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21 novembre 2012 3 21 /11 /novembre /2012 16:48

 

« Voici maintenant les raisons qui justifient ce mode d’oraison. En premier lieu, bien que d’ordinaire il n’y est point de discours, il y a cependant demande, et dans les courts intervalles de temps où Notre-Seigneur tient l’âme dans le repos, il y a exercice de toutes les vertus, et alors il y a également demande : non par un acte manifesté par le signe extérieur de la parole, mais par un acte formellement exercé : “Non in actu signato, sed in actu exercito”, comme s’expriment les théologiens. Et, en effet, que ne demande pas une âme qui se tient silencieuse en la présence de Dieu, avec la foi qu’en paraissant devant Lui, son cœur et ses désirs Lui sont manifestés ; attendu que, pour Dieu, les désirs sont ce que les paroles pour les hommes, suivant ces paroles de David :“Le Seigneur a exaucé le désir des pauvres : Desiderium pauperum exaudivit Dominus ” (14). Dieu entend non seulement les paroles, mais encore les désirs des justes qui sont pauvres. De cette manière, celui qui paraît devant Dieu croit que de là lui doit venir tout bien ; il aime, il s’humilie, il s’exerce, et parce qu’il va par le chemin de Dieu en laissant ses voies propres, il trouve tous les biens réunis.

Secondement, par ce mode d’oraison, on persévère plus longtemps dans l’entretien avec Dieu ; et l’on infère de là cette oraison a été celle d’un très grand nombre de saints, attendu que le discours fatigue, et que les saints se maintenaient dans une oraison continuelle.

Troisièmement, quant à la réforme que l’on prétend obtenir pour une âme par la voie du discours, il est évident que le divin Maître l’opère, et d’une manière bien plus efficace dans ceux qu’il conduit par le chemin dont nous parlons. En effet, ils ont un soin continuel de leur avancement, ils sont soumis à leurs supérieurs, ils sont plus maîtres de leurs, ils dominent mieux les adversités, et leurs ministères ont plus d’efficacité auprès du prochain.

« Cette voie, il est vrai, n’est pas pour tous, et il faut suivre ici ce que saint Ignace a établi. Mais elle est très certainement  pour tous ceux à qui il plaira à Dieu de la communiquer ; elle est pour ceux qui depuis longtemps usent de l’oraison de discours, et que les supérieurs, qui sont juges en cette cause, estiment y être appelés par Notre-Seigneur. Et ceci est conforme à ce qui s’est passé dans notre Père saint Ignace ; car bien que, dans les commencement, il marchât par le chemin qu’il nous a tracé et qu’il nous a enseigné par les Exercices ; dans la suite, néanmoins, il fut élevé à cet autre mode d’oraison, ainsi qu’il est dit dans sa vie : “Postea erat patiens divina ” : Plus tard, il était passif à l’égard des opérations divines. De plus, si dans toutes les sciences il doit y avoir un commencement, un milieu et une fin, il est évident qu’il en est ainsi de la science de l’oraison. Et que ces trois degrés se trouvent dans la Compagnie qui désire si ardemment de plaire à Dieu, c’est chose manifeste. Il y a des religieux que Dieu Notre-Seigneur élève à ce mode d’oraison. Or, que des hommes sans expérience tentent de les en retirer au détriment de leur âme et de leur corps, c’est selon moi, ce qu’ils ne peuvent faire en sûreté de conscience. Voici comment s’exprime Osuna dans son Abécédaire : Ceux-là ne sont pas exempts de faute qui écartent les âmes du chemin de Dieu. Il dit encore : Dieu abrégera la vie des supérieurs qui agissent de la sorte, s’ils ne reviennent pas sur leurs actes. Que par voie d’examen et d’épreuve, on retire passagèrement de ce mode d’oraison ceux qui y sont élevés, c’est autre chose ; les supérieurs le peuvent faire avec justice, c’est un droit de leur charge.

« Voilà quels sont mes sentiments sur ce qui se passe et s’est passé en moi, sur le mode de mon oraison, et sur la cessation, par intervalles, des discours, à cause de la présence de Dieu.

« Avec toute l’humilité d’un sujet à l’égard de son supérieur, je vous prie de trouver bon que cet écrit soit uniquement pour Votre Paternité. »

 

Telle est la Relation donnée par le Père Balthasar Alvarez. Elle met au grand jour sa sainteté et son héroïque vertu. Car, dès le début, il confesse avec une rare humilité ses fautes, son peu de qualités pour être estimé, l’état de misère et de pauvreté où il s’était vu. Il expose ensuite l’abondance des biens spirituels que Notre-Seigneur lui communiqua, enfin que l’on découvre par là le peu qu’était dans son fonds, et la libéralité du divin Maître qui opéra dans son cœur un si merveilleux changement. Cette insigne faveur renferme en elle tant et de si grands dons, que, pour les apprécier chacun en particulier, il nous faudrait de longues pages. Enfin, le Père Balthasar signale l’oraison sublime à laquelle Notre-Seigneur l’éleva : c’étaient les plus hauts degrés de la contemplation divine, faveur qui ne s’accorde que rarement en ce monde.

Il n’écrivit cette Relation qu’après avoir vaqué pendant quinze jours aux Exercices spirituels, dans le recueillement et la solitude. La veille du jour où il devait l’envoyer à Rome, il la donna à un Père grave, le priant de la corriger. Celui-ci en prit une copie qu’il garda secrètement plusieurs années. Plus tard il la publia, et c’est ainsi qu’elle est venue dans nos mains. Mais comme elle renferme plusieurs choses de la plus haute importance pour les personnes d’oraison, et que quelques-unes de ces personnes pourraient se tromper en les prenant dans un sens qui n’est pas celui du Père Balthasar, sans sortir de l’histoire, nous les expliquerons dans les chapitre qui vont suivre.

1)  Jérémie, 15 : 19 ;

2)  Psaumes, 30 : 8 ;

3)  I S. Pierre, 5 : 7 ;

4)  Psaumes, 143 : 2 ;

5)  S. Thomas d’Aquin, S. th., 2, 2, q. 24, art. 9 ;

6)  S. Thomas d’Aquin, S. th., 2, 2, q. 182, art. 2, ad. I ;

7)  Cantiques, 2 : 7 ;

8)  Ibid., 3 : 4 ;

9)  I Corinthiens, 9 : 7 ;

10)                S. Luc, 19 : 42 ;

11)                Ecclésiaste, 6 : 1 ;

12)                Psaumes, 33 : 9 ;

13)                Psaumes, ch. 8 ;

14)                Psaumes, 9 : 17.

 

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ID., ibid., chapitre XIV, Explication plus ample de ce mode d’oraison. — Dessein de Notre-Seigneur en l’accordant au Père Balthasar. — Raisons pour lesquelles Il le lui différa quelques années, pages 144-158 :

 

Les vies des saints, en général, présentent un tableau d’une admirable variété. Ce tableau, l’Église le met sous les yeux de tous ses enfants, parce qu’il est utile à tous. Mais elle nous enseigne en même temps que s’il est dans les saints des choses accessibles à notre imitation, il en est d’autres dans lesquelles nous n’avons qu’à admirer et à glorifier Dieu. Cependant son bras n’est pas raccourci : de nos jours encore, Il fait éclater ces mêmes merveilles de sa grâce dans d’autres justes. Et ceux-ci, pour marcher par un chemin sûr, n’ont qu’à lire les vies des grands modèles en qui ces dons extraordinaires ont resplendi. Ainsi en est-il de la vie du Père Balthasar Alvarez, et de tout ce qui touche à son mode d’oraison, rapporté dans le chapitre précédent. C’est pourquoi nous jugeons très utile d’expliquer plus en détail tout ce qu’embrasse ce mode d’oraison ; les fins pour lesquelles Notre-Seigneur l’accorda à ce saint homme, et l’accorde à d’autres de ses serviteurs ; les causes pour lesquelles Il le lui différa pendant seize ans ; les fruits et les faveurs qu’Il lui communiqua avec ce mode d’oraison, et qu’Il communique à ceux qui, comme lui, se montrent fidèles dans Son service ; la vocation par laquelle ce serviteur de Dieu fut appelé à ce mode d’oraison, vocation nécessaire à tous ceux qui marchent par cette voie, s’ils veulent y avancer d’une manière sûre. Nous exposerons ensuite les sécurités et les avantages du mode ordinaire d’oraison, dans lequel saint Ignace s’y exerça d’abord, et par lequel il mérita les faveurs qui lui furent accordées. Enfin, nous dirons tout ce qui sera convenable pour bien entendre la Relation du Père Balthasar, et pour reprendre le fil de notre histoire.

