Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
21 novembre 2012 3 21 /11 /novembre /2012 16:25

«  L’exemple vivant d’un tel Maître qui les entend et leur parle ainsi, qui leur dit tout ce qu’ils ont dans leur intérieur, comme Jésus-Christ à la Samaritaine, leur fait plus d’impression que tout ce qu’ils peuvent lire dans les écrits des maîtres de la vie spirituelle. C’est pourquoi le docteur que je viens de citer dit que de tels guides feront bien de s’ouvrir et de se communiquer à ceux qu’ils dirigent, et de ne pas se refermer entièrement en eux-mêmes comme quelques-uns le font ; ils doivent toutefois dans cette communication garder les lois de la discrétion et de la convenance, ne s’ouvrir que dans une certaine mesure, en sorte que le disciple n’ait pas une entière connaissance du maître. »

Toutes ces raisons, si bien exprimées par le Père Balthasar Alvarez, sont tirées de sa propre expérience. À l’aide de cette lumière, il guidait admirablement les âmes, il pénétrait les cœurs, et il eut auprès de tous le crédit d’un grand maître de la vie spirituelle, ainsi que nous le verrons dans le cours de cette histoire. Mais un des témoignages qui prouvent le mieux son expérience consommée dans toutes les voies de l’esprit, est celui que la sainte Mère Térèse lui a rendu, quand elle a affirmé, ainsi que nous l’avons rapporté plus haut, « que pour tous les modes d’oraison dont elle parlait au Père Balthasar Alvarez, son maître et son guide, elle se trouvait devancée par lui ». Et ce témoignage est confirmé dans sa Relation, quand il dit que « Notre-Seigneur lui donna l’intelligence de la faculté de l’esprit pour lui et pour les autres ». C’est-à-dire que Notre-Seigneur fit de lui un maître qui possédait la science expérimentale des choses intérieures.

De là, on peut inférer la seconde raison pour laquelle le divin Maître communiqua ce don à cet ouvrier évangélique, son fidèle serviteur. Ce fut afin qu’il ne reçût aucun dommage ni aucun détriment de la communication et du commerce avec le prochain, mais au contraire un grand accroissement de perfection : cet adorable Sauveur la lui communiquant double, en lui donnant le double esprit que le prophète Élisée désirait pour lui, et que possédait Élie, son maître. Ce double esprit, c’est d’une part, la sublimité de l’oraison, le commerce familier avec Dieu, accompagné d’une paix profonde, qu’on aurait au fond d’un désert ; et de l’autre, les rapports avec les hommes, la dextérité à traiter avec eux pour les sauver, sans perdre pour cela le commerce intérieur avec Dieu, et sans cesser de marcher en Sa présence. Et bien que, selon Cassien, la perfection en ces deux choses soit rare et accordée à un petit nombre d’hommes, comme au grand Antoine et au grand Macaire ; néanmoins, Notre-Seigneur voulut que l’un de ces hommes en petit nombre fût le Père Balthasar Alvarez, Son serviteur, et qu’il employât tout son temps au commerce continuel avec son Créateur par l’oraison, en y joignant le fréquent commerce avec les hommes, pour le salut des âmes : ces deux commerces s’aidant l’un l’autre dans une harmonie très admirable.

Ce fut l’année même où le Père Balthasar, en faisant sa profession solennelle, se consacrait au salut et à la sanctification des âmes, que Notre-Seigneur lui communiqua ce don, afin qu’il entendit bien que ce n’était pas pour qu’il se retirât dans la solitude, mais pour qu’il joignît ensemble le commerce avec Dieu et le commerce avec le prochain ; ce qui est beaucoup plus facile lorsque, dans l’oraison, l’on avance pas à force de rames, mais que l’on navigue le vent en poupe, c’est-à-dire avec le souffle du Saint-Esprit.

Enfin, en élevant le Père Balthasar à cette oraison sublime, Notre-Seigneur voulut le récompenser de ses efforts et de son application à prier par la voie des discours et des méditations sur les mystères divins, selon la méthode dont nous avons parlé au second chapitre de cette histoire [selon la méthode enseignée par saint Ignace dans ses Exercices spirituels – page 13].

