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21 novembre 2012 3 21 /11 /novembre /2012 16:18

 

 Voici ce qui indique la supériorité de cette vision intellectuelle sur les autres :

« Premièrement, ce qui est vu de la sorte opère plus efficacement dans l’âme que ce qui est vu des yeux de l’imagination ou du corps.

« Secondement, cette vision produit une paix et un contentement si grands, qu’il semble que Notre-Seigneur introduise l’âme dans Son Royaume. Se voyant en possession de tant de biens qu’elle n’a pu ni imaginer ni mériter, cette dit à Dieu ces paroles de David : “Qu’est-ce que l’homme, pour que Vous Vous souveniez de Lui et que Vous daignez le visiter ? : Quid est homo, quod memor es ejus ? aut filius hominis quoniam visitas eum ? ” (8). Et de même que les justes, au jour du jugement, diront à Jésus-Christ, lorsqu’Il leur déclarera à quel titre Il leur donne Son Royaume : “Seigneur, quand est-ce que que nous Vous avons vu sans asile, et que nous Vous avons recueilli”, etc., etc., etc. ? (9) ; de même l’âme Lui dit : Seigneur, quels services Vous ai-je rendus ? quand ai-je mérité de si grands biens ?

«  Troisièmement, l’âme au sortir de là, n’est plus ni à elle-même, ni à qui que ce soit, mais elle est toute à Celui qui est toutes choses [car « Lui seul est, qui est l’Être même et de Soi-même et de tout » : S. Bernard], suivant ce que dit David : “J’ai demandé une seule chose au Seigneur, et je ne rechercherai que cela : c’est d’être compté parmi les familiers de la Maison de Dieu ; parce qu’Il m’a caché dans le secret de son tabernacle : Unam petii a Domino, hanc requiram, ut inhabitem in domo Domini : Quoniam abscondit me in tabernaculo suo ” (10). Lorsqu’elle est parvenue à ce degré, Dieu commence à Se lever comme la lumière du matin dans cette âme et à Se montrer à elle ; Il la traite avec la tendresse d’un père, de sorte qu’Il lui est doux et consolant de se voir en cet état, et de penser à ceux qui lui sont chers dans le Seigneur, et qu’elle aime incomparablement plus que si elle les aimait pour elle-même, ou s’ils lui appartenaient.

« Quatrièmement, l’âme, considérant si le démon a le pouvoir de contrefaire une telle faveur, ne saurait se persuader qu’une chose, qui est pour elle la source d’une si grande paix, et qui l’unit tant à Dieu, puisse venir du malin esprit.

« Cinquièmement, elle dit avec saint Pierre : “Seigneur, il nous est bon d’être ici : Domine, bO.N.U.m est nos hic esse ” (11). Elle fuit tout sommeil, et elle ne se lasse point de prier.

« Sixièmement, elle semble expérimenter ce que dit saint Denys, au chapitre premier de la Théologie mystique, que, ne comprenant rien, elle s’élève au-dessus de toute intelligence ; car, d’un côté, elle paraît ne rien connaître ; et, de l’autre, elle ne peut s’appliquer à autre chose, ni manquer d’être entièrement satisfaite de ce qu’elle possède ; et quoiqu’elle ne Le voit ni ne Le touche, elle en a plus de certitude et d’évidence que de tout ce qu’elle voit et touche. »

Par ces paroles, il est facile de voir quelle grande lumière intellectuelle Notre-Seigneur communiquait au Père Balthasar dans l’oraison. Par elle, il entrait dans “le Royaume de Dieu” qui est le paradis de ses délices célestes, “qui est justice, paix et joie dans le Saint-Esprit ” (12). Il en sortait, n’étant plus à lui ni aux autres, mais tout à Dieu, avec Lequel il était si étroitement uni, qu’il devenait “un même esprit : Qui adhæret Domino, unus spiritus est ” (13). Aussi dit-il lui-même un jour à une personne affligée, avec laquelle il traitait de l’oraison, que depuis longtemps il vivait dans une autre région, faisant allusion, je pense, à ces paroles de saint Paul : “Notre conversation est dans le ciel : Nostra autem conservatio in cœlis ” (14).