La nature de ce mode d’oraison et tout ce qu’il embrasse ont été expliqués avec plus d’étendue par le Père Balthasar Alvarez lui-même dans un autre traité qu’il écrivit sur ce sujet, pour répondre aux difficultés qu’on lui opposait. Nous en parlerons en son lieu, et nous rapporterons ses réponses, qui sont d’une très grande importance. Ici, nous nous bornerons à donner une explication précise et lumineuse de ce mode d’oraison, tirée des noms que lui donnent les maitres de la vie spirituelle, et le Père Balthasar lui-même. Ils indiquent par ces noms ce qu’elle est, ce qu’elle renferme, et les effets qu’elle produit.

Premièrement, elle s’appelle oraison de la présence de Dieu. Sans doute, quel que soit le mode de prier, que l’oraison soit mentale ou vocale, il est nécessaire, pour s’en bien acquitter, que celui qui prie considère, par la lumière de la foi, que Dieu est présent, qu’Il écoute et qu’Il entend ce qu’il Lui dit ; car qui s’imaginera de parler à celui qu’il croit absent et qui ne peut ni l’écouter ni le comprendre ? Néanmoins ce mode d’oraison est appelé spécialement oraison de la présence de Dieu, parce qu’alors l’âme, éclairée par la lumière divine, voit, sans aucun raisonnement, Dieu tellement présent auprès d’elle ou au-dedans d’elle-même, qu’Il lui semble sentir. Celui auquel elle parle et devant Lequel elle se tient. C’est ainsi que saint Paul dit de Moïse : « Il traitait avec l’Invisible comme s’il L’eût vu : Invisibilem tanquam videns sustinuit (1). » De là procèdent, comme naturellement, le respect, l’admiration, le mouvement affectueux de la volonté, la complaisance et la joie d’être en sa présence. L’âme, dans cet état, ressemble à quelqu’un qui, ayant devant lui une personne ou un portrait d’une rare beauté, contemple avec admiration l’objet qu’il a sous les yeux, et se complaît dans la vue de cette beauté.

De là vient que cette oraison est encore appelée de quiétude ou de recueuillement intérieur, parce que là cessent la multitude, la variété et le tumulte des images et des pensées. Les puissances supérieure de l’âme, la mémoire, l’entendement et la volonté, y sont recueillies et fixées en Dieu et dans la contemplation de Ses mystères, avec une grande tranquillité et un grand repos dans leurs actes. C’est cette oraison qui, à proprement parler, est appelée contemplation, et qui, d’après saint Thomas (2) et les autres docteurs est appelée contemplation, ainsi que nous l’avons exposé au long dans notre livre du guide spirituel, diffère de beaucoup de la méditation. Celle-ci, en effet, va discourant d’une chose à l’autre, comme qui cherche la vérité cachée ; elle travaille à l’approfondir, et n’arrive à la saisir qu’à l’aide de plusieurs raisonnements. La contemplation, au contraire, voit d’un simple regard la Vérité souveraine, admire sa grandeur, s’y complaît et en jouit. C’est ce que le Psalmiste exprime en ces termes ; « Reposez-vous, et voyez que je suis Dieu. Goûtez, et voyez combien le Seigneur est doux : Vacate, et videte quoniam ego sum Deus. Gustate, et videte quniam suavis est Dominus (3) ».

Cette oraison s’appelle aussi oraison de silence, parce qu’en elle Dieu parle et l’âme se tait : son occupation est d’écouter attentivement ce que le Maître céleste lui dit au cœur, ce qu’Il lui enseigne et lui découvre ses mystères. Mais on ne doit pont penser, comme se l’imagine quelques ignorants, que ce silence de l’âme est la cessation de tous les actes des puissances intérieures ; car cette cessation de tout acte est choses impossible, à moins qu’on ne dorme ; ce serait un effort très pénible et même nuisible ; ce serait, en outre rester oisif, perdre le temps, et s’exposer à un danger réel, aux mille rêveries de l’imagination, et aux pensées mauvaises ou impertinentes de l’esprit de ténèbres. Il est donc certain que, dans les intervalles où Dieu n’opère point dans l’âme, celle-ci doit agir avec son entendement et sa volonté ; et même pendant que Dieu ; et même pendant que Dieu opère en elle, elle a encore sa part d’action, agissant avec Lui, à peu près comme l’écolier qui écoute en silence la leçon de son maître, et qui agit intérieurement, puisqu’il perçoit, saisit et sent  ce que son Maître lui enseigne. Ainsi, si cette oraison s’appelle de silence, ce n’est pas seulement parce que la langue se tait, ce qui a lieu en toute oraison mentale, ni parce que les puissances intérieures y sont dans un silence absolu, mais parce que leur action consiste alors à recevoir Dieu, en la manière dont parle le roi-prophète quand il dit : « J’écouterai ce que dira en moi le Seigneur mon Dieu : Audiam quid loquatur in me Dominus Deus (4) ».

Dans cette oraison, en effet, Dieu daigne instruire sa créature, parle à son cœur, lui révéler et l’affectionner à elles par un véhément attrait, sans qu’elle ait besoin de recourir à ses propres industries, ainsi qu’elle y est obligée dans ses méditations et ses prières, où elle multiplie ses actes. C’est dans ce sens que saint Denys dit du divin Hiérothée : « Erat patiens divina » : Il recevait passivement les choses divines », se comportant dans son commerce avec Dieu plus comme un disciple qui reçoit l’enseignement de son maître, que comme un homme qui, par ses soins et son industrie, cherche à découvrir la vérité qu’il ne saisit pas. Cela explique comment ce mode d’écouter ou cette attention intérieure à la voix de Dieu s’appelle silence : c’est qu’alors toutes les créatures se taisent dans le cœur, et qu’il n’y a rien qui le trouble ou l’inquiète. Pour la même raison, ce mode de prier s’appelle sommeil spirituel dans les Cantiques (5), parce que le cœur veille et agit de telle sorte pour connaître et aimer son Dieu, pour converser avec Lui, que l’âme est comme plongée dans le sommeil pour toutes les choses extérieures ; en sorte qu’elle ne voit rien de ce qui se fait hors d’elle, et n’entend rien de ce qu’on lui dit. De là vient aussi que cette oraison s’appelle oraison d’union, parce que l’âme, par la grandeur de Ses lumières et de Son amour, s’attache si fortement à Dieu qu’elle devient selon l’expression de saint Paul, un même esprit avec Lui (6), sans pouvoir dans cet état se séparer de Lui, pour vouloir, ou aimer, ou considérer autre chose que son divin objet ; en sorte qu’elle dit avec le roi-prophète : « Qu’y a-t-il pour moi dans le ciel, et que désirè-je sur la terre, sinon Vous, ô mon Dieu ? : Quid mihi est in coelo ? et a Te quid volui super terram (7) », et avec l’Epouse des Cantiques : « J’ai trouvé le Bien-Aimé de mon âme, je L’ai saisi, et je ne Le quitterai plus : Inveni quem diligit anima mea : tenui eum, nec dimittam (8) ».

Tels sont les noms les plus ordinaires de cette oraison si élevée, dans laquelle l’âme est éclairée de très hautes lumières, et ressent d’admirables effets en contemplant les mystères divins. Tantôt c’est par certaines figures, visibles à l’imagination, et que Notre-Seigneur grave dans l’âme ; tantôt c’est par la pure lumière intellectuelle, de beaucoup supérieure, à l’aide de laquelle le divin Maître élève l’âme jusqu’au sommet de la théologie mystique. C’est ce que saint Denys appelle « entrer dans la nuit divine : In divinam caliginem », dans les ténèbres souverainement resplendissantes de Dieu qui est la lumière inaccessible, et s’élever à travers ces ténèbres jusqu’à l’union avec ce même Dieu qui est au-dessus de toute substance, et au-dessus de tout ce que l’entendement peut connaître : c’est une connaissance si relevée de l’Être divin, et une union si intime et si divine, que Dieu seul, par une grâce, une faveur spéciale, peut élever l’âme à une pareille hauteur. Quelque grand et quelque admirable que soit ce que l’âme découvre et contemple alors, il lui semble néanmoins qu’entre ce qu’elle connaît de Dieu et ce qu’elle ignore, il y a un abîme infini.