Il voulut le récompenser encore des désirs de son cœur et de sa fidélité à voler au secours spirituel du prochain. Il se plut à le traiter avec une libéralité divine, de telle sorte qu’il recueillît tout le fruit qu’il avait souhaité, et un fruit plus abondant encore, mais par une voie plus facile. Car bien que les deux modes de prier, la méditation et la contemplation, produisent de grands fruits, c’est néanmoins d’une manière différente. Celui qui procède par les discours et les méditations n’est pas exempt de travail et de fatigue ; il ressemble au jardinier qui, à force de bras, tire de l’eau d’un puits profond pour en arroser les plantes de son jardin. Mais, dans la contemplation, il n’y a ni travail ni fatigue : c’est comme une pluie qui descend du ciel et qui pénètre doucement la terre. Le psalmiste la décrit en ces termes : « Seigneur, Vous avez enivré la terre de vos pluies, Vous avez multiplié ses germes ; aussi, arrosée par Vous, elle tressaillera d’allégresse, déployant partout les richesses de sa fécondité : Rivos ejus inebria, multiplica genimina ejus : in stillicidiis ejus lætabitur germinans (10) ». La suave providence de notre grand Dieu, qui est libéral et magnifique dans le partage de ses dons, Se plaît à donner soulagement et consolation à Ses serviteurs. Aussi, dès qu’Il les trouve capables de la contemplation, qu’ils s’y sont disposés par le travail, par la pureté de cœur, par la mortification des passions et par les exercices d’oraisons prolongées, ce Dieu d’infinie bonté a coutume de leur accorder cette oraison dans un haut degré et une paix profonde, surtout quand ils doivent s’employer au bien spirituel du prochain. Ainsi l’accorda-t-Il à saint Ignace, après qu’il eut passé par les méditations qu’il nous enseigne dans son Livre des Exercices [qu’il ne faut jamais quitter !]. Ainsi l’accorda-t-il au Père Balthasar Alvarez ; ainsi l’accordera-t-il à tous ceux qui, avec un soin pareil, se disposeront à la recevoir, pourvu que cela convienne à leur plus grande perfection, et qu’ils persévèrent, avec humilité et résignation, à faire ce qu’ils doivent faire dans l’oraison ordinaire, qui est, comme l’enseignent les maîtres de la vie spirituelle, l’échelon pour monter à une oraison plus élevée [c’est en effet une hérésie et une prétention insupportable manifestement inspirée de l’ennemi de la nature humaine de prétendre conduire des âmes à une telle contemplation sans parler de ce qui est nécessaire pour y parvenir par la grâce et le bon plaisir de Dieu, seul juge de l’opportunité de cette grâce insigne].

Cette persévérance, sans fixer à Dieu le temps de sa visite, est très nécessaire pour réussir dans une si haute entreprise. Le divin Maître, comme on l’a vu, retint le Père Balthasar seize ans dans le mode ordinaire de l’oraison ; et il y retint pendant dix-huit ans la Mère Térèse, ainsi que l’écrit le Père François de Ribera dans sa Vie. D’autres saints ont de même attendu très longtemps. En cela rien d’étonnant ; car si le patriarche Jacob dut, pendant quatorze ans, servir son beau-père avec un immense travail pour obtenir Rachel, qui est la figure de la vie contemplative ; est-ce beaucoup que ceux qui doivent arriver à la contemplation, et s’unir spirituellement à la divine Sagesse, travaillent et suent pendant plusieurs années en prétendant à un tel bien ? Cela doit d’autant moins étonner que, par ce travail et cette constance, ils gagnent d’autres biens de grand prix. En effet, ils s’affermissent dans une humilité profonde, reconnaissant qu’ils ne méritent pas un si grand don ; ils s’efforcent de se purifier de plus en plus, afin de n’être pas indignes de le recevoir. Leurs désirs et leurs efforts vont croissant pour obtenir ce qu’ils ont en si haute estime. Leur patience, comme leur confiance, est éprouvée et purifiée, et ils montrent toujours le même courage, quoiqu’un si grand bien tarde à venir [cet instant peut même venir vers la fin de notre vie sur la terre]. Par ces vertus, et d’autres encore, ils se rendent dignes du souverain don de la contemplation ; et quand ils l’ont reçu, ils sont plus reconnaissants envers Notre-Seigneur qui le leur a accordé, et plus soigneux de le conserver et de l’employer à la fin pour laquelle pour laquelle Il leur a été donné. Enfin par leur exemple et par leur expérience, ils nous animent à persévérer dans l’oraison, quelques grandes que soient les sécheresses et les afflictions d’esprit qu’on y rencontre ; parce que celui qui persévérera fidèlement à frapper aux portes de Dieu sera exaucé, et admis à l’éminence et à la douceur de son commerce familier.

