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21 mai 2011 6 21 /05 /mai /2011 15:49

 

R. P. F.-D. JORET des Frères Prêcheurs (La Contemplation mystique, De Brouwer & Cie, Lille-Bruges, 1927) :

 

« […] Mais n’insistons pas sur toutes ces visions sensibles, imaginatives, intellectuelles, qui, répétons-le, ne font pas partie du développement normal de la contemplation mystique.

Ces œuvres divines ont leurs contrefaçons dont le mauvais esprit est l’auteur. Et nous ne parlons pas des hallucinations qui proviennent de notre nature même. Le discernement de ces divers phénomènes n’est pas facile. C’est pourquoi l’Église et les vrais mystiques se défient plutôt des visions.

La connaissance charismatique qui vient de Dieu même est plus ou moins évidente pour celui qui en est gratifiée. Elle s’étend depuis la révélation expresse accordée au prophète avéré jusqu’à une sorte d’instinct qui sollicite obscurément l’esprit (1). Non seulement la sagesse d’un Salomon dissertant sur les mœurs des hommes ou la nature des choses (2), mais les principales grâces d’état accordées au professeur de théologie et au pasteur d’âmes sont de cette dernière espéce. Celui qui les reçoit ne peut parfaitement discerner si de telles pensées lui viennent de Dieu ou de son propre fonds. Est-ce bien une inspiration céleste ? Ne serait-ce pas une poussée de son subconscient où ses propres méditations s’accumulent ? Il ne peut le savoir avec une certitude absolue (3).

Les actes des dons du Saint-Esprit ressemblent beaucoup à ces instincts. Mais ils s’en distiguent aussi sur des points importants.

Les grâces officielles du maître en théologie ou du directeur de conscience, la connaissance infuse avec ou sans visions portent sur l’enseignement d’une vérité qui ne regarde directement le salut de l’individu à qui Dieu les communique, mais l’utilité générale de l’Église : c’est le but de tous les charismes (gratia gratis data) (4). L’instinct des dons (du Saint-Esprit) [analogue à l’instinct ou à l’intuition des premiers principes généraux] appartient au contraire à l’ordre de la grâce sanctifiante (gratia gratum faciens) ; il procure à celui qui le reçoit une juste idée de la fin dernière qui doit l’attirer, et c’est comme à l’intérieur de cette inspiration vers Dieu, qu’il lui fait goûter personnellement la vérité révélée à tous (5). » (« La Contemplation mystique d’après saint Thomas d’Aquin », par le R. P. F.-D. Joret des Frères Prêcheurs, pages 187-188, Sté St Augustin, Desclée, De Brouwer & Cie, Lille-Bruges, 1927 – cité plus haut.)

1)  Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa IIae, qu. 171, a. 5 ;

2)  Id., De moribus hominum et naturis rerum, quae naturaliter accipimus, divino instinctu ceteris certius judicavit (De Verit., qu. 12, a. 12) ;

3)  Somme théologique, IIa IIae., qu. 171, a. 5 ;

4)  Ibid., qu. 172, a. 4 ;

5)  Ibid., qu. 8, a. 5, ad. 2.

 

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Imitation de Jésus-Christ, livre IV, ch. XXXI, 1-9 :

 

Seigneur, j’ai besoin d’une grâce plus grande s’il me faut parvenir à cet état où nulle créature ne sera un lien poiur moi.

Car tant que quelque chose m’arrête, je ne puis voler librement vers vous.

Il aspirait à cette liberté celui qui disait : « Qui me donnera des ailes comme à la colombe ? et je volerai et je me reposerai » (Psaumes, 54 : 7).

Quel repos plus profond que le repos de l’homme qui n’a que Vous en vue ? Et quoi de plus libre que celui qui ne désire rien sur la terre ?

Il faut donc s’élever au-dessus de toutes les créatures, se détacher parfaitement de soi-même, sortir de son esprit, monter plus haut, et là, reconnaître que c’est Vous qui avez tout fait, et que rien n’est semblable à vous.

