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4 avril 2011 1 04 /04 /avril /2011 10:18

 

CANTIQUE SPIRITUEL

Saint de la Croix (1542 – 1591)

Docteur mystique

Strophe XXI

 

Que si donc au pré public

De ce jour, nul ne me voit, nul ne me trouve,

Dites que je suis perdue,

Et qu’allant énamourée

Je me suis fait perdante et j’ai gagné.

 

Exposition

 

Pues ya si en el ejido

de hoy más no fuere vista ni hallada

diréis que me he perdido ;

que, andando enamorada,

me hice perdidiza, y fui ganada.

 

5. L’âme en ce couplet répond à une répréhension tacite que lui pourraient faire les gens du monde qui ont coutume de taxer ceux qui se donnent vraiment à Dieu d’être extrêmes en leur retraite, et étranges et farouches en leur façon de procéder, les tenant pour inutiles et perdus en ce que le monde prise et estime. A laquelle réprimande elle satisfait ici d’une très bonne façon, et d’une grande audace et hardiesse fait tête et se raidit contre cela et contre tout ce que le monde lui peut imposer — le tenant en fort peu d’estime, après être arrivée au vif de l’amour de Dieu. Au contraire elle-même le reconnaît et se prise et se glorifie d’avoir fait ces choses pour son Bien-Aimé et de s’être perdue au monde et à elle-même. Et ainsi elle le confesse en ce Cantique, disant à ceux du monde que, s’ils ne la voient plus dans ses premières occupations et ses premiers passe-temps qu’elle avait accoutumé d’avoir dans le monde, qu’ils disent et croient qu’elle s’est perdue et qu’elle s’en est retirée ; et qu’elle tient cela pour un si grand bien, qu’elle-même s’est voulue perdre allant à la quête de son Ami, grandement passionnée de Lui. Et pour leur montrer le profit de sa perte, et afin qu’ils ne jugent pas qu’on puisse appeler cela folie ou tromperie, elle dit que cette perte a été son gain et que pour ce sujet tout exprès elle s’est perdue.

 

Que si donc au pré public

De ce jour, nul ne me voit, nul ne me trouve.

 

Le pré public communément se dit d’un lieu public, où le peuple a coutume de s’assembler pour se recréer et prendre quelque relâche, et aussi où les bergers font paître leurs troupeaux. C’est pourquoi l’âme par le pré public entend ici le monde où les mondains ont leurs passe-temps et leurs commerces et paissent les troupeaux de leurs appétits. D’où vient que parlant aux gens du siècle, elle leur dit que, si elle n’y est vue, ni trouvée comme devant qu’elle se fût entièrement dédiée au service de Dieu, qu’ils croient qu’ils croient qu’elle s’est perdue à toutes choses, et qu’ils le disent ainsi, parce qu’elle se réjouit qu’on le sache et désire qu’ils le publient, disant :

 

Dites que je suis perdue,

 

Celui qui aime ne rougit point devant le monde de ce qu’il fait pour Dieu et ne cache point ses œuvres par vergogne, encore que tout le monde les doive condamner. Car celui qui aura honte de confesser le Fils de Dieu devant les hommes, laissant les l’exercice des bonnes œuvres, le Fils de Dieu lui-même, comme Il le dit en saint Luc (Luc, X, 26), aura honte de le confesser devant son Père. Et partant l’âme, avec un courage d’amour, se glorifie plutôt qu’on sache pour la gloire de son Bien-Aimé qu’elle a fait une telle œuvre pour son amour, à savoir qu’elle s’est perdue à toutes les choses du monde, et pour ce sujet elle dit :

 

Dites que je suis perdue,

 

Peu de spirituels parviennent à cette si parfaite hardiesse et détermination dans les œuvres. Car bien que quelques-uns pratiquent cette façon de procéder, et même qu’il y en ait qui se tiennent pour fort avancés, pourtant jamais ils n’achèvent de se perdre en certains points, soit du monde, soit de la nature pour faire les œuvres parfaites et pures pour le Christ, sans regarder à ce qu’on dira, ou ce qu’il semblera. Et ainsi, eux-là ne pourront pas dire : « Dites que je suis perdue », puisqu’ils ne sont pas perdus à eux-mêmes dans leurs œuvres. Ils ont encore honte de confesser le Christ devant les hommes par leurs actions ; ils ne vivent pas véritablement en Lui, puisqu’ils ont égard à d’autres choses.

 

Et qu’allant énamourée,

 

 

C’est-à-dire exerçant les vertus, enflammée d’amour de Dieu,

 

Je me suis faite perdante et j’ai gagné.

 

Le véritable amoureux se perd incontinent à tout pour se trouver en ce qu’il aime. Et pour ce sujet, l’âme dit ici que d’elle-même elle « se fit perdante », qui est se laisser perdre exprès. Et ceci arrive en deux manières. Premièrement, se perdant soi-même, ne faisant aucun cas de soi en aucune chose, mais seulement de l’Ami ; se livrant à Lui gratuitement, sans regarder à aucun intérêt ; « se faisant perdante » de soi-même et ne se voulant gagner en rien pour soi-même. Secondement, « se perdant » à toutes choses, ne tenant aucun compte des siennes, mais seulement de celles qui touchent son Ami, et cela c’est « se faire perdante », qui est avoir envie d’être gagnée.

Tel est celui qui est vraiment épris de l’amour de Dieu, lequel ne prétend point de profit ni de récompense, mais seulement de perdre volontairement tout et soi-même pour l’amour de Dieu — ce qu’il tient pour son propre gain. Et il est ainsi selon le dire de saint Paul (Philippiens, I, 21) : « Mourir pour le Christ », spirituellement, à toutes choses et à soi-même, « c’est mon gain ». C’est pourquoi elle dit, « Et j’ai gagné ». Car celui qui ne sait pas se perdre ne se gagne pas ; au contraire il se perd, selon que Notre Seigneur le dit dans l’Évangile, disant : « Car celui qui voudra gagner pour soi son âme la perdra, et qui perdra son âme pour l’amour de Moi la trouvera » (Matthieu, XVI, 25).

Et si nous voulons entendre le vers susdit spirituellement, et plus à propos pour ce qui se traite ici, il faut savoir que dans la voie spirituelle, quand une âme est parvenue à tel point que de se perdre, touchant tous les moyens et voies naturelles de procéder en le commerce avec Dieu, et que désormais elle ne Le cherche plus par les considérations, ni par les formes ou sentiments, ou autres moyens des créatures et du sens, mais qu’elle passe par-dessus tout cela, traitant avec Dieu et jouissant de Lui en foi et en amour alors on dit qu’elles s’est véritablement gagnée à Dieu parce qu’elle s’est vraiment perdue à tout ce qui n’est point Dieu et à tout ce qui est en elle.

 

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