Ainsi l’éprouva, après seize ans de persévérance, le Père Balthasar Alvarez, retirant des délais et des retards du Seigneur tous les avantages que nous venons d’énumérer. Et, comme il en avait fait lui-même l’heureuse expérience, il nous exhortait à persévérer dans l’oraison par ces admirables paroles :

« Ne nous lassons pas, mes frères, d’accourir aux portes de Dieu, qui sont ouvertes ou qui s’ouvriront certainement si nous frappons, conformément à la promesse qu’Il nous a faite, quand il dit : Demandez et vous recevrez, frappez et l’on vous ouvrira : Petite, et accipietis ; pusalte, et aperietur vobis (11) ». Pourquoi ne retirons-nous pas de cette promesse assez de consolation pour supporter sans décourangement les retards de Dieu, pour continuer de frapper à sa porte avec persévérance, enfin pour nous bien convaincre que toute notre froideur ne l’empêchera pas d’accomplir sa parole, si nous avons en Lui une humble confiance ? En ne considérant la chose qu’à la lumière de la raison, dites-moi, est-il un moyen plus puissant pour attendrir les durs, et à plus forte raison ceux qui ont un cœur sensible, que le spectacle d’un homme tremblant de froid à leur porte ? Ce seul spectacle ne suffira-t-il pas pour qu’ils le fassent entrer ? Persévérons, mes frères, à nous tenir aux portes de ce grand Dieu, bien que nous y soyons tremblants de froid ; car, au moment où nous penserons le moins, le vrai Assérus ordonnera à Mardochée d’entrer ; et l’humble sujet verra la face du Roi, et il sera comblé de tant de grâces, qu’il oubliera tout ce qu’il a souffert pendant de longs jours qu’il est resté à attendre à ses portes, dur et froid comme une pierre ; parce qu’il est écrit du juste que le Seigneur a entendu sa voix et qu’Il l’a introduit dans la nuée : Audivit eum Deum, et vocem ipsius, et induxit illum in nubem (12) ». Et il en est sorti admirablement récompensé de tous les travaux qu’il a endurés en attendant à la porte et en persévérant à frapper. »

En confirmation de ette doctrine, il nous citait son propre exemple, en nous disant qu’il avait eu besoin d’une grande constance pour supporter les délais de Dieu, attendant qu’Il eût pitié de lui et qu’Il le remplît de Ses miséricordes. Il ajoutait que si Dieu tarde à Se découvrir aux âmes, c’est pour l’une de ces deux causes : ou bien parce qu’elles sont ensevelies dans leurs vices et qu’elles tardent à en sortir ; et chaque vice, disait-il, est comme un nuage obscur qui empêche la vue du Créateur ; ou bien afin que ces âmes comprennent quelle doit être la grandeur du bien auquel elles aspirent, puisqu’elles ont tant de souffrances et de retard à subir avant de s’en voir en possession. Et dans ces intervalles, Dieu les éprouve de différentes manières par des peines intérieures ; il y ajoute encore des afflictions extérieures, afin de leur donner une plus haute intelligence et une plus haute estime d’un trésor qu’elles ne peuvent acquérir qu’au prix de tant de travaux.