Les choses extraordinaires qui se passent dans cette oraison si élevée lui ont fait encore donner d’autres noms. Ainsi, quand les visites de Dieu, les illustrations et les visions intérieures, les transports d’amour produits par l’union avec Dieu, viennent avec une telle véhémence que l’âme demeure élevée au-dessus des sens, et que tout mouvement corporel cesse, cette oraison s’appelle suspension ou extase. Lorsque l’opération divine se fait sentir soudainement et avec une grande force, elle s’appelle ravissement ; c’est le nom que donne saint Paul, quand il dit qu’il fut ravi jusqu’au troisième ciel. Lorsque c’est la suavité intérieure qui domine dans cette opération, elle s’appelle vol de l’esprit : c’est ce que souhaitait David quand il disait : « Qui me donnera des ailes comme la colombe, et alors je volerai, et je me reposerai ! » Parfois il arrive que le corps est élevé de terre, et qu’il suit le mouvement de l’esprit, qui prend son essor vers le ciel et va en contempler les merveilles.

Dans toutes ces suspensions, extases, ravissements, quand ce sont des faveurs venant de Dieu, l’esprit n’est point oisif ni endormi ; mais il voit, il entend, il comprend quelque chose ; il admire, il jouit, il aime. Mais quand il ne fait rien ni ne reçoit rien, cela est plutôt s’appeler un enchantement ou somnolence d’une tête faible ou égarée, ou un piège et une illusion du démon. Commes ces choses extraordinaires sont dangereuses de leur nature, on ne doit ni les désirer, ni y prétendre ; il faut au contraire les fuir, jusqu’à ce que Notre-Seigneur force à les recevoir, et fasse connaître à celui qui les sent que Sa volonté est de le conduire par cette voie.

Telles sont les choses qu’embrasse ce mode d’oraison et de contemplation qu’il plut à Notre-Seigneur de communiquer au Père Balthasar, pour plusieurs raisons et pour plusieurs fins. La principale est celle-ci : comme Il l’avait choisi pour maître de la science spirituelle et pour guide d’un très grand nombre d’âmes marchant dans les voies de l’oraison, Il voulut qu’il fût lui-même très avancé dans ces voies, et qu’il connût par expérience les divers chemins par lesquels le divin Esprit a coutume de connaître ses élus. Cette raison, le Père Balthazar lui-même la découvrit, et voici comment il l’a approfondie dans le Traité dont nous avons déjà fait mention :

« D’abord, dit-il, celui qui n’a jamais appris le grec, et qui ne sait pas le lire, n’entendra point cette langue, et beaucoup moins sera-t-il capable de l’enseigner. Secondement, il convient, dans la science spirituelle plus que dans les autres, que le maître soit comme la cause supérieure et universelle qui viennent en aide à tous, dirigeant chacun selon son degré et son avancement, dans toutes les voies où Dieu le guide, voies qui sont nombreuses, bien que toutes tendent à une même fin ; et pour cela, il importe grandement d’avoir l’expérience de toutes. Dans ce chemin, c’est l’expérience qui fait les maîtres supérieurs ; et, bien que la spéculation, la lecture des écrits des saints et des auteurs mystiques soient d’un grand secours, la propre expérience est néanmoins d’un secours incomparablement plus grand. C’est une immense consolation pour le disciple, comme le dit très bien un maître de la vie spirituelle, quand son guide peut lui dire : Je suis passé par là, telle ou telle chose que vous me dites, je les ai éprouvées ; quand il le prévient et lui montre qu’il connaît la voie où il marche, et le terme où il tend ; quand il l’entend à demi-mot, et lui fait comprendre ce qu’il ne peut expliquer. Cette science expérimentale est de la plus grande efficacité pour faire avancer les disciples ; ils ont plus foi  aux paroles de leur maître, et ils estiment ce qu’il leur enseigne, éprouvant un sentiment pareil à celui des apôtres quand ils disaient à Jésus-Christ : “Nous savons maintenant que vous connaissez toutes choses, et qu’il n’est nullement besoin que quelqu’un vous interroge : en cela nous croyons que vous êtes sorti de Dieu : Nunc scimus quia scis omnia, et non opus est tibi ut quis te interroget : in hoc credimus quia a Deo existi ” (9).

 

 

SUITE

 

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21 novembre 2012 3 21 /11 /novembre /2012 16:25

«  L’exemple vivant d’un tel Maître qui les entend et leur parle ainsi, qui leur dit tout ce qu’ils ont dans leur intérieur, comme Jésus-Christ à la Samaritaine, leur fait plus d’impression que tout ce qu’ils peuvent lire dans les écrits des maîtres de la vie spirituelle. C’est pourquoi le docteur que je viens de citer dit que de tels guides feront bien de s’ouvrir et de se communiquer à ceux qu’ils dirigent, et de ne pas se refermer entièrement en eux-mêmes comme quelques-uns le font ; ils doivent toutefois dans cette communication garder les lois de la discrétion et de la convenance, ne s’ouvrir que dans une certaine mesure, en sorte que le disciple n’ait pas une entière connaissance du maître. »

Toutes ces raisons, si bien exprimées par le Père Balthasar Alvarez, sont tirées de sa propre expérience. À l’aide de cette lumière, il guidait admirablement les âmes, il pénétrait les cœurs, et il eut auprès de tous le crédit d’un grand maître de la vie spirituelle, ainsi que nous le verrons dans le cours de cette histoire. Mais un des témoignages qui prouvent le mieux son expérience consommée dans toutes les voies de l’esprit, est celui que la sainte Mère Térèse lui a rendu, quand elle a affirmé, ainsi que nous l’avons rapporté plus haut, « que pour tous les modes d’oraison dont elle parlait au Père Balthasar Alvarez, son maître et son guide, elle se trouvait devancée par lui ». Et ce témoignage est confirmé dans sa Relation, quand il dit que « Notre-Seigneur lui donna l’intelligence de la faculté de l’esprit pour lui et pour les autres ». C’est-à-dire que Notre-Seigneur fit de lui un maître qui possédait la science expérimentale des choses intérieures.

De là, on peut inférer la seconde raison pour laquelle le divin Maître communiqua ce don à cet ouvrier évangélique, son fidèle serviteur. Ce fut afin qu’il ne reçût aucun dommage ni aucun détriment de la communication et du commerce avec le prochain, mais au contraire un grand accroissement de perfection : cet adorable Sauveur la lui communiquant double, en lui donnant le double esprit que le prophète Élisée désirait pour lui, et que possédait Élie, son maître. Ce double esprit, c’est d’une part, la sublimité de l’oraison, le commerce familier avec Dieu, accompagné d’une paix profonde, qu’on aurait au fond d’un désert ; et de l’autre, les rapports avec les hommes, la dextérité à traiter avec eux pour les sauver, sans perdre pour cela le commerce intérieur avec Dieu, et sans cesser de marcher en Sa présence. Et bien que, selon Cassien, la perfection en ces deux choses soit rare et accordée à un petit nombre d’hommes, comme au grand Antoine et au grand Macaire ; néanmoins, Notre-Seigneur voulut que l’un de ces hommes en petit nombre fût le Père Balthasar Alvarez, Son serviteur, et qu’il employât tout son temps au commerce continuel avec son Créateur par l’oraison, en y joignant le fréquent commerce avec les hommes, pour le salut des âmes : ces deux commerces s’aidant l’un l’autre dans une harmonie très admirable.

Ce fut l’année même où le Père Balthasar, en faisant sa profession solennelle, se consacrait au salut et à la sanctification des âmes, que Notre-Seigneur lui communiqua ce don, afin qu’il entendit bien que ce n’était pas pour qu’il se retirât dans la solitude, mais pour qu’il joignît ensemble le commerce avec Dieu et le commerce avec le prochain ; ce qui est beaucoup plus facile lorsque, dans l’oraison, l’on avance pas à force de rames, mais que l’on navigue le vent en poupe, c’est-à-dire avec le souffle du Saint-Esprit.

Enfin, en élevant le Père Balthasar à cette oraison sublime, Notre-Seigneur voulut le récompenser de ses efforts et de son application à prier par la voie des discours et des méditations sur les mystères divins, selon la méthode dont nous avons parlé au second chapitre de cette histoire [selon la méthode enseignée par saint Ignace dans ses Exercices spirituels – page 13].