À cette faveur, Notre-Seigneur en ajouta une autre très particulière, en lui donnant l’assurance qu’Il le mettrait en possession de Son Royaume éternel. Le Père Balthasar la fit connaître au Père Gilles de Mata, qui, envoyé depuis au Japon, en revint deux fois comme procureur des Indes, pour traiter avec le Père général des affaires de ces missions. Ces deux Pères discourant un jour familièrement sur le bonheur que possèderait une âme si, parmi tant de périls auxquels elle s’expose pour l’amour de Dieu, elle pouvait être assurée de son salut éternel : « Pour moi, répondit le Père Balthasar, la certitude de mon salut m’a été donnée par des paroles claires et expresses ; c’est une miséricorde que Notre-Seigneur fait à quelques-uns, et qui leur sert plutôt d’éperon pour les exciter à courir que de frein pour les retenir. » Une autre fois, étant en oraison, il vit une procession de bienheureux, et lui au milieu d’eux. Il raconta cette vision à son supérieur, en lui rendant compte de sa conscience, et nous le savons par le témoignage de deux Pères très graves de la Compagnie. Il semble d’ailleurs faire lui-même mention de cette faveur dans sa Relation lorsqu’il dit « qu’il se trouva tout à coup dans une congrégation destinée à la béatitude éternelle » ; ce qui s’accorde aussi avec la révélation que reçut la sainte Mère Térèse de Jésus, comme nous l’avons dit au chapitre onzième.

Il n’est donc pas étonnant qu’étant favorisé de pareilles visions, il fût parfois ravi en extase et privé de l’usage de ses sens. Un jour, à Medina del Campo, un Père entré dans sa chambre pendant qu’il faisait oraison à genoux, le vit environné d’une splendeur admirable, indice de celle qui l’éclairait intérieurement. Une autre fois, le frère coadjuteur qui avait le soin de sa chambre le trouva tellement absorbé et ravi hors des sens, qu’il put entrer et sortir sans que le Père l’entendît. Cependant afin qu’il comprît, lorsqu’il serait revenu à lui, ce qui était arrivé, le frère lui couvrit le visage d’un mouchoir, et se retira, le laissant ainsi. Le Père Balthasar lui ayant demandé ensuite s’il savait qui était entré, et apprenant que c’était lui, lui défendit de révéler à personne ce qu’il avait vu. Une autre fois, au collège de Salamanque, tandis qu’il lisait un ouvrage, ayant fixé ses yeux sur un Christ en croix qui était devant lui, il fut ravi en esprit, et vu par un frère de la même manière que nous venons de le dire.

Le Père Gaspar Astété, bien connu dans cette province, racontait que, pendant qu’il était ministre de la maison professe de Valladolid, le saint Père Balthasar tomba malade. L’infirmier, l’ayant laissé le soir assez tard en assez bonne disposition, le retrouva le matin sans pouls ni sentiment et comme mort. On appela les médecins, qui ne surent ce que ce pouvait être et ne virent là qu’une simple défaillance. Cependant le Père demeura jusqu’au soir dans cet état. On apporta alors une relique de la vraie Croix, avec d’autres qui sont dans la maison ; et au moment même où elles lui furent appliquées, il revint à lui et se mit à parler comme à son ordinaire et comme s’il n’avait rssenti aucun mal ; d’où les Pères conclurent qu’il n’avait pas eu une défaillance, mais un ravissement, comme il en éprouvait fréquemment dans ses oraisons très élevées. La même chose lui arriva dans une autre maladie, où ceux qui étaient là le tourmentèrent longtemps pour le faire revenir à lui : voyant que tout était inutiles, ils envoyèrent en toute hâte un exprès à Medina del Campo, d’où il était venu récemment, pour s’informer quelle était cette maladie, et si le Père n’en avait pas été déjà atteint. Les Pères de Medina répondirent qu’il ne fallait faire aucun remède, parce que cet état était causé par des extases fréquentes qui duraient parfois des jours entiers.