De tout ce que nous venons de dire, se conclut l’excellence de l’oraison à laquelle ce saint homme fut élevé, et la grandeur des trésors célestes dont elle fut pour lui la source ; car si d’ordinaire la récolte répond à la semence et à la culture, si Dieu mesure les consolations aux douleurs, et les récompenses à la grandeur des travaux, quel dut être le partage du Père Balthasar ? Pendant seize ans, il avait travaillé avec un soin extrême, il s’était consumé de désirs et d’efforts pour obtenir ce don ; et Dieu, qui, dans sa libéralité infinie, donne au-delà de ce que nous savons demander et imaginer, n’avait pris conseil, en le lui accordant, que de Sa munificence. Dès lors, dans quel degré d’excellence il dut le lui accorder ! et quelle riche moisson de mérites déjà acquis Il récompensait en lui ! Comme Il dut Se montrer prodigue à son égard de consolations spirituelles et d’autres dons et témoignages d’amour par lesquels Il a coutume de récompenser les fervents ! Si la bonté de l’arbre se connaît à ses fruits, quelle devait être l’excellence de l’oraison qui portait des fruits tels que qui ont été mentionnés plus haut ! Et quels fruits y a-t-il qui l’emportent en excellence sur les douze qu’il rapporte de lui-même dans sa Relation, et qui sont comme les douze fruits choisis de cet arbre de vie, que Dieu planta dans le jardin de Son Église et de la Compagnie ? Et de même que saint Jean dit que « l’arbre du paradis portait chaque mois des fruits nouveaux : lignum vitæ, afferens fructus duodecim, per menses singulos reddens fructum suum (13) », de même le Père Balthasar portait chaque mois et chaque jour des fruits nouveaux, ce qui était un témoignage de la grande familiarité qu’il avait secrètement avec Dieu, dans le commerce duquel il puisait cette fécondité.

1)  Hébreux, 11 : 17 ;

2)  S. Thomas d’Aquin, Somme théologique, 2, 2, q. 180, art. 3 ;

3)  Psaumes, 45 : 2 ; 33 : 9 ;

4)  Psaumes, 84 : 8 ;

5)  Cantique des cantiques, 5 : 2 ;

6)  I Corinthiens, 6 : 17 ;

7)  Psaumes, 72 : 25 ;

8)  Cantique, 3 : 4 ;

9)  S. Jean, 16 : 30 ;

10)                Psaumes, 64 : 2 ;

11)                S. Matthieu, 7 : 7 ; S. Luc, 11 : 9 ;

12)                Ecclésiastique, 45 : 5 ;

13)                Apocalypse, 22 : 2.

 

- - - - - -

 

ID., ibid., chapitre XV, Le Père Balthasar Alvarez entre dans ce mode d’oraison par une vocation toute particulière de Dieu. — Des faveurs éminentes qu’il reçoit pour sa perfection et pour le bien des âmes, pages 159-171 :

 

