commencement. Mais les multiples expressions du génie humain sont à écouter, et non pas une seule d'entre elles. "

 

Id., Présentation, J.-L. Vieillard-Baron, II, 3. La philosophie de la mystique, p. 45 :

 

« On a souvent, en effet, assimilé la mystique et l'extase : c'est une grave erreur. L'extase est un état psychologique de ravissement qui n'est pas la plus haute forme de l'expérience mystique, ni de la vie religieuse. L'extase est soumise, très normalement, à la critique théorique et psychique ; le vrai mystique se défie de l'extase. [...] Mais l'entrée dans la vie divine est accompagnée d'angoisse, et l'extase ne s'identifie pas à l'état théopathique. Celui-ci est en effet l'essentiel. La notion en a été forgée, essentiellement à partir du cas de sainte Thérèse d'Avila, par Henri Delacroix, à l'égard duquel Jean Baruzi reconnaît sa dette. De même que sainte Thérèse se méfiait de tout ce qui est psychologiquement extraordinaire, de même saint Jean de la Croix fait une critique en règle des 'appréhensions distinctes'. Qu'est-ce que dès lors que l'état théopathique? C'est l'intériorisation radicale en son rythme d'introversion qui descend jusqu'au centre spirituel de l'être, pour y trouver une vie humano-divine. »

 

Id., pp. 40 et 42 :

 

" Le solipsisme est l'enfermement de la conscience éprise d'objectivité dans le cercle de ses représentations personnelles. La voie que suit Baruzi est tout autre : après Maine de Biran, après Bergson, il admet la valeur irremplaçable de l'observation intérieure. Il ne s'agit plus d'une démarche statique et représentative, mais d'une intériorité vivante comme mouvement d'intériorisation. Dans la solitude et le silence, l'intériorité est confrontée à l'absolu. Dès lors il peut y avoir philosophie de la mystique, reconnaissance directe de la réalité vivante de l'esprit. [...] La mystique plénière est celle qui conduit l'âme 'à un univers intérieur', 'à une nouvelle perception des choses'. Elle régénère tout, y compris 'notre repos'. Si la mystique est une nouvelle vision du moi, du monde et de Dieu, alors, elle est 'philosophiquement fondée'. [...] 'Considérons ce Moi qui s'approfondit et se libère.' "

 

Louis Jugnet (1913-1973), agrégé de l'Université, professeur de khâgne (préparatoire à l'Ecole normale supérieure) au Lycée Pierre-de-Fermat et chargé de Cours à l'Institut des Sciences politiques de Toulouse, "Se passer de métaphysique ?", Revue mensuelle L'Ordre Français, Septembre-Octobre 1973, Imprimerie Dessaint, pp. 86, 87 :

 

           " Une pluralité de facteurs contribue ici à diviser les intelligences : d'abord, la difficulté des problèmes posés, qui supposent un haut esprit d'abstraction et des dons de synthèse qui ne courent pas les rues. Ensuite, et de façon complémentaire, la diversité des tempéraments intellectuels. [...] Il y a plusieurs façons d'être intelligent : tel qui dans l'analyse du concret est comme aveugle devant l'intelligible pur (ex. : les philosophes empiristes anglo-saxons, si l'on en croit les sarcasmes de Leibnitz)  ; tel qui raisonne inlassablement sur des concepts enchaînés en une dialectique rigoureuse est inaccessible aux démentis de l'expérience et aux nuances du concret (ex. : Spinoza déduisant sa philosophie 'more geometrico', et Hegel mettant en formules triadiques les comètes et les continents). L'erreur est alors facile à commettre. Mais elle ne prouve pas que le vrai soit 'impossible' à atteindre pour le métaphysicien. [...] La condition de celui-ci est évidemment différente de celle du mathématicien : il n'a pas de calcul à sa disposition. [...] Il s'agit en l'occurrence d'être fidèle à la fois aux toutes premières évidences de l'expérience sensible et intellectuelle, et d'obéir à un ordre rigoureux dans le développement de sa pensée, afin d'aboutir à des évidences 'médiates', dont la valeur est tout entière en dépendance de celle dont jouissent les évidences immédiates. [...] Il faut dire fermement avec tous les grands philosophes que la bonne raison se prouve en raisonnant bien, et que le vrai est à lui seul sa propre lumière, de même que la lumière n'a pas besoin d'être éclairée, mais éclaire tout le reste. [...] Une philosophie véritable devra donc satisfaire à des exigences convergentes : tout d'abord ne pas se contredire elle-même, car la contradiction est un signe d'erreur. Elle devra posséder une réelle et forte unité organique [...] (toute la doctrine est virtuellement contenue en chacun de ses principes et de ses thèses) "