Il voulut le récompenser encore des désirs de son cœur et de sa fidélité à voler au secours spirituel du prochain. Il se plut à le traiter avec une libéralité divine, de telle sorte qu’il recueillît tout le fruit qu’il avait souhaité, et un fruit plus abondant encore, mais par une voie plus facile. Car bien que les deux modes de prier, la méditation et la contemplation, produisent de grands fruits, c’est néanmoins d’une manière différente. Celui qui procède par les discours et les méditations n’est pas exempt de travail et de fatigue ; il ressemble au jardinier qui, à force de bras, tire de l’eau d’un puits profond pour en arroser les plantes de son jardin. Mais, dans la contemplation, il n’y a ni travail ni fatigue : c’est comme une pluie qui descend du ciel et qui pénètre doucement la terre. Le psalmiste la décrit en ces termes : « Seigneur, Vous avez enivré la terre de vos pluies, Vous avez multiplié ses germes ; aussi, arrosée par Vous, elle tressaillera d’allégresse, déployant partout les richesses de sa fécondité : Rivos ejus inebria, multiplica genimina ejus : in stillicidiis ejus lætabitur germinans (10) ». La suave providence de notre grand Dieu, qui est libéral et magnifique dans le partage de ses dons, Se plaît à donner soulagement et consolation à Ses serviteurs. Aussi, dès qu’Il les trouve capables de la contemplation, qu’ils s’y sont disposés par le travail, par la pureté de cœur, par la mortification des passions et par les exercices d’oraisons prolongées, ce Dieu d’infinie bonté a coutume de leur accorder cette oraison dans un haut degré et une paix profonde, surtout quand ils doivent s’employer au bien spirituel du prochain. Ainsi l’accorda-t-Il à saint Ignace, après qu’il eut passé par les méditations qu’il nous enseigne dans son Livre des Exercices [qu’il ne faut jamais quitter !]. Ainsi l’accorda-t-il au Père Balthasar Alvarez ; ainsi l’accordera-t-il à tous ceux qui, avec un soin pareil, se disposeront à la recevoir, pourvu que cela convienne à leur plus grande perfection, et qu’ils persévèrent, avec humilité et résignation, à faire ce qu’ils doivent faire dans l’oraison ordinaire, qui est, comme l’enseignent les maîtres de la vie spirituelle, l’échelon pour monter à une oraison plus élevée [c’est en effet une hérésie et une prétention insupportable manifestement inspirée de l’ennemi de la nature humaine de prétendre conduire des âmes à une telle contemplation sans parler de ce qui est nécessaire pour y parvenir par la grâce et le bon plaisir de Dieu, seul juge de l’opportunité de cette grâce insigne].

Cette persévérance, sans fixer à Dieu le temps de sa visite, est très nécessaire pour réussir dans une si haute entreprise. Le divin Maître, comme on l’a vu, retint le Père Balthasar seize ans dans le mode ordinaire de l’oraison ; et il y retint pendant dix-huit ans la Mère Térèse, ainsi que l’écrit le Père François de Ribera dans sa Vie. D’autres saints ont de même attendu très longtemps. En cela rien d’étonnant ; car si le patriarche Jacob dut, pendant quatorze ans, servir son beau-père avec un immense travail pour obtenir Rachel, qui est la figure de la vie contemplative ; est-ce beaucoup que ceux qui doivent arriver à la contemplation, et s’unir spirituellement à la divine Sagesse, travaillent et suent pendant plusieurs années en prétendant à un tel bien ? Cela doit d’autant moins étonner que, par ce travail et cette constance, ils gagnent d’autres biens de grand prix. En effet, ils s’affermissent dans une humilité profonde, reconnaissant qu’ils ne méritent pas un si grand don ; ils s’efforcent de se purifier de plus en plus, afin de n’être pas indignes de le recevoir. Leurs désirs et leurs efforts vont croissant pour obtenir ce qu’ils ont en si haute estime. Leur patience, comme leur confiance, est éprouvée et purifiée, et ils montrent toujours le même courage, quoiqu’un si grand bien tarde à venir [cet instant peut même venir vers la fin de notre vie sur la terre]. Par ces vertus, et d’autres encore, ils se rendent dignes du souverain don de la contemplation ; et quand ils l’ont reçu, ils sont plus reconnaissants envers Notre-Seigneur qui le leur a accordé, et plus soigneux de le conserver et de l’employer à la fin pour laquelle pour laquelle Il leur a été donné. Enfin par leur exemple et par leur expérience, ils nous animent à persévérer dans l’oraison, quelques grandes que soient les sécheresses et les afflictions d’esprit qu’on y rencontre ; parce que celui qui persévérera fidèlement à frapper aux portes de Dieu sera exaucé, et admis à l’éminence et à la douceur de son commerce familier.

Ainsi l’éprouva, après seize ans de persévérance, le Père Balthasar Alvarez, retirant des délais et des retards du Seigneur tous les avantages que nous venons d’énumérer. Et, comme il en avait fait lui-même l’heureuse expérience, il nous exhortait à persévérer dans l’oraison par ces admirables paroles :

« Ne nous lassons pas, mes frères, d’accourir aux portes de Dieu, qui sont ouvertes ou qui s’ouvriront certainement si nous frappons, conformément à la promesse qu’Il nous a faite, quand il dit : Demandez et vous recevrez, frappez et l’on vous ouvrira : Petite, et accipietis ; pusalte, et aperietur vobis (11) ». Pourquoi ne retirons-nous pas de cette promesse assez de consolation pour supporter sans décourangement les retards de Dieu, pour continuer de frapper à sa porte avec persévérance, enfin pour nous bien convaincre que toute notre froideur ne l’empêchera pas d’accomplir sa parole, si nous avons en Lui une humble confiance ? En ne considérant la chose qu’à la lumière de la raison, dites-moi, est-il un moyen plus puissant pour attendrir les durs, et à plus forte raison ceux qui ont un cœur sensible, que le spectacle d’un homme tremblant de froid à leur porte ? Ce seul spectacle ne suffira-t-il pas pour qu’ils le fassent entrer ? Persévérons, mes frères, à nous tenir aux portes de ce grand Dieu, bien que nous y soyons tremblants de froid ; car, au moment où nous penserons le moins, le vrai Assérus ordonnera à Mardochée d’entrer ; et l’humble sujet verra la face du Roi, et il sera comblé de tant de grâces, qu’il oubliera tout ce qu’il a souffert pendant de longs jours qu’il est resté à attendre à ses portes, dur et froid comme une pierre ; parce qu’il est écrit du juste que le Seigneur a entendu sa voix et qu’Il l’a introduit dans la nuée : Audivit eum Deum, et vocem ipsius, et induxit illum in nubem (12) ». Et il en est sorti admirablement récompensé de tous les travaux qu’il a endurés en attendant à la porte et en persévérant à frapper. »

En confirmation de ette doctrine, il nous citait son propre exemple, en nous disant qu’il avait eu besoin d’une grande constance pour supporter les délais de Dieu, attendant qu’Il eût pitié de lui et qu’Il le remplît de Ses miséricordes. Il ajoutait que si Dieu tarde à Se découvrir aux âmes, c’est pour l’une de ces deux causes : ou bien parce qu’elles sont ensevelies dans leurs vices et qu’elles tardent à en sortir ; et chaque vice, disait-il, est comme un nuage obscur qui empêche la vue du Créateur ; ou bien afin que ces âmes comprennent quelle doit être la grandeur du bien auquel elles aspirent, puisqu’elles ont tant de souffrances et de retard à subir avant de s’en voir en possession. Et dans ces intervalles, Dieu les éprouve de différentes manières par des peines intérieures ; il y ajoute encore des afflictions extérieures, afin de leur donner une plus haute intelligence et une plus haute estime d’un trésor qu’elles ne peuvent acquérir qu’au prix de tant de travaux.

De tout ce que nous venons de dire, se conclut l’excellence de l’oraison à laquelle ce saint homme fut élevé, et la grandeur des trésors célestes dont elle fut pour lui la source ; car si d’ordinaire la récolte répond à la semence et à la culture, si Dieu mesure les consolations aux douleurs, et les récompenses à la grandeur des travaux, quel dut être le partage du Père Balthasar ? Pendant seize ans, il avait travaillé avec un soin extrême, il s’était consumé de désirs et d’efforts pour obtenir ce don ; et Dieu, qui, dans sa libéralité infinie, donne au-delà de ce que nous savons demander et imaginer, n’avait pris conseil, en le lui accordant, que de Sa munificence. Dès lors, dans quel degré d’excellence il dut le lui accorder ! et quelle riche moisson de mérites déjà acquis Il récompensait en lui ! Comme Il dut Se montrer prodigue à son égard de consolations spirituelles et d’autres dons et témoignages d’amour par lesquels Il a coutume de récompenser les fervents ! Si la bonté de l’arbre se connaît à ses fruits, quelle devait être l’excellence de l’oraison qui portait des fruits tels que qui ont été mentionnés plus haut ! Et quels fruits y a-t-il qui l’emportent en excellence sur les douze qu’il rapporte de lui-même dans sa Relation, et qui sont comme les douze fruits choisis de cet arbre de vie, que Dieu planta dans le jardin de Son Église et de la Compagnie ? Et de même que saint Jean dit que « l’arbre du paradis portait chaque mois des fruits nouveaux : lignum vitæ, afferens fructus duodecim, per menses singulos reddens fructum suum (13) », de même le Père Balthasar portait chaque mois et chaque jour des fruits nouveaux, ce qui était un témoignage de la grande familiarité qu’il avait secrètement avec Dieu, dans le commerce duquel il puisait cette fécondité.