La conversation intime et familière avec Dieu et le don de la tranquille et parfaite contemplation, telle que nous l’avons décrite, sont un bien si élevé, que le Père Balthasar, comme il l’atteste lui-même dans sa Relation, ne put y parvenir que par une vocation particulière de Notre-Seigneur. C’est Lui, en effet, qui appelle à cette communication qui Il veut et comme Il veut, sans qu’il y ait pour cela ni lieu, ni année, ni temps déterminés. Sa seule règle est sa Très-Sainte-Volonté. Il met « ses délices à converser avec les enfants des hommes » (1), mais plus particulièrement encore avec les uns qu’avec les autres, par une grâce et un privilège spécial que nous appelons vocation. C’est une inspiration, une motion, une affection puissante qu’Il imprime dans l’âme, et par laquelle Il l’incline à ce genre d’oraison si élevée, en même temps qu’Il lui en donne l’aptitude et la capacité ; car tous n’y sont pas appelés, tous n’y sont pas aptes, et il serait présomptueux et téméraire d’y prétendre. Et quoiqu’il y ait des personnes que Notre-Seigneur, par une grâce, un privilège spécial, élève dàs leur enfance ou dès le commencement de leur conversion, subitement et comme d’un vol, à cette haute oraison, et parfois à des faveurs extraordinaires, cependant Il ne communique d’ordinaire ces dons qu’à ceux se sont exercés à l’oraison par la voix du raisonnement et par la méditation des divins mystères, pour laquelle presque tous, quoique plus ou moins selon leur capacité, ont vocation ou attrait intérieur. Nous voyons, dans ce qui arriva à Moïse et à son peuple au pied du mont Sinaï, une image qui rend cela admirablement : le peuple, voyant et entendant de loin les voix, les tonnerres, le son des trompettes, les flammes ardentes et la montagne couverte de fumée, fut saisi d’effroi. Ils vinrent donc dire à Moïse : Parlez-nous vous-même, et nous vous entendrons ; mais que le Seigneur ne nous parle pas, de peur que nous ne mourions (2). Moïse les rassura en leur disant que Dieu avait voulu par là les éprouver, et imprimer en eux Sa crainte, afin qu’ils ne péchassent point : « Nolite timere : ut enim probaret vos venit Deus, et ut terror illius esset in vobis, et non peccaretis » (3). Ensuite il fit monter avec lui son frère Aaron et soixante-dix des anciens d’Israël, qui virent le Seigneur assis sur un trône de saphir, semblable au ciel lorsqu’il est serein (4). Enfin Moïse étant monté, la nuée couvrit la montagne et l’enveloppa pendant six jours. Et le septième jour Dieu l’appela… Et entrant dans l’obscurité de la nuée, il monta au sommet de la montagne, où il fut quarante jours et quatante nuits (5). Et le Seigneur parlait à Moïse avec une étonnante familiarité, comme un ami a coutume de parler à son ami, et Il Se fit voir à lui face à face, dans cette mesure de gloire où Il peut être contemplé en cette vie par des yeux mortels : « Loquebatur autem Dominus ad Moysen facie ad faciem, sicut solet loqui homo ad amicum suum » (6).

C’est de cette manière que les choses se passent parmi le peuple chrétien : la multitude des fidèles, moins éclairés et moins capables, ou très occupée des affaire temporelles, n’est appelée qu’à prier vocalement et à considérer en général et comme de loin quelques-uns des mystères divins, principalement ceux qui, en inspirant la crainte de Dieu et la terreur de sa rigoueuse justice, exitent les hommes à sortir de leurs péchés, à faire pénitence et à réformer leur vie : telles sont les vérités qu’enseigne la foi sur le jugement, sur les peines de l’enfer, sur l’éternité et sur les autres châtiments que la justice de Dieu inflige aux pécheurs.

D’autres fidèles, figurés par les soixante-dix Anciens, sont appelés de Dieu à s’approcher de Lui davantage, par les exercices de l’oraison mentale, par la méditation plus approfondie des mystères divins et les affections plus ardentes d’amour et de confiance. Ils parviennent à Le connaître par ses œuvres, qui sont l’escabeau de ses pieds, et par la beauté du ciel, des étoiles et des planètes ; car en discourant sur ces choses, ils en déduisent les grandeurs de Celui qui les a créées, et s’affectionnent à Le servir, parce qu’Il le mérite et à cause du bien qu’Il leur fait. Àcette catégorie appartiennent les personnes religieuses et séculières qui marchent par la voie ordinaire de l’oraison mentale, voie dont la sécurité, la nécessité et les fruits abondants seront démontrés tout au long dans le chapitre quarante-deuxième, où cela viendra plus à propos.

Mais il en est d’autres, bien qu’en petit nombre, qui sont représentés par Moïse, et que Notre-Seigneur, par une vocation toute spéciale, élève au suprême degré d’oraison et d’union avec sa divine Majesté. Il les fait entrer dans ses célestes ténèbres et dans la nuée qui aveugle les yeux, pour les empêcher de voir les choses du monde ; et Il les leur ouvre pour contempler leur Créateur, avec Lequel ils conversent dans une intime familiarité accompagnée de grandes délices, les uns plus, les autres moins, selon qu’Il daigne Se communiquer à ses créatures. Cependant, avant de les élever à ce sommet, Il les retient six jours dans un degré inférieur, pour éprouver leur patience ; là, ils s’exercent et se disposent à recevoir les grâces les plus élevées. Tels doivent être, comme nous l’avons déjà dit, les maîtres spirituels qui, comme d’autres Moïse, ont la conduite du peuple chrétien et de ceux qui sont entrés dans cette voie de l’oraison. Tel fut notre Père Balthasar Alvarez. Notre-Seigneur l’ayant choisi pour guider les âmes, lui accorda cette faveur et les autres que nous avons énumérées ; faveurs si éminentes, qu’il sera très utiles, à mon jugement, de les expliquer avec plus de détails, en recourant à ce que le Père Balthasar lui-même en a dit dans d’autres occasions.