 

           La philosophie, sagesse humaine qui opère par la lumière naturelle de la raison, et la théologie, science de Dieu, sont parfaitement distinctes, celle-là étant soumise à celle-ci qui la contrôle du dehors  ; et la Philosophie première ou Métaphysique, le cœur même de toute la philosophie et dont la partie la plus élevée s'appelle Théologie naturelle ou Théodicée (1), est la servante de la Théologie surnaturelle ou révélée (dans la mesure où elle est vraiment révélée), ou simplement Théologie, qui a pour principes les vérités formellement révélées par Dieu, i.e. les dogmes ou articles de foi, et qui, quant à elle, à titre de Science supérieure, juge la philosophie en déclarant fausse toute proposition philosophique incompatible avec une vérité théologique ou révélée, car la philosophie, bien que maîtresse chez elle, peut se tromper par accident dans son propre domaine (2).

 

           1) Terme de Leibniz.

 

           2) S. Thomas d'Aquin, Somme théologique, Ire partie, q. 1.

 

Louis Jugnet, Problèmes et grands courants de la philosophie, Les Cahiers de l'Ordre Français, Nouvelle édition, revue et augmentée, préface de Marcel De Corte, 7e Cahier, 1974, page 17 :

 

           " Par-delà sa place dans les programmes scolaires, la philosophie est une étude de problèmes manifestement réels et inévitables pour quiconque ne veut pas vivre comme une brute, sans jamais réfléchir. "

 

S. Thomas d'Aquin, Commentaire sur le traité du Ciel et du Monde (Aristote), livre I, leçon 22, n° 8 :

 

           " Studium philosophiæ non est ad hoc quod scitur quid homines senserint, sed qualiter se habeat veritas rerum : L'étude de la philosophie consiste à savoir non ce que les hommes ont pensé, mais la vérité des choses."

 

Ibid., Somme théologique (S. t.), I, q. 1, a. 8, sol. 2 :

 

" [...] l'argument d'autorité est le plus infirme quand il s'agit de l'autorité d'une raison humaine [...] "

 

Ibid., De subst. separ., c. 16 :

 

" Omne verum a quocumque est, a Spiritu Sancto est : Toute vérité d'où qu'elle vienne procède du Saint Esprit. "

 

P. Trotignon, du C.N.R.S., dans la Revue de l'enseignement philosophique de Juin-Juillet 1968, cité par Louis Jugnet dans les Problèmes et grands courants de la philosophie, ouv. cité plus haut, 1974, p. 20 :

 

           " L'enseignement philosophique ne part pas des œuvres, et n'a pas pour objet essentiel, dans un enseignement d'initiation, l'explication spécialisée de ces œuvres. Son objet essentiel est la formulation de problèmes par le moyen de l'analyse des concepts. Par conséquent, si un programme de Lettres est un programme d'œuvres, un programme de philosophie sera un programme de notions. "

 

           N'oublions pas qu'une philosophie qui prétend ne pas être jugée par les vérités formellement révélées par Dieu ou qui ne veut tenir aucun compte du Magistère infaillible de l'Église de Jésus-Christ fait fausse route (1). " En ce qui regarde l'âme, dit Platon, avons-nous la vérité ? Pour l'affirmer, il faudrait que Dieu confirmât notre dire " (2). Or, depuis Platon, Dieu a envoyé son Fils unique qui a bâti son Église sur l'apôtre Pierre et sur ses successeurs pour confirmer, par eux, notre dire (3). Par conséquent, un chrétien qui franchirait les limites que le Magistère traditionnel de cette Église a fixées nuirait à sa vie intérieure et œuvrerait en vain (4). Dieu ne nous a pas laissés orphelins (5). Nous croyons que la Bible (ou la Sainte Ecriture) est l'ensemble des livres ont été écrits sous l'inspiration de l'Esprit Saint, qu'ils ont par suite Dieu pour auteur et qu'ils ont été confiés à la Sainte Église Catholique comme divins et inspirés.