Enfin, à partir de cette époque, le Père Balthasar marcha avec une foi plus vive en la présence de Dieu ; il recourait continuellement à Lui en toutes choses, en délibérait avec Lui comme avec son Maître, et implorait son secours et sa ditection pour toutes. Cette manière d’agir favorise beaucoup ce que nous appelons le commerce familier de l’âme avec Dieu et la prière continuelle. Aussi le Père disait-il : « Prier, c’est élever son âme à Dieu et s’entretenir avec Lui de toutes ses affaires, familièrement, avec un grand respect et une confiance plus grande que celle de l’enfant le plus tendrement chéri de sa mère ; c’est traiter de toutes choses, hautes et basses, divines et humaines, grandes et petites, avec son Maître et Seigneur ; c’est lui ouvrir son cœur et le répandre tout entier devant Lui, sans en rien retenir ; c’est Lui dire ses peines, ses péchés, ses désirs, en un mot tout ce qui est dans l’âme ; c’est enfin prendre en Lui son repos et sa consolation, comme l’ami dans celui auquel il se confie et à qui il découvre toutes ses affaires bonnes ou mauvaises. »

Agir ainsi, c’est, selon le langage de l’Ecriture, « répandre son cœur comme l’eau en la présence du Seigneur : Effunde sicut aquam cor tuum ante conspectum Domini (15) . » Elle ne dit pas comme l’huile, dont il reste toujours des gouttelletes autour du vase, mais comme l’eau, qui se verse tout entière. Ainsi l’âme expose à Dieu non seulement les choses importantes, mais les plus petites. Car, puisque sa divine Providence les gouverne toutes, et que nous ne pouvons sans Son secours, en faire bien aucune, ni grande ni petite, il est de la sagesse de traiter de toutes avec Dieu, qui seul peut en assurer le succès.

Cette conversation avec Notre-Seigneur devint pour le Père Balthasar la source de nouvelles faveurs, qui lui furent d’un grand secours dans ce qu’il entreprenait pour le bien des âmes. Une des plus signalées fut sa grande confiance à demander au divin Maître et son crédit auprès de Lui pour obtenir les choses qui avaient rapport à son bien spirituel et à celui du prochain. Il le raconte ainsi lui-même dans son journal :

« Faisant un jour oraison sur ces paroles de Notre-Seigneur : “Demandez et vous recevrez”, une voix d’en haut me fit entendre que le divin Maître ne veut pas que nous soyons timides à demander Ses grâces, et que cette réserve est un tentation du démon. Un autre jour, comme je demandais une grâce pour quelqu’un qui en avait besoin, j’entendis cette réponse : “Pourquoi es-tu si retenu dans tes demandes, lorsque Dieu est si libéral dans ses dons ? ” comme pour me faire entendre que je devais aussi prier pour les autres nécéssiteux. Une autre fois, priant pour le succès d’une affaire, j’entendis ces paroles : “Je t’aiderai en Roi” ; ce qui arriva dans cette occasion comme en beaucoup d’autres. »

Dans certaines difficultés, il priait avec tant de ferveur, qu’il ne sortait pas de l’oraison sans avoir acquis la certitude que le remède y serait apporté. Cette connaissance lui était donnée soit par une révélation expresse, soit par quelque instinct intérieur, qui, selon Cassien, est un indice que Dieu exauce notre prière. Nous en rapporterons plusieurs exemples dans la suite de cette histoire.

Ce fut aussi dans ce même temps que Notre-Seigneur communiqua au Père Balthasar ce qui lui manquait en doctrine et en science, et qu’il n’avait pu acquérir par son travail. Il l’indique dans le journal déjà cité, et il le déclara plus ouvertement au Père Jean de Pineda, qui, avant d’entrer dans la Compagnie, était membre du collège d’Oviedo à Salamanque, et avait pris, à cette université, le grade de docteur en droit. Il tremblait de commencer les études de philosophie et de théologie, s’imaginant que ses efforts resteraient sans succès. Le Père Balthasar, afin de l’encourager à se confier en Dieu, qui suppléerait à ce manque de facilité, lui raconta en secret que lui aussi avait été quelque temps dans la tristesse et l’inquiétude, parce que, à cause de ses grandes occupations pendant qu’il étudiait et depuis qu’il était prêtre, il n’avait pu étudier d’une manière aussi suivie qu’il l’eût fallu, de sorte que le secours de la théologie scolastique lui manquait pour bien remplir les principaux ministères de la Compagnie, à savoir la prédication et la confession ; mais que s’étant mis à l’oraison, il avait un jour senti son entendement éclairé tout d’un coup d’une lumière extraordinaire, par laquelle il voyait et comprenait les vérités scolastiques et les conclusions théologiques aussi clairement que si, pendant plusieurs années, il les avait étudiées avec beaucoup d’application ; et que, dès lors, elles lui demeurèrent tellement imprimées dans l’esprit, qu’il ne sentit plus qu’elles lui fissent défaut comme auparavant. Il dit encore à un autre Père que Notre-Seigneur, par Sa grâce, lui avait donné l’intelligence des Saintes Écritures et des matières morales ; et que, depuis le jour où il avait reçu cette faveur, il avait perdu la crainte qui le tourmentait habituellement, lorsqu’il n’avait pas auprès de lui quelque docte théologien qu’il pût consulter sur le champ dans les doutes et les difficultés qui se présentaient. D’autres fois, lorsque la conversation venait sur ce sujet : « Je n’ai, disait-il, ni grande capacité, ni grande étude ; mais par les fréquentes relations avec les âmes qui servent Dieu, par la lecture des ouvrages des saints, et par l’habitude de l’oraison, Notre-Seigneur m’a donné l’intelligence de la sainte Écriture ».