Tandis qu’on tient encore à quelque créature, on ne saurait s’occuper librement des choses de Dieu.

Et c’est pourquoi l’on trouve peu de contemplatifs, parce que peu savent se séparer entièrement des créatures et des choses périssables.

Il faut pour cela une grâce puissante qui soulève l’âme et la ravisse au-dessus d’elle-même.

Et tant que l’homme n’est pas élevé ainsi en esprit, détaché de toute créature, et parfaitement uni à Dieu, tout ce qu’il sait et tout ce qu’il a est de bien peu de prix.

 

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L’EXTASE SPIRITUELLE

PAR

LE R. P. F.-D. Joret

DES

FRÈRES PRÊCHEURS (Dominicains)

 

Est extasim faciens divinus amor :

« L’amour divin entraîne l’extase »

(Denys l’Aréopagite,

Souvent cité par saint Thomas, in S. th., IIa-IIæ, qu. 175, art. 2.)

 

La Contemplation mystique d’après saint Thomas d’Aquin, par le R. P. F.-D. Joret des Frères Prêcheurs, chapitre VII, L’extase, § I. — La charité nous tire peu à peu hors de nous-mêmes pour nous donner à Dieu et nous transformer en Lui : c’est l’extase spirituelle, Sté St Augustin, Desclée, De Brouwer & Cie, Lille-Bruges, 1927, pages 266-268, 274-275, 276, 281-282, 283 :

 

« S’oublier de plus en plus pour s’occuper de la personne aimée et chercher son intérêt comme s’il était le nôtre, c’est à quoi tend nécessairement l’amitié véritable (1). Dans la mesure où la charité nous fait l’ami de Dieu elle aura pour effet propre cet oubli de nous-même, un transport d’amour vers Dieu, la transformation de notre âme en Lui, en un mot l’extase, telle que Denys l’entendait tout à l’heure et après lui saint Thomas (2). On expliquera donc celle-ci rien qu’en définissant la charité et en marquant sa croissance progressive jusqu’à l’avènement de l’état d’union transformante où l’extase spirituelle atteint sa perfection terrestre.

Nous savons déjà que la charité est une amitié entre Dieu et l’homme (3). Qui dit amitié suppose qu’on s’est rencontré en quelque point. Ceux qui n’ont rien de commun ne peuvent devenir amis, et ceux-là ne peuvent le rester qui n’ont plus rien où les âmes s’accordent. Telles personnes sont du même sang, du même pays ; telles autres ont les mêmes idées, les mêmes goûts, ou du moins leurs natures s’appellent et se complètent, les besoins de l’une se trouvant comblés par les richesses de l’autre (4). Trouverons-nous quelque chose d’analogue entre Dieu et l’homme ? Oh ! assurément l’Être infini peut bien se passer de nous. Mais il est avéré que nous sentons dans notre cœur le besoin de Dieu. Sans doute encore, par nature nous n’avons rien de commun avec Lui. Mais à titre gracieux Il nous a conviés à partager sa propre vie dans le ciel et dès maintenant nous possédons dans l’état de grâce les prémices de cette communion future. Ajoutons que Lui-Même a voulu prendre notre nature humaine et tout expérimenter de notre existence terrestre, tout, sauf le péché. C’est plus qu’il n’en faut pour rendre possible une amitié entre Lui et nous. Un jour quelques hommes ont recueilli sur les lèvres de Jésus cette « bonne nouvelle » qu’ils reçurent mission de répéter dans le monde entier : “ Désormais je ne vous appellerai plus mes serviteurs, vous êtes mes amis (5).”