           1) Colossiens, II, 8-9 : " Prenez garde qu'il ne se trouve quelqu'un pour vous réduire en esclavage par le vain leurre de la philosophie, selon une tradition tout humaine, selon les éléments du monde, et non selon le Christ. Car en lui habite corporellement toute la plénitude de la Divinité. "

           2) Timée, 73a.

           3) S. Matthieu, XVI, 18-19 : " Eh bien ! moi [Jésus] je te dis : Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Église, et les Portes de l'Hadès ne tiendront pas contre elle. Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux : quoi que tu lies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour lié, et quoi que tu délies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour délié. " - Ibid., XXVIII, 20 : " Et voici que moi [Jésus], je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps. "

           4) Psaumes, CXXVI, 1 : " Si Dieu ne bâtit la maison, en vain les maçons peinent  ; si Dieu ne garde la ville, en vain la garde veille. "

           5) S. Jean, XIV, 18, 25 : " Je [moi, Jésus] ne vous laisserai pas orphelins. [...] Mais le Paraclet, l'Esprit Saint, qu'enverra le Père en mon nom, Celui-là vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit. " - Ibid., XVI, 7, 12 : " Mais [moi, Jésus] je vous dis la vérité : il vous est utile que je parte. Car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous  ; mais si je m'en vais, je l'enverrai vers vous. [...] J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter actuellement. Quand Il viendra, Lui, l'Esprit de Vérité, Il vous guidera vers la Les Vérité intégrale. "

 

S. Jean de la Croix, Œuvres spirituelles du Bienheureux Père Jean de la Croix, trad. Cyprien de la Nativité, O. C. D., éd. Desclée De Brouwer, 1959, La Montée du Mont Carmel, liv. I, chap. VIII, p. 86 :

 

           " L'âme qui est captive de ses appétits est en ténèbres selon l'entendement et ne donne lieu au soleil de la raison ni à celui de la sagesse surnaturelle de Dieu, pour l'investir et pour l'illuminer. "

 

S. Thomas d'Aquin, Somme théologique, Ire partie, question 75, article 5 (cf. id., q. 76, a. 1, diff. 3) :

 

           " Ce qui est reçu est reçu selon le mode de celui qui reçoit. " (" Omne quod recepitur in eo secundum (vel per) modum recipientis. ") - Id., Ire partie, question 75, article 2, conclusion : " Un liquide prend la coloration du verre où il est versé. "

 

Aristote, Ethique à Nicomaque, III, 7 :

 

           " C'est par l'exercice des actions particulières que les hommes acquièrent un caractère du même genre qu'elles. [...] C'est la nature même de notre caractère qui nous fait poser telle ou telle fin. "

 

Id., II, 1, 1103 b 6 :

 

" Le vice (est) volontaire comme la vertu, puisque l'homme méchant, tout comme l'homme de bien, est cause par lui-même de ses actions, même s'il n'est pas cause de la fin. [...] Les actions qui, comme causes ou comme moyens, sont à l'origine de la production d'une vertu quelconque, sont les mêmes que celles qui amènent sa destruction, tout comme dans le cas d'un art. "

 

S. Thomas d'Aquin, Contra Gentiles, liv. 2, chap. 73  ; cf. chap. 79 :

 

" L'opération propre de chaque chose suit et manifeste son espèce. "

 

Id., chap. 98 :

 

" Tout être qui agit ou opère le fait par sa forme à laquelle l'opération répond. "

 

Aristote, Métaphysique, liv. Dzêta, 9, 1034 a 30 :

 

           " Le principe de toute production, c'est la substance formelle. "

 

S. Thomas d'Aquin, Contra Gentiles, liv. 2, chap. 49 :

 

           " La forme est en toute chose le principe de l'action. "

 

           Tout ce qui tend vers quelque fin possède une aptitude ou une proportion à cette fin (a). Tout sera facilité à l'être pour ce en vue de quoi il a été créé.

          

a) Cf. ibid., Somme théologique, II-I, q. 25, a. 2 :

 

           " Des actes qui se ressemblent engendrent des habitudes qui leur ressemblent " (a). En effet, tout aliment absorbé ne fait pas sur-le-champ grandir l'animal, pas plus que toute goutte qui tombe ne creuse sur-le-champ un trou dans la pierre ; mais, quand l'alimentation s'est répétée, la croissance enfin se produit. Ainsi également, quand les actes se répètent, l'habitude se développe (b).

 

           a)  Somme théologique, I-II, q. 52, a. 3.

 

           b) Cf. Id.