Dans ces paroles, il renfer la triple source à laquelle il avait puisé la science éminente de l’Esprit, pour connaître les choses intérieures et spirituelles : à savoir, la lecture des saints qui les ont expérimentées et laissées par écrit, la communication avec les âmes qui les sentent et les éprouvent, et enfin l’oraison et la familiarité avec Dieu. Celle-ci était la principale, lorsqu’il atteignit ce sommet auquel il fut élevé dans ce temps-là, non seulement par l’expérience insigne qu’il fit de ces choses, mais aussi par la lumière dont Notre-Seigneur le remplit pour les connaître et les discerner. Or cette lumière fut à la manière de la lumière prophétique, laquelle, d’après saint Grégoire, suivi par saint Thomas, manifeste deux choses propres à Dieu seul, à savoir les secrets du cœur humain et les choses futures. Notre-Seigneur accorda ce double privilège à Son serviteur : tantôt il lui découvrait les secrets du cœur de ceux avec lesquel il traitait, pour qu’il les dirigeât plus surement ; et comme les révélations prophétiques se font d’ordinaire par les ange, c’étaient les anges gardiens de ces personnes qui lui dévoilaient ce qui les concernait, comme nous l’avons dit au chapitre sixièeme. D’autres fois, le divin Maître lui révélait des choses futures qui dépendaient de la volonté humaine ; et le Père les affirmait à ceux que ces choses regardaient. Nous en rapporterons plusieurs exemples dans les chapitres suivants.

1)  Proverbes, 8 : 31 ;

2)  Exode, 20 : 18 ;

3)  Ibid., 20 ;

4)  Exode, 24 : 9 ;

5)  Ibid., 15-18 ;

6)  Exode, 33 : 2 ;

7)  Psaumes, 50 : 8 ;

8)  Psaumes, 8 : 5 ;

9)  S. Matthieu, 25 : 37, 8 ;

10)                Psaumes, 26 : 4, 5 ;

11)                S. Matthieu, 17 : 4 ;

12)                Romains, 14 : 17 ;

13)                I Corinthiens, 6 : 17 ;

14)                Philippiens, 3 : 20 ;

15)                Lamentations, 2 : 19 ;

16)                Greg., Hom. I in Ezech. II ; — I Cor., XIV ; — Isa., XL, 23 ; — D. Thom., 2, 2, qu. 172, a. 2 ; — Dionys., c. IV de Cœlest. Hier.

 

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ID., ibid., chapitre XLIIe, L’excellence des oraisons extraordinaires ne doit diminuer en rien l’estime que nous devons faire de l’oraison mentale ou oraison ordinaire, qui procède par voie de raisonnement, de méditations, d’affections et de colloques avec Dieu. — Sécurité de cette voie. — Les âmes doivent la suivre jusqu’à ce que Notre-Seigneur les appelle à une oraison plus élevée, pages 492- 501 :

 

Afin que ce qui a été dit dans les chapitres précédents sur l’excellence des oraisons extraordinaires ne diminue en rien la haute estime que mérite l’oraison mentale, qui est le chemin ordinaire et battu par les saints, et afin que nul ne présume, de sa propre autorité, de franchir les limites posées par les anciens Pères, il nous a paru nécessaire et utile d’exposer ici la somme des raisons principales qui confirment et mettent en honneur le mode de prier par des raisonnements et des méditations sur les mystères divins, et par les saintes affections, les demandes et les colloques à Notre-Seigneur, que ces méditations inspirent à la volonté.