1)  Hébreux, 11 : 17 ;

2)  S. Thomas d’Aquin, Somme théologique, 2, 2, q. 180, art. 3 ;

3)  Psaumes, 45 : 2 ; 33 : 9 ;

4)  Psaumes, 84 : 8 ;

5)  Cantique des cantiques, 5 : 2 ;

6)  I Corinthiens, 6 : 17 ;

7)  Psaumes, 72 : 25 ;

8)  Cantique, 3 : 4 ;

9)  S. Jean, 16 : 30 ;

10)                Psaumes, 64 : 2 ;

11)                S. Matthieu, 7 : 7 ; S. Luc, 11 : 9 ;

12)                Ecclésiastique, 45 : 5 ;

13)                Apocalypse, 22 : 2.

 

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ID., ibid., chapitre XV, Le Père Balthasar Alvarez entre dans ce mode d’oraison par une vocation toute particulière de Dieu. — Des faveurs éminentes qu’il reçoit pour sa perfection et pour le bien des âmes, pages 159-171 :

 

La conversation intime et familière avec Dieu et le don de la tranquille et parfaite contemplation, telle que nous l’avons décrite, sont un bien si élevé, que le Père Balthasar, comme il l’atteste lui-même dans sa Relation, ne put y parvenir que par une vocation particulière de Notre-Seigneur. C’est Lui, en effet, qui appelle à cette communication qui Il veut et comme Il veut, sans qu’il y ait pour cela ni lieu, ni année, ni temps déterminés. Sa seule règle est sa Très-Sainte-Volonté. Il met « ses délices à converser avec les enfants des hommes » (1), mais plus particulièrement encore avec les uns qu’avec les autres, par une grâce et un privilège spécial que nous appelons vocation. C’est une inspiration, une motion, une affection puissante qu’Il imprime dans l’âme, et par laquelle Il l’incline à ce genre d’oraison si élevée, en même temps qu’Il lui en donne l’aptitude et la capacité ; car tous n’y sont pas appelés, tous n’y sont pas aptes, et il serait présomptueux et téméraire d’y prétendre. Et quoiqu’il y ait des personnes que Notre-Seigneur, par une grâce, un privilège spécial, élève dàs leur enfance ou dès le commencement de leur conversion, subitement et comme d’un vol, à cette haute oraison, et parfois à des faveurs extraordinaires, cependant Il ne communique d’ordinaire ces dons qu’à ceux se sont exercés à l’oraison par la voix du raisonnement et par la méditation des divins mystères, pour laquelle presque tous, quoique plus ou moins selon leur capacité, ont vocation ou attrait intérieur. Nous voyons, dans ce qui arriva à Moïse et à son peuple au pied du mont Sinaï, une image qui rend cela admirablement : le peuple, voyant et entendant de loin les voix, les tonnerres, le son des trompettes, les flammes ardentes et la montagne couverte de fumée, fut saisi d’effroi. Ils vinrent donc dire à Moïse : Parlez-nous vous-même, et nous vous entendrons ; mais que le Seigneur ne nous parle pas, de peur que nous ne mourions (2). Moïse les rassura en leur disant que Dieu avait voulu par là les éprouver, et imprimer en eux Sa crainte, afin qu’ils ne péchassent point : « Nolite timere : ut enim probaret vos venit Deus, et ut terror illius esset in vobis, et non peccaretis » (3). Ensuite il fit monter avec lui son frère Aaron et soixante-dix des anciens d’Israël, qui virent le Seigneur assis sur un trône de saphir, semblable au ciel lorsqu’il est serein (4). Enfin Moïse étant monté, la nuée couvrit la montagne et l’enveloppa pendant six jours. Et le septième jour Dieu l’appela… Et entrant dans l’obscurité de la nuée, il monta au sommet de la montagne, où il fut quarante jours et quatante nuits (5). Et le Seigneur parlait à Moïse avec une étonnante familiarité, comme un ami a coutume de parler à son ami, et Il Se fit voir à lui face à face, dans cette mesure de gloire où Il peut être contemplé en cette vie par des yeux mortels : « Loquebatur autem Dominus ad Moysen facie ad faciem, sicut solet loqui homo ad amicum suum » (6).

C’est de cette manière que les choses se passent parmi le peuple chrétien : la multitude des fidèles, moins éclairés et moins capables, ou très occupée des affaire temporelles, n’est appelée qu’à prier vocalement et à considérer en général et comme de loin quelques-uns des mystères divins, principalement ceux qui, en inspirant la crainte de Dieu et la terreur de sa rigoueuse justice, exitent les hommes à sortir de leurs péchés, à faire pénitence et à réformer leur vie : telles sont les vérités qu’enseigne la foi sur le jugement, sur les peines de l’enfer, sur l’éternité et sur les autres châtiments que la justice de Dieu inflige aux pécheurs.

D’autres fidèles, figurés par les soixante-dix Anciens, sont appelés de Dieu à s’approcher de Lui davantage, par les exercices de l’oraison mentale, par la méditation plus approfondie des mystères divins et les affections plus ardentes d’amour et de confiance. Ils parviennent à Le connaître par ses œuvres, qui sont l’escabeau de ses pieds, et par la beauté du ciel, des étoiles et des planètes ; car en discourant sur ces choses, ils en déduisent les grandeurs de Celui qui les a créées, et s’affectionnent à Le servir, parce qu’Il le mérite et à cause du bien qu’Il leur fait. Àcette catégorie appartiennent les personnes religieuses et séculières qui marchent par la voie ordinaire de l’oraison mentale, voie dont la sécurité, la nécessité et les fruits abondants seront démontrés tout au long dans le chapitre quarante-deuxième, où cela viendra plus à propos.

Mais il en est d’autres, bien qu’en petit nombre, qui sont représentés par Moïse, et que Notre-Seigneur, par une vocation toute spéciale, élève au suprême degré d’oraison et d’union avec sa divine Majesté. Il les fait entrer dans ses célestes ténèbres et dans la nuée qui aveugle les yeux, pour les empêcher de voir les choses du monde ; et Il les leur ouvre pour contempler leur Créateur, avec Lequel ils conversent dans une intime familiarité accompagnée de grandes délices, les uns plus, les autres moins, selon qu’Il daigne Se communiquer à ses créatures. Cependant, avant de les élever à ce sommet, Il les retient six jours dans un degré inférieur, pour éprouver leur patience ; là, ils s’exercent et se disposent à recevoir les grâces les plus élevées. Tels doivent être, comme nous l’avons déjà dit, les maîtres spirituels qui, comme d’autres Moïse, ont la conduite du peuple chrétien et de ceux qui sont entrés dans cette voie de l’oraison. Tel fut notre Père Balthasar Alvarez. Notre-Seigneur l’ayant choisi pour guider les âmes, lui accorda cette faveur et les autres que nous avons énumérées ; faveurs si éminentes, qu’il sera très utiles, à mon jugement, de les expliquer avec plus de détails, en recourant à ce que le Père Balthasar lui-même en a dit dans d’autres occasions.