 

S. Jean de la Croix, Vive Flamme, strophe 3, vers 3 :

 

           " Dieu conduit chaque âme par divers chemins, et à grand-peine se trouvera-t-il un esprit qui convienne avec la façon d'un autre en la moitié de sa propre façon. "

 

           De l'Être premier émane une causalité première et réalisatrice qui ne porte que sur des réalités limitées infiniment moins parfaites que ce qu'Il est en Lui-même, en sa propre contemplation, et dont l'influx actuel est réclamé en permanence. C'est pourquoi Il ne peut aimer celles-ci que d'un amour relatif à l'amour qu'Il a pour Lui-même, Lui qui est bon par essence et souverainement bienheureux, se suffisant à Lui-même et n'ayant besoin de rien pour Le perfectionner, ce qui fait qu'Il les aime d'un amour libre, n'étant pas lié nécessairement à leur bonté, bonté qui ne participe en réalité que de sa bonté infiniment désirable, étant le Bien souverain au sens absolu du mot et la fin ultime de toutes choses. (Cf. M.-D. Philippe, De l'être à Dieu, De la Philosophie première à la Sagesse, pp.. 439-440, 446-447, 451, éd. Téqui, Paris, 1977  ; et S. Thomas d'Aquin, Somme théologique, I, q. 6, a. 2 et 3.)

 

           La causalité de l'Être premier, causalité première, hors série et transcendante, atteint fondamentalement la substance par et dans l'acte d'être, l'acte d'être et la substance étant les deux principes propres de ce-qui-est. Le contact résultant de cette causalité est substantiel et personnel, car l'action de l'Être premier n'est pas distincte de son Être et de sa Personne, et sa causalité est le fruit de sa contemplation.

 

           Grâce au principe de causalité exprimé métaphysiquement en se fondant sur l'être en acte et l'être en puissance, nous pouvons mieux saisir la dépendance radicale d'une manière d'être relativement à une autre manière d'être qui provient de la cause finale, cause qui attire à elle toute réalité existante, afin de porter celle-ci à sa propre perfection, - et ce dans la mesure du possible, parce qu'il peut en effet toujours se produire quelque chose d'extérieur ou d'intérieur qui y fasse accidentellement obstacle, ce qui, bien sûr, n'infirme en rien ce principe, le principe de causalité finale, car, pour ne prendre qu'un exemple parmi tant d'autres, nul ne prétendra qu'un enfant irrémédiablement handicapé n'était pas naturellement fait pour parvenir à la stature d'un homme parfaitement constitué.- A ce sujet, voir Aristote, Métaphysique, livre Thêta, 7, 1049 a 5-15.

 

           Le Premier Moteur ne peut être qu'absolument immobile, sans se mouvoir lui-même, car, sans cela, Il serait à la fois non mû et mû, ou à la fois en puissance et en acte  ; et, tout en étant absolument immobile, Il meut toutes choses vers Lui en tant que Cause finale et ultime de tout-ce-qui-est, comme une Réalité désirable meut celui qui désire en l'attirant à Elle par sa seule présence.

 

           Dieu est l'ens ou l'étant qui se confond avec son esse ou son existence. " Il est ens par essence, car il est l'esse même. Et tout autre que lui est donc ens par participation " (a). Il est la cause universelle de tout l'être (totius esse) et un ens ou étant en acte par toute sa substance (b). Il n'a donc nul besoin de quoi que ce soit ou de quelque composé préexistant pour agir (c).

           a) Saint Thomas d’Aquin, Contra Gentiles, II, chap. 15.

           b) ID., ibid., chap. 16.

           c) ID., ibid., chap. 68.

 

S. Thomas d'Aquin, Contra Gentiles, II, chap. 16 :

 

           " La priorité absolue de l'acte sur la puissance est évidente (patet) du fait que la puissance ne vient à l'acte que par un être en acte. Or la matière est être en puissance  ; Dieu, Acte pur, la précède donc, absolument parlant, et est cause par rapport à elle. "

 

ID.,  Somme théologique, I, q. 4, a. 4, conclusion :

 

           " Et comme en Dieu rien n'est potentiel, il s'ensuit qu'en lui l'essence n'est pas autre chose que son être, que son essence est son être. " (Cf. Bible, Exode, 3 : 14, où Dieu dit à Moïse : " Je suis celui qui suis ", en grec : " Egw eimi o Wn" (" Moi, je suis l'Etant ".)