Commençons par la raison fondamentale. La fin propre et immédiate de l’oraison mentale, œuvre de l’entendement éclairé par la lumière de la foi, est d’arriver à posséder dans sa perfection cette suprême connaissance dont Jésus-Christ, notre Seigneur et Sauveur, dit à son Père : « La vie éternelle, c’est que les hommes vous connaissent, Vous, le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ, que vous avez envoyé : Hæc est vita æterna : Ut cognoscant Te, solum Deum verum, et quem misisti Jesum Christum (1). »

D’autre part, il est certain que nul ne peut atteindre en cette vie à la parfaite participation à la vie éternelle, que l’on appelle béatitude commencée, que par la parfaite contemplation, où se découvrent ces deux suprêmes objets : Dieu en tant que Dieu, et Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme, dans le degré de clarté qui est compatible avec la foi. Or, bien que Notre-Seigneur, par une grâce spéciale, communique quelquefois, par voie de lumière infuse, la grandeur et la clarté de cette connaissance, sans qu’aucune diligence ou préparation ait précédé de la part de l’homme, il y aurait néanmoins présomption téméraire, et ce serait tenter Dieu, que d’attendre ce don ou de le demander sans s’y être préparé par les soins et les efforts que le Seigneur lui-même commande et conseille comme dispositions pour obtenir un don si relevé. Quelles sont donc les œuvres préparatoires par lesquelles l’âme doit se disposer à une si sublime oraison ? D’après saint Thomas (2), qui s’appuie sur l’autorité de saint Augustin et de saint Bernard, ces œuvres préparatoires sont la lecture, la méditation, l’oraison. Premièrement, lecture des Écritures divines, où se trouve la vie éternelle, et lecture des livres des saints, qui expliquent cette vie. Secondement, méditation attentive des divins mystères : l’âme les creuse, descend dans profondeurs, et va, discourant des uns et des autres pour les mieux pénétrer. Troisièmement, oraison : l’âme, après avoir approfondi ces mystères, s’adresse directement à Dieu et lui demande sa lumière pour les entendre. C’est pourquoi le Sauveur dit à ses disciples : « Demandez et vous recevrez ; cherchez et vous trouverez ; frappez et l’on vous ouvrira : Petite, et dabitur vobis : quaerite, et invenietis : pulsate, et aperietur vobis (2). » Le négligent ou le présomptueux qui ne veut pas demander ne mérite pas de recevoir ; et, s’il ne veut point chercher, il ne trouvera point ; et, s’il ne frappe point à la porte, on ne lui ouvrira point. Il est donc nécessaire que le chrétien, après avoir ranimé sa foi, applique les puissances de son âme au travail de la lecture, de la méditation et de l’oraison ; qu’il creuse les mystères, qu’il descende dans leurs profondeurs, et qu’ensuite il adresse à Dieu, chaque jour, ses prières et ses supplications, pour obtenir le bien auquel il aspire. Mais, à cette connaissance de Dieu et de Jésus-Christ, le chrétien doit joindre la connaissance de soi-même, de ses misères, de ses péchés et de la gravité du péché. Or, quoiqu’il n’y ait rien de si voisin de lui que lui-même, il n’obtiendra néanmoins cette connaissance qu’en entrant, par la méditation, au-dedans de lui-même, en approfondissant les funestes effets du péché, les dangers auxquels il s’expose et les châtiments terribles qu’il mérite. Il faut, de plus, qu’il considère ce qui arrivera à la mort, au jugement particulier et au jugement universel : qu’il descende en esprit dans l’enfer, pour voir les tourments qu’on y endure ; que, de la considération des flammes de l’enfer, il passe à clles des flammes du purgatoire. Enfin, il doit s’élever au ciel et approfondir les joies éternelles des bienheureux. D’après la loi ordinaire, on n’arrive à la connaissance de soi-même et des fins dernières que par la méditation : c’est elle qui ouvre ces livres fermés et qui lit les secrets qu’ils renferment. Et qu’on ne dise pas qu’il suffit pour cela de demander à Dieu ses lumières et de lui adresser la prière de saint Augustin : « Seigneur, que je vous connaisse et que je me connaisse : Noverim te, noverim me ! » car le saint Docteur ne se contentait pas de cela ; il se bornait pas à attendre que Dieu lui donnât par lumière infuse cette double connaissance, mais il travaillait à l’acquérir par ses méditations. Il nous a même laissé des livres de méditations, afin que ceux qui ne peuvent ou ne savent pas méditer par eux-mêmes suppléent à ce défaut en lisant ce que les autres ont médité, et en s’appropriant en quelque sorte, la méditation d’autrui.