Posons d’abord pour fondement la première faveur d’où provient toutes les autres, et qui est d’avoir Dieu Lui-même pour Maître dans l’oraison : non seulement de cette manière générale en vertu de laquelle il est appelé et Il est en effet le Maître de tous les hommes, il nous enseigne et nous meut tous à prier, comme nous l’avons dit au chapitre troisième ; mais par un autre mode plus spécial et plus ravissant, par des illustrations et des inspirations particulières, versant dans l’âme la rosée des saintes pensées et des ferventes affections, sans qu’elle ait besoin de travailler par des raisonnements, des méditations et autres industries, pour trouver cette divine nourriture. Aussi le Père Balthasar avait-il coutume de dire que, lorsque Dieu retire à l’âme le discours dans l’oraison, c’est un signe qu’Il veut être Lui—même Son Maître. Car entrer dans l’âme quand toutes les portes sont fermées, c’est son privilège particulier, propre à Celui-là seul qui l’a crée, et incommunicable au bon et au mauvais esprit. Aussi cette grâce est-elle très assurée et exempte d’illusion. La paix et la joie que l’âme ressent alors, attestent la présence de la divine Majesté. Il explique cela plus clairement encore dans son journal : « Le 5 février 1569, dit-il, étant à l’oraison du matin, et considérant combien me faisait faute un serviteur de Dieu, qui s’était éloigné de moi, j’éprouvai un sentiment particulier, et cette pensée se présenta à mon esprit : Celui-là fait injure à Dieu qui, traitant avec Lui, estime que les hommes lui manquent, lorsqu’ils le quittent sans qu’il y ait de sa faute. — Le même jour, disant la messe, et la même pensée me revenant à l’esprit j’éprouvai de nouveau ce même sentiment, et cette leçon me fut donnée : Si Celui qui t’aidait par les hommes veut être Ton Maître et t’instruire par Lui-même, quel préjudice te cause-t-Il ? Ne t’accorde-t-Il pas plutôt une faveur signalée qui est le principe de grands biens ? Car Dieu, en quelques courtes paroles, renferme et enseigne beaucoup de choses ; et l’oraison de ceux qu’Il instruit de la sorte est une assistance continuelle devant le Seigneur, pleine de respect et de confiance, paisible, accompagnée de l’intelligence des vérités et de suaves consolations, restes de la table divine, de colloques et d’entretiens familiers avec Dieu. »

De cette première grâce procéda la seconde, par laquelle Dieu, selon la parole de David, « lui manifesta les secrets de sa Divinité et les profondeurs de sa Sagesse : Incerta, et occulta sapientiae tuae manifestasti mihi (7) », de la manière que l’enseignent les docteurs de la science mystique. Le Père Balthasar l’a ainsi rappelé dans son même journal :

« Le 1er mars de l’année 1576, à la suite d’un entretien que j’avais eu la veille avec une personne spirituelle, sur la nature de la vision intellectuelle de Dieu et de Ses Mystères, je reçus sur ce qu’elle m’avait dit une demi-lumière accompagnée d’un sentiment de tendresse. Étant ensuite entré en oraison, je sentis que Notre-Seigneur était là présent, de telle sorte que je ne Le voyais ni des yeux du corps ni par l’imagination ; néanmoins je Le sentais et je Le possédais avec plus de certitude et d’évidence que tout ce qui peut être vu ou imaginé.

 

SUITE

 

 

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21 novembre 2012 3 21 /11 /novembre /2012 16:18

 

 Voici ce qui indique la supériorité de cette vision intellectuelle sur les autres :

« Premièrement, ce qui est vu de la sorte opère plus efficacement dans l’âme que ce qui est vu des yeux de l’imagination ou du corps.

« Secondement, cette vision produit une paix et un contentement si grands, qu’il semble que Notre-Seigneur introduise l’âme dans Son Royaume. Se voyant en possession de tant de biens qu’elle n’a pu ni imaginer ni mériter, cette dit à Dieu ces paroles de David : “Qu’est-ce que l’homme, pour que Vous Vous souveniez de Lui et que Vous daignez le visiter ? : Quid est homo, quod memor es ejus ? aut filius hominis quoniam visitas eum ? ” (8). Et de même que les justes, au jour du jugement, diront à Jésus-Christ, lorsqu’Il leur déclarera à quel titre Il leur donne Son Royaume : “Seigneur, quand est-ce que que nous Vous avons vu sans asile, et que nous Vous avons recueilli”, etc., etc., etc. ? (9) ; de même l’âme Lui dit : Seigneur, quels services Vous ai-je rendus ? quand ai-je mérité de si grands biens ?

«  Troisièmement, l’âme au sortir de là, n’est plus ni à elle-même, ni à qui que ce soit, mais elle est toute à Celui qui est toutes choses [car « Lui seul est, qui est l’Être même et de Soi-même et de tout » : S. Bernard], suivant ce que dit David : “J’ai demandé une seule chose au Seigneur, et je ne rechercherai que cela : c’est d’être compté parmi les familiers de la Maison de Dieu ; parce qu’Il m’a caché dans le secret de son tabernacle : Unam petii a Domino, hanc requiram, ut inhabitem in domo Domini : Quoniam abscondit me in tabernaculo suo ” (10). Lorsqu’elle est parvenue à ce degré, Dieu commence à Se lever comme la lumière du matin dans cette âme et à Se montrer à elle ; Il la traite avec la tendresse d’un père, de sorte qu’Il lui est doux et consolant de se voir en cet état, et de penser à ceux qui lui sont chers dans le Seigneur, et qu’elle aime incomparablement plus que si elle les aimait pour elle-même, ou s’ils lui appartenaient.

« Quatrièmement, l’âme, considérant si le démon a le pouvoir de contrefaire une telle faveur, ne saurait se persuader qu’une chose, qui est pour elle la source d’une si grande paix, et qui l’unit tant à Dieu, puisse venir du malin esprit.

« Cinquièmement, elle dit avec saint Pierre : “Seigneur, il nous est bon d’être ici : Domine, bO.N.U.m est nos hic esse ” (11). Elle fuit tout sommeil, et elle ne se lasse point de prier.

« Sixièmement, elle semble expérimenter ce que dit saint Denys, au chapitre premier de la Théologie mystique, que, ne comprenant rien, elle s’élève au-dessus de toute intelligence ; car, d’un côté, elle paraît ne rien connaître ; et, de l’autre, elle ne peut s’appliquer à autre chose, ni manquer d’être entièrement satisfaite de ce qu’elle possède ; et quoiqu’elle ne Le voit ni ne Le touche, elle en a plus de certitude et d’évidence que de tout ce qu’elle voit et touche. »

Par ces paroles, il est facile de voir quelle grande lumière intellectuelle Notre-Seigneur communiquait au Père Balthasar dans l’oraison. Par elle, il entrait dans “le Royaume de Dieu” qui est le paradis de ses délices célestes, “qui est justice, paix et joie dans le Saint-Esprit ” (12). Il en sortait, n’étant plus à lui ni aux autres, mais tout à Dieu, avec Lequel il était si étroitement uni, qu’il devenait “un même esprit : Qui adhæret Domino, unus spiritus est ” (13). Aussi dit-il lui-même un jour à une personne affligée, avec laquelle il traitait de l’oraison, que depuis longtemps il vivait dans une autre région, faisant allusion, je pense, à ces paroles de saint Paul : “Notre conversation est dans le ciel : Nostra autem conservatio in cœlis ” (14).

À cette faveur, Notre-Seigneur en ajouta une autre très particulière, en lui donnant l’assurance qu’Il le mettrait en possession de Son Royaume éternel. Le Père Balthasar la fit connaître au Père Gilles de Mata, qui, envoyé depuis au Japon, en revint deux fois comme procureur des Indes, pour traiter avec le Père général des affaires de ces missions. Ces deux Pères discourant un jour familièrement sur le bonheur que possèderait une âme si, parmi tant de périls auxquels elle s’expose pour l’amour de Dieu, elle pouvait être assurée de son salut éternel : « Pour moi, répondit le Père Balthasar, la certitude de mon salut m’a été donnée par des paroles claires et expresses ; c’est une miséricorde que Notre-Seigneur fait à quelques-uns, et qui leur sert plutôt d’éperon pour les exciter à courir que de frein pour les retenir. » Une autre fois, étant en oraison, il vit une procession de bienheureux, et lui au milieu d’eux. Il raconta cette vision à son supérieur, en lui rendant compte de sa conscience, et nous le savons par le témoignage de deux Pères très graves de la Compagnie. Il semble d’ailleurs faire lui-même mention de cette faveur dans sa Relation lorsqu’il dit « qu’il se trouva tout à coup dans une congrégation destinée à la béatitude éternelle » ; ce qui s’accorde aussi avec la révélation que reçut la sainte Mère Térèse de Jésus, comme nous l’avons dit au chapitre onzième.

Il n’est donc pas étonnant qu’étant favorisé de pareilles visions, il fût parfois ravi en extase et privé de l’usage de ses sens. Un jour, à Medina del Campo, un Père entré dans sa chambre pendant qu’il faisait oraison à genoux, le vit environné d’une splendeur admirable, indice de celle qui l’éclairait intérieurement. Une autre fois, le frère coadjuteur qui avait le soin de sa chambre le trouva tellement absorbé et ravi hors des sens, qu’il put entrer et sortir sans que le Père l’entendît. Cependant afin qu’il comprît, lorsqu’il serait revenu à lui, ce qui était arrivé, le frère lui couvrit le visage d’un mouchoir, et se retira, le laissant ainsi. Le Père Balthasar lui ayant demandé ensuite s’il savait qui était entré, et apprenant que c’était lui, lui défendit de révéler à personne ce qu’il avait vu. Une autre fois, au collège de Salamanque, tandis qu’il lisait un ouvrage, ayant fixé ses yeux sur un Christ en croix qui était devant lui, il fut ravi en esprit, et vu par un frère de la même manière que nous venons de le dire.