 

           L'Essence de Dieu est l'Exister pur et simple ou l'Être même(a). Dieu seul est Celui-qui-est et son Essence même, et, en cela, Il est l'Acte pur d'exister. Il ne vient par conséquent en composition avec aucune chose (b). " Il est l'Être même subsistant par soi " (c). Dieu étant l'Être même, et l'être en tant que tel n'étant pas définissable, Dieu n'est donc pas non plus définissable : " l'être de Dieu nous est inconnu au même titre que son essence " (d).

           a) Cf. S. Thomas d'Aquin, Comm. du  De Causis, VI. - Ibid, L'être et l'essence, ouv. cité plus haut, chap. VI : " Deus, cuius essentia est ipsum esse. "

           b) ID., Somme théologique, q. 3, a. 8.

           c) ID., ibid., I, q. 4, a. 2, concl. : " Deus est ipsum esse per se subsistens. "

           d) ID., ibid., q. 3, a. 4, sol. 2.

 

           Dieu en tant que Dieu étant Acte pur ne peut être qu'un être spirituel et non un être corporel, un être composé de matière et de forme, car la matière est éminemment le siège de la puissance. (Cf. Aristote, Métaphysique, Liv. Lambda, chap. 6, 1071b 4 ; chap. 7, .)

 

           Seule la métaphysique de l'être et tout spécialement la métaphysique de l'acte et de la puissance avec la saisie de l'antériorité du premier sur le second et celle de leur dépendance essentielle, permet de comprendre le principe de causalité au niveau de ce-qui-est - principe qui, au niveau de l'être en acte et de l'être en puissance, implique immédiatement la non régression à l'infini - et de conclure à la nécessité d'un Premier Moteur immobile n'ayant en Lui aucune potentialité, ou à la nécessité d'un Premier Moteur qui soit Acte pur (a).

  1. Cf. Aristote, Métaphysique, Livre Lambda, ch. 4, 1070b35 ; ch.5, 1071a36 ; ch. 6, 1071b4, b19-20 ; ch. 7, 1072a24-25 (Aristote aurait dû préciser que ce premier Ciel ne tient son éternité que de Dieu qui donne au temps la durée qui lui plaît.) Notons que la foi seule établit que le monde n’a pas toujours été.

 

           En considérant en premier lieu l'étant ou l'être en tant que tel, ens ut sic, c'est-à-dire l'être dans toute son universalité, l'être commun ou l'être en général, la métaphysique est une science qui se distingue des autres sciences qui ne considèrent qu'un aspect particulier de l'être. Cette science a pour objet de rechercher les principes premiers et les causes propres de "ce-qui-est", considéré du point de vue de l'être. Elle ne peut donc être que la science de la substance, principe et cause, selon la forme, de ce-qui-est.

 

           Il n'y a pas de certitude au niveau de la pensée dialectique ou discursive, au niveau de la pensée en devenir ou en puissance qui, pour prétendre saisir la réalité, applique une chose à une autre ou opère des séparations au niveau des formes contraires, voire contradictoires, oppositions qui n'existent pas au niveau de l'être.

           Il n'y a de certitude qu'au niveau de la pensée en acte, au moment où l'esprit humain (le Noûs - nous - des Grecs) dégage les premiers principes qui appartiennent à toutes les réalités existantes, à tout étant (ens), notre esprit ne pouvant atteindre réellement ces principes, qui sont les plus certains et les plus solides, qu'à travers l'état de potentialité de l'être, à travers ses accidents ou ses déterminations secondaires.

           C'est pourquoi la connaissance métaphysique qui résulte de l'étude de ce-qui-est dans son fait d'exister et de ce qui lui appartient en propre (fait primordial que nulle autre science que la métaphysique ne considère), est certaine, parce qu'elle se fait par l'esprit seul (ni par les sens, ni par l'imagination), dans une sorte de toucher qui, au-delà de ce-qui-est ou de ce qui est en devenir, atteint les principes d'exercice d'être et de détermination de tel ou tel étant, et même parfois, dans un certain ravissement produit par l'Être premier ou par une substance intellectuelle non humaine, atteint un je-ne-sais-quoi de divin extrêmement simple et pur. (a)

           a) Cf. Aristote, Métaphysique, liv. Gamma, chap. 1, 1003 a 21-22  ; liv. Lambda, chap. 7, 1072 b 15-20 et chap. 9, 1075 a 5-10  ; liv. Kappa, chap. 7, 1064 a 15-16  ; liv. Nu, chap. 6, 1093 b 10  ; José Lorite Mena, "Pourquoi la Métaphysique ?", thèse présentée à l'université de Fribourg, Suisse, pp. 55-88, éd. Téqui, 1977  ; M.-D. Philippe, L'être, vol. 1, pp. 105-106, éd. Téqui, 1972.)