Posons d’abord pour fondement la première faveur d’où provient toutes les autres, et qui est d’avoir Dieu Lui-même pour Maître dans l’oraison : non seulement de cette manière générale en vertu de laquelle il est appelé et Il est en effet le Maître de tous les hommes, il nous enseigne et nous meut tous à prier, comme nous l’avons dit au chapitre troisième ; mais par un autre mode plus spécial et plus ravissant, par des illustrations et des inspirations particulières, versant dans l’âme la rosée des saintes pensées et des ferventes affections, sans qu’elle ait besoin de travailler par des raisonnements, des méditations et autres industries, pour trouver cette divine nourriture. Aussi le Père Balthasar avait-il coutume de dire que, lorsque Dieu retire à l’âme le discours dans l’oraison, c’est un signe qu’Il veut être Lui—même Son Maître. Car entrer dans l’âme quand toutes les portes sont fermées, c’est son privilège particulier, propre à Celui-là seul qui l’a crée, et incommunicable au bon et au mauvais esprit. Aussi cette grâce est-elle très assurée et exempte d’illusion. La paix et la joie que l’âme ressent alors, attestent la présence de la divine Majesté. Il explique cela plus clairement encore dans son journal : « Le 5 février 1569, dit-il, étant à l’oraison du matin, et considérant combien me faisait faute un serviteur de Dieu, qui s’était éloigné de moi, j’éprouvai un sentiment particulier, et cette pensée se présenta à mon esprit : Celui-là fait injure à Dieu qui, traitant avec Lui, estime que les hommes lui manquent, lorsqu’ils le quittent sans qu’il y ait de sa faute. — Le même jour, disant la messe, et la même pensée me revenant à l’esprit j’éprouvai de nouveau ce même sentiment, et cette leçon me fut donnée : Si Celui qui t’aidait par les hommes veut être Ton Maître et t’instruire par Lui-même, quel préjudice te cause-t-Il ? Ne t’accorde-t-Il pas plutôt une faveur signalée qui est le principe de grands biens ? Car Dieu, en quelques courtes paroles, renferme et enseigne beaucoup de choses ; et l’oraison de ceux qu’Il instruit de la sorte est une assistance continuelle devant le Seigneur, pleine de respect et de confiance, paisible, accompagnée de l’intelligence des vérités et de suaves consolations, restes de la table divine, de colloques et d’entretiens familiers avec Dieu. »

De cette première grâce procéda la seconde, par laquelle Dieu, selon la parole de David, « lui manifesta les secrets de sa Divinité et les profondeurs de sa Sagesse : Incerta, et occulta sapientiae tuae manifestasti mihi (7) », de la manière que l’enseignent les docteurs de la science mystique. Le Père Balthasar l’a ainsi rappelé dans son même journal :

« Le 1er mars de l’année 1576, à la suite d’un entretien que j’avais eu la veille avec une personne spirituelle, sur la nature de la vision intellectuelle de Dieu et de Ses Mystères, je reçus sur ce qu’elle m’avait dit une demi-lumière accompagnée d’un sentiment de tendresse. Étant ensuite entré en oraison, je sentis que Notre-Seigneur était là présent, de telle sorte que je ne Le voyais ni des yeux du corps ni par l’imagination ; néanmoins je Le sentais et je Le possédais avec plus de certitude et d’évidence que tout ce qui peut être vu ou imaginé.

 

SUITE

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le Présent éternel
  • : Thèse et synthèse sur la logique, la philosophie, la métaphysique, la politique, les mathématiques, la physique, la chimie, la théologie et la mystique élaborées à la lumière des premiers principes de la raison spéculative, principes immuables et éternels qui constituent les fondements du thomisme
  • Contact

Recherche

Liens