Le Père Gaspar Astété, bien connu dans cette province, racontait que, pendant qu’il était ministre de la maison professe de Valladolid, le saint Père Balthasar tomba malade. L’infirmier, l’ayant laissé le soir assez tard en assez bonne disposition, le retrouva le matin sans pouls ni sentiment et comme mort. On appela les médecins, qui ne surent ce que ce pouvait être et ne virent là qu’une simple défaillance. Cependant le Père demeura jusqu’au soir dans cet état. On apporta alors une relique de la vraie Croix, avec d’autres qui sont dans la maison ; et au moment même où elles lui furent appliquées, il revint à lui et se mit à parler comme à son ordinaire et comme s’il n’avait rssenti aucun mal ; d’où les Pères conclurent qu’il n’avait pas eu une défaillance, mais un ravissement, comme il en éprouvait fréquemment dans ses oraisons très élevées. La même chose lui arriva dans une autre maladie, où ceux qui étaient là le tourmentèrent longtemps pour le faire revenir à lui : voyant que tout était inutiles, ils envoyèrent en toute hâte un exprès à Medina del Campo, d’où il était venu récemment, pour s’informer quelle était cette maladie, et si le Père n’en avait pas été déjà atteint. Les Pères de Medina répondirent qu’il ne fallait faire aucun remède, parce que cet état était causé par des extases fréquentes qui duraient parfois des jours entiers.

Enfin, à partir de cette époque, le Père Balthasar marcha avec une foi plus vive en la présence de Dieu ; il recourait continuellement à Lui en toutes choses, en délibérait avec Lui comme avec son Maître, et implorait son secours et sa ditection pour toutes. Cette manière d’agir favorise beaucoup ce que nous appelons le commerce familier de l’âme avec Dieu et la prière continuelle. Aussi le Père disait-il : « Prier, c’est élever son âme à Dieu et s’entretenir avec Lui de toutes ses affaires, familièrement, avec un grand respect et une confiance plus grande que celle de l’enfant le plus tendrement chéri de sa mère ; c’est traiter de toutes choses, hautes et basses, divines et humaines, grandes et petites, avec son Maître et Seigneur ; c’est lui ouvrir son cœur et le répandre tout entier devant Lui, sans en rien retenir ; c’est Lui dire ses peines, ses péchés, ses désirs, en un mot tout ce qui est dans l’âme ; c’est enfin prendre en Lui son repos et sa consolation, comme l’ami dans celui auquel il se confie et à qui il découvre toutes ses affaires bonnes ou mauvaises. »

Agir ainsi, c’est, selon le langage de l’Ecriture, « répandre son cœur comme l’eau en la présence du Seigneur : Effunde sicut aquam cor tuum ante conspectum Domini (15) . » Elle ne dit pas comme l’huile, dont il reste toujours des gouttelletes autour du vase, mais comme l’eau, qui se verse tout entière. Ainsi l’âme expose à Dieu non seulement les choses importantes, mais les plus petites. Car, puisque sa divine Providence les gouverne toutes, et que nous ne pouvons sans Son secours, en faire bien aucune, ni grande ni petite, il est de la sagesse de traiter de toutes avec Dieu, qui seul peut en assurer le succès.

Cette conversation avec Notre-Seigneur devint pour le Père Balthasar la source de nouvelles faveurs, qui lui furent d’un grand secours dans ce qu’il entreprenait pour le bien des âmes. Une des plus signalées fut sa grande confiance à demander au divin Maître et son crédit auprès de Lui pour obtenir les choses qui avaient rapport à son bien spirituel et à celui du prochain. Il le raconte ainsi lui-même dans son journal :

« Faisant un jour oraison sur ces paroles de Notre-Seigneur : “Demandez et vous recevrez”, une voix d’en haut me fit entendre que le divin Maître ne veut pas que nous soyons timides à demander Ses grâces, et que cette réserve est un tentation du démon. Un autre jour, comme je demandais une grâce pour quelqu’un qui en avait besoin, j’entendis cette réponse : “Pourquoi es-tu si retenu dans tes demandes, lorsque Dieu est si libéral dans ses dons ? ” comme pour me faire entendre que je devais aussi prier pour les autres nécéssiteux. Une autre fois, priant pour le succès d’une affaire, j’entendis ces paroles : “Je t’aiderai en Roi” ; ce qui arriva dans cette occasion comme en beaucoup d’autres. »

Dans certaines difficultés, il priait avec tant de ferveur, qu’il ne sortait pas de l’oraison sans avoir acquis la certitude que le remède y serait apporté. Cette connaissance lui était donnée soit par une révélation expresse, soit par quelque instinct intérieur, qui, selon Cassien, est un indice que Dieu exauce notre prière. Nous en rapporterons plusieurs exemples dans la suite de cette histoire.

Ce fut aussi dans ce même temps que Notre-Seigneur communiqua au Père Balthasar ce qui lui manquait en doctrine et en science, et qu’il n’avait pu acquérir par son travail. Il l’indique dans le journal déjà cité, et il le déclara plus ouvertement au Père Jean de Pineda, qui, avant d’entrer dans la Compagnie, était membre du collège d’Oviedo à Salamanque, et avait pris, à cette université, le grade de docteur en droit. Il tremblait de commencer les études de philosophie et de théologie, s’imaginant que ses efforts resteraient sans succès. Le Père Balthasar, afin de l’encourager à se confier en Dieu, qui suppléerait à ce manque de facilité, lui raconta en secret que lui aussi avait été quelque temps dans la tristesse et l’inquiétude, parce que, à cause de ses grandes occupations pendant qu’il étudiait et depuis qu’il était prêtre, il n’avait pu étudier d’une manière aussi suivie qu’il l’eût fallu, de sorte que le secours de la théologie scolastique lui manquait pour bien remplir les principaux ministères de la Compagnie, à savoir la prédication et la confession ; mais que s’étant mis à l’oraison, il avait un jour senti son entendement éclairé tout d’un coup d’une lumière extraordinaire, par laquelle il voyait et comprenait les vérités scolastiques et les conclusions théologiques aussi clairement que si, pendant plusieurs années, il les avait étudiées avec beaucoup d’application ; et que, dès lors, elles lui demeurèrent tellement imprimées dans l’esprit, qu’il ne sentit plus qu’elles lui fissent défaut comme auparavant. Il dit encore à un autre Père que Notre-Seigneur, par Sa grâce, lui avait donné l’intelligence des Saintes Écritures et des matières morales ; et que, depuis le jour où il avait reçu cette faveur, il avait perdu la crainte qui le tourmentait habituellement, lorsqu’il n’avait pas auprès de lui quelque docte théologien qu’il pût consulter sur le champ dans les doutes et les difficultés qui se présentaient. D’autres fois, lorsque la conversation venait sur ce sujet : « Je n’ai, disait-il, ni grande capacité, ni grande étude ; mais par les fréquentes relations avec les âmes qui servent Dieu, par la lecture des ouvrages des saints, et par l’habitude de l’oraison, Notre-Seigneur m’a donné l’intelligence de la sainte Écriture ».

Dans ces paroles, il renfer la triple source à laquelle il avait puisé la science éminente de l’Esprit, pour connaître les choses intérieures et spirituelles : à savoir, la lecture des saints qui les ont expérimentées et laissées par écrit, la communication avec les âmes qui les sentent et les éprouvent, et enfin l’oraison et la familiarité avec Dieu. Celle-ci était la principale, lorsqu’il atteignit ce sommet auquel il fut élevé dans ce temps-là, non seulement par l’expérience insigne qu’il fit de ces choses, mais aussi par la lumière dont Notre-Seigneur le remplit pour les connaître et les discerner. Or cette lumière fut à la manière de la lumière prophétique, laquelle, d’après saint Grégoire, suivi par saint Thomas, manifeste deux choses propres à Dieu seul, à savoir les secrets du cœur humain et les choses futures. Notre-Seigneur accorda ce double privilège à Son serviteur : tantôt il lui découvrait les secrets du cœur de ceux avec lesquel il traitait, pour qu’il les dirigeât plus surement ; et comme les révélations prophétiques se font d’ordinaire par les ange, c’étaient les anges gardiens de ces personnes qui lui dévoilaient ce qui les concernait, comme nous l’avons dit au chapitre sixièeme. D’autres fois, le divin Maître lui révélait des choses futures qui dépendaient de la volonté humaine ; et le Père les affirmait à ceux que ces choses regardaient. Nous en rapporterons plusieurs exemples dans les chapitres suivants.