 

           La découverte métaphysique de l'Être dans son absolu, de ce qui est au-delà de tout devenir, découverte de l'effet quasi immédiat de l'Être premier, dépasse toutes les sciences que l'homme peut acquérir par l'analyse à partir du sensible. Et comme l'effet ne peut dépasser la capacité de sa cause, cette découverte ou connaissance métaphysique effective, qui n'est pas une connaissance purement théorique, exige la mort de notre ego et n'est possible que grâce à l'action initiale d'une lumière spirituelle d'origine divine.

 

           Le mal est le manque d'un bien requis par la nature de celui qui en est le sujet ou ce qui manque à tel ou tel individu pour réaliser la perfection de son espèce : ce n'est pas un mal pour l'homme de ne pas avoir des ailes dans le dos : il n'en souffre pas. Par contre, c'en est un d'avoir par exemple un œil de moins.

 

Saint Denys l'Aréopagite (contemporain des Apôtres), Œuvres de saint Denys l'Aréopagite, Des Noms divins, trad. du grec par Mgr Darboy, archevêque de Paris, reproduction de l'édition originale de 1845, Typographie Augustinienne, Paris 1896, Argument général :

 

           " Le mal est une privation d'être, non une existence positive. "

 

           On ne peut que dépasser le problème du mal et non pas le résoudre, car la réponse ne serait possible qu'au niveau métaphysique, or, à ce niveau, la question du mal ne se pose plus, puisque celui-ci n'est pas un être, une réalité en soi - et encore moins un principe propre, ce qui serait métaphysiquement absurde : un absolu du mal serait un néant absolu, - et qu'en ce domaine la dialectique n'intervient absolument pas.

           Dans les preuves de l'existence d'un Moteur premier, ou de Dieu, le mal n'intervient absolument pas, puisque celui-ci n'est pas un être et que ces preuves ne considèrent que des être réels en remontant jusqu'au Moteur premier.

           Dieu connaît le mal par le bien ou sous les raisons du bien, car le mal, qui est la privation d'un bien requis par la nature de celui qui en est le sujet, ou encore un parasite de l'être, une défection dans le bien, n'a aucune existence propre et indépendante ou n'est pas, en tant que mal, une réalité, et par conséquent ne peut pas être défini ni connu en lui-même. (Cf. S. Thomas d'Aquin, Somme théologique, I, q. 14, a. 10.)

 

S. Thomas d'Aquin, Somme théologique, I, q. 14, a. 1 :

 

           " L'essence de Dieu est à l'égard des choses créées un principe d'action, un principe opérant. "

 

           Dieu est en toutes choses d'une manière intime, comme cause de leur être, en les soutenant immédiatement et constamment par sa vertu (a). Le lien de dépendance entre la créature et son principe n'est donc pas une pure vue de notre esprit, et nous pouvons par certains exercices spirituels et surtout avec l'aide de notre Créateur et Seigneur en être parfaitement conscients. Dieu n'attend qu'un geste de bonne volonté de notre part : si nous nous donnons, il se livre à nous. " La bonté suprême attire sans cesse de plus en plus les âmes ", " en raison toutefois de notre zèle à aspirer vers la lumière " (b). Ce que Dieu veut, c'est notre sanctification (c).

           a) Cf. S. Thomas d'Aquin, Somme théologique, I, q. 8, a. 1  ; ibid., Contra Gentiles, liv. III, chap. LXVIII.

           b) S. Denys l'Aréopagite, Œuvres de Saint Denys l'Aréopagite, ouv. cité plus haut, Des Noms divins, chap. IV.

           c) I Thessaloniciens, 4 : 3 : " Voici quelle est la volonté de Dieu : c'est votre sanctification. "

 

Le fait d'exister dit autre chose que la détermination :

 

           " Ce qu'est l'homme est une chose, et le fait qu'il existe en est une autre " (Aristote, Seconds Analytiques, II, 7, 92 b 10-11, Librairie Philosophique J. Vrin, Paris 1960).

 

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