Mais la méditation n’a pas seulement pour but d’approfondir, par l’entendement, les vérités et les mystères ; il y a encore pour elle une autre fin plus importante qu’elle doit atteindre : c’est de mouvoir et d’exciter la volonté à produire les nobles actes que nous appelons affections d’amour de Dieu, de douleur des péchés, de résignation et autres semblables. Notre-Seigneur, comme Maître absolu de la volonté, peut, il est vrai, en un instant, par force de ses inspirations, la porter à produire ces divers actes. Mais d’après la loi ordinaire de Sa grâce, Il veut que l’homme, par les discours et les méditations de l’entendement il excite sa volonté et l’affectionne aux saintes choses qu’il médite. Celui donc qui se contente de se présenter et de rester en oraison , ou plutôt à l’oratoire, sans rien faire, mais attendant que Dieu remue sa volonté, sera le jouet de l’illusion ; et s’il ne pense à rien, il sera distrait ; il restera sec, il perdra son temps, il sera oisif dans toute la force du mot. Car de même qu’il est nécessaire d’amasser du bois, de l’arranger, de souffler sur les charbons pour que le feu prenne et donne la flamme ; ainsi est-il nécessaire de recueillir des vérités de la lecture et de la méditation des mystères divins, et de souffler sur la braise des saints désirs, afin qu’il s’allume en nous un grand feu d’amour de Dieu, ou de contrition, ou d’autres vertus. C’est ce qui fait dire à saint Basile : « La bonne affection consiste dans un désir véhément, stable et constant de plaire à Dieu ; mais cette affection doit naître dans l’âme par la méditation et la considération des perfections de Dieu et des bienfaits que nous avons reçus de Lui (4). »

Ajoutons que prier, dans le vrai sens du mot, c’est parler à Dieu et s’entretenir avec Lui de l’affaire de notre salut. Or, quoique ce soit le Saint-Esprit qui nous enseigne à demander par des gémissements inénarrables ; et quoique la langue de l’âme , comme le dit saint Bernard, soit la dévotion, sans laquelle on ne peut bien converser avec le Verbe divin ; néanmoins, d’après la loi ordinaire, ainsi que le dit saint Thomas (5), cette dévotion ne s’obtient que par la méditation ou la contemplation. Et comme la contemplation est le partage du petit nombre, il s’ensuit que le plus souvent ce pieux mouvement de l’âme procède de la méditation. C’est encore la méditation qui nous enseigne et nous découvre les choses que nous devons demander à Dieu, les raisons et les titres que nous devons Lui alléguer, les offrandes que nous devons Lui faire, nous donnant toutes ces lumières par le mystère dont nous nous occupons. On voit par là qu’il importe de faire précéder la prière vocale de quelque méditation ; car l’entendement pénétrant le sens des paroles, le fruit que l’on retirera de la prière vocale sera beaucoup plus grand.

Une autre raison très forte qui milite en faveur de l’oraison mentale, c’est que son fruit principal est la réformation des mœurs, la mortification des vices et des passions, et l’exercice de toutes les vertus. Ce fruit dispose l’âme à la contemplation parfaite, où les raisonnement cessent ; et c’est l’oraison ordinaire par voie de méditation qui produit un fruit si précieux. Car, suivant saint Thomas : « Les vertus morales qui réfrènent les passions sont des dispositions nécessaires pour la contemplation parfaite (6) ».

Voilà ce que dit le cardinal Cajetan ; et sa doctrine est celle de saint Grégoire, de saint Bernard, de saint Isidore, des autres saints Pères et des maîtres de la vie spirituelle.

 

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