Poursuivons notre analyse. Si l’amitié suppose la possession commune de quelque bien, elle consiste essentiellement dans une union plus intime, d’ordre psychologique. Au contacte de l’être aimé le cœur se fond peu à peu sous l’action de l’amour. Il se sent modelé par celui en qui il se complaît. À la fin il est transformé en lui. Oui, transformé. En vérité on peut dire que l’aimé devient la forme de l’aimant autrement dit son âme. Et comme chaque être agit suivant les exigences de la forme qui le constitue ou du principe qui l’anime, et y trouve la joie, il s’ensuit que l’aimant se délecte à vouloir le bien de l’aimé, comme si c’était son bien personnel. Arrive-t-il que cette bienveillance soit réciproque, et que l’objet ne se laisse pas seulement atteindre, mais qu’il se donne, ajoutant à ses autres attraits celui d’une libre offrande, alors c’est le plus beau des amours, c’est l’amitié. À ce genre appartient la charité. Mais à laquelle de nos amitiés la comparerons-nous ? Affection désintéressée qui rapprochent deux amis, union de l’époux et de l’épouse, amour du père et du fils, tous ces sentiments, et le dernier surtout, se retrouvent analogiquement dans nos relations avec Dieu. Il suffit pour cela que nous aimions Celui qui nous a aimés le premier (6). “ Quiconque fait la volonté de mon Père, dit Jésus, celui-là est mon frère et ma sœur et ma mère ” (7).

Mais l’amitié tend de toute sa force à une union plus intime encore que cette union psychologique. Ce n’est pas une simple métaphore de dire que nous voudrions ne faire qu’un réellement avec Celui que nous aimons (8).

 

  […] Le bienheureux Raymond de Capoue, après avoir raconté le mariage mystique de sainte Catherine de Sienne, parle comme saint Jean de la Croix : “ Pour moi, dit-il, je pense que ces épousailles ont été la confirmation en grâce de Catherine (9) ”. Il est remarquable que Notre-Seigneur introduisit sainte Thérèse dans le mariage spirituel par une parole toute semblable à celle qu’entendit la grande sainte dominicaine : Notre-Seigneur dit à cette âme “ qu’il était temps qu’elle de ses intérêts à Lui ses intérêts propres, et qu’Il prendrait soin de ce qui la concernait (10) ”. Et Catherine entendit ces mots : “ Ma fille, pense à moi ; si tu le fais, Je penserai sans cesse à toi ”. Écoutez maintenant, continue son biographe, comment notre vierge a compris cette parole. M’entretenant secrètement de cette révélation, la sainte me disait que le Seigneur lui avait ordonné de garder seulement le vouloir qui la portait vers Lui, d’exclure de son cœur toute autre préoccupation ; car tout souci d’elle-même, fût-ce de son salut spirituel, aurait pu mettre obstacle à son repos continu dans la pensée de Dieu. Le Maître avait ajouté : “ Et Moi, je penserai à toi ”, comme s’Il eût dit ouvertement : “ Ne t’inquiète pas, ma fille, du salut de ton corps et de ton âme ; Moi qui ai science et pouvoir, j’y penserai et J’y pourvoirai avec soin. Applique-toi seulement à penser à Moi…” Notre seul souci doit être de penser comment nous pourrons plaire à Dieu auquel nous nous sommes donnés, et cela, non pas principalement en vue de la récompense, mais en vue de nous unir à Lui, d’une union d’amour qui sera d’autant plus grande que nous lui plairons davantage (11).” »

 

« […] C’est à ce premier signe que l’on reconnaît les parfaits, dit le Père éternel à sainte Catherine dans le Dialogue. Leur amour pour Dieu est pur, libre, sans crainte de nulle souffrance, sans calcul de consolation ni de salaire. Tels les apôtres au sortir du Cénacle. “ […] Toujours elles [ces âmes] Me sentent en elles, jamais Je ne leur dérobe le sentiment de Ma présence.” Elles ne forment plus qu’un vœu : mourir pour voir la sainte Trinité. “ Malheureux que je suis ! Qui me séparera de mon corps ? (12) ”… »

 

À SUIVRE

 

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