1)  Proverbes, 8 : 31 ;

2)  Exode, 20 : 18 ;

3)  Ibid., 20 ;

4)  Exode, 24 : 9 ;

5)  Ibid., 15-18 ;

6)  Exode, 33 : 2 ;

7)  Psaumes, 50 : 8 ;

8)  Psaumes, 8 : 5 ;

9)  S. Matthieu, 25 : 37, 8 ;

10)                Psaumes, 26 : 4, 5 ;

11)                S. Matthieu, 17 : 4 ;

12)                Romains, 14 : 17 ;

13)                I Corinthiens, 6 : 17 ;

14)                Philippiens, 3 : 20 ;

15)                Lamentations, 2 : 19 ;

16)                Greg., Hom. I in Ezech. II ; — I Cor., XIV ; — Isa., XL, 23 ; — D. Thom., 2, 2, qu. 172, a. 2 ; — Dionys., c. IV de Cœlest. Hier.

 

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ID., ibid., chapitre XLIIe, L’excellence des oraisons extraordinaires ne doit diminuer en rien l’estime que nous devons faire de l’oraison mentale ou oraison ordinaire, qui procède par voie de raisonnement, de méditations, d’affections et de colloques avec Dieu. — Sécurité de cette voie. — Les âmes doivent la suivre jusqu’à ce que Notre-Seigneur les appelle à une oraison plus élevée, pages 492- 501 :

 

Afin que ce qui a été dit dans les chapitres précédents sur l’excellence des oraisons extraordinaires ne diminue en rien la haute estime que mérite l’oraison mentale, qui est le chemin ordinaire et battu par les saints, et afin que nul ne présume, de sa propre autorité, de franchir les limites posées par les anciens Pères, il nous a paru nécessaire et utile d’exposer ici la somme des raisons principales qui confirment et mettent en honneur le mode de prier par des raisonnements et des méditations sur les mystères divins, et par les saintes affections, les demandes et les colloques à Notre-Seigneur, que ces méditations inspirent à la volonté.

Commençons par la raison fondamentale. La fin propre et immédiate de l’oraison mentale, œuvre de l’entendement éclairé par la lumière de la foi, est d’arriver à posséder dans sa perfection cette suprême connaissance dont Jésus-Christ, notre Seigneur et Sauveur, dit à son Père : « La vie éternelle, c’est que les hommes vous connaissent, Vous, le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ, que vous avez envoyé : Hæc est vita æterna : Ut cognoscant Te, solum Deum verum, et quem misisti Jesum Christum (1). »

D’autre part, il est certain que nul ne peut atteindre en cette vie à la parfaite participation à la vie éternelle, que l’on appelle béatitude commencée, que par la parfaite contemplation, où se découvrent ces deux suprêmes objets : Dieu en tant que Dieu, et Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme, dans le degré de clarté qui est compatible avec la foi. Or, bien que Notre-Seigneur, par une grâce spéciale, communique quelquefois, par voie de lumière infuse, la grandeur et la clarté de cette connaissance, sans qu’aucune diligence ou préparation ait précédé de la part de l’homme, il y aurait néanmoins présomption téméraire, et ce serait tenter Dieu, que d’attendre ce don ou de le demander sans s’y être préparé par les soins et les efforts que le Seigneur lui-même commande et conseille comme dispositions pour obtenir un don si relevé. Quelles sont donc les œuvres préparatoires par lesquelles l’âme doit se disposer à une si sublime oraison ? D’après saint Thomas (2), qui s’appuie sur l’autorité de saint Augustin et de saint Bernard, ces œuvres préparatoires sont la lecture, la méditation, l’oraison. Premièrement, lecture des Écritures divines, où se trouve la vie éternelle, et lecture des livres des saints, qui expliquent cette vie. Secondement, méditation attentive des divins mystères : l’âme les creuse, descend dans profondeurs, et va, discourant des uns et des autres pour les mieux pénétrer. Troisièmement, oraison : l’âme, après avoir approfondi ces mystères, s’adresse directement à Dieu et lui demande sa lumière pour les entendre. C’est pourquoi le Sauveur dit à ses disciples : « Demandez et vous recevrez ; cherchez et vous trouverez ; frappez et l’on vous ouvrira : Petite, et dabitur vobis : quaerite, et invenietis : pulsate, et aperietur vobis (2). » Le négligent ou le présomptueux qui ne veut pas demander ne mérite pas de recevoir ; et, s’il ne veut point chercher, il ne trouvera point ; et, s’il ne frappe point à la porte, on ne lui ouvrira point. Il est donc nécessaire que le chrétien, après avoir ranimé sa foi, applique les puissances de son âme au travail de la lecture, de la méditation et de l’oraison ; qu’il creuse les mystères, qu’il descende dans leurs profondeurs, et qu’ensuite il adresse à Dieu, chaque jour, ses prières et ses supplications, pour obtenir le bien auquel il aspire. Mais, à cette connaissance de Dieu et de Jésus-Christ, le chrétien doit joindre la connaissance de soi-même, de ses misères, de ses péchés et de la gravité du péché. Or, quoiqu’il n’y ait rien de si voisin de lui que lui-même, il n’obtiendra néanmoins cette connaissance qu’en entrant, par la méditation, au-dedans de lui-même, en approfondissant les funestes effets du péché, les dangers auxquels il s’expose et les châtiments terribles qu’il mérite. Il faut, de plus, qu’il considère ce qui arrivera à la mort, au jugement particulier et au jugement universel : qu’il descende en esprit dans l’enfer, pour voir les tourments qu’on y endure ; que, de la considération des flammes de l’enfer, il passe à clles des flammes du purgatoire. Enfin, il doit s’élever au ciel et approfondir les joies éternelles des bienheureux. D’après la loi ordinaire, on n’arrive à la connaissance de soi-même et des fins dernières que par la méditation : c’est elle qui ouvre ces livres fermés et qui lit les secrets qu’ils renferment. Et qu’on ne dise pas qu’il suffit pour cela de demander à Dieu ses lumières et de lui adresser la prière de saint Augustin : « Seigneur, que je vous connaisse et que je me connaisse : Noverim te, noverim me ! » car le saint Docteur ne se contentait pas de cela ; il se bornait pas à attendre que Dieu lui donnât par lumière infuse cette double connaissance, mais il travaillait à l’acquérir par ses méditations. Il nous a même laissé des livres de méditations, afin que ceux qui ne peuvent ou ne savent pas méditer par eux-mêmes suppléent à ce défaut en lisant ce que les autres ont médité, et en s’appropriant en quelque sorte, la méditation d’autrui.

Mais la méditation n’a pas seulement pour but d’approfondir, par l’entendement, les vérités et les mystères ; il y a encore pour elle une autre fin plus importante qu’elle doit atteindre : c’est de mouvoir et d’exciter la volonté à produire les nobles actes que nous appelons affections d’amour de Dieu, de douleur des péchés, de résignation et autres semblables. Notre-Seigneur, comme Maître absolu de la volonté, peut, il est vrai, en un instant, par force de ses inspirations, la porter à produire ces divers actes. Mais d’après la loi ordinaire de Sa grâce, Il veut que l’homme, par les discours et les méditations de l’entendement il excite sa volonté et l’affectionne aux saintes choses qu’il médite. Celui donc qui se contente de se présenter et de rester en oraison , ou plutôt à l’oratoire, sans rien faire, mais attendant que Dieu remue sa volonté, sera le jouet de l’illusion ; et s’il ne pense à rien, il sera distrait ; il restera sec, il perdra son temps, il sera oisif dans toute la force du mot. Car de même qu’il est nécessaire d’amasser du bois, de l’arranger, de souffler sur les charbons pour que le feu prenne et donne la flamme ; ainsi est-il nécessaire de recueillir des vérités de la lecture et de la méditation des mystères divins, et de souffler sur la braise des saints désirs, afin qu’il s’allume en nous un grand feu d’amour de Dieu, ou de contrition, ou d’autres vertus. C’est ce qui fait dire à saint Basile : « La bonne affection consiste dans un désir véhément, stable et constant de plaire à Dieu ; mais cette affection doit naître dans l’âme par la méditation et la considération des perfections de Dieu et des bienfaits que nous avons reçus de Lui (4). »

Ajoutons que prier, dans le vrai sens du mot, c’est parler à Dieu et s’entretenir avec Lui de l’affaire de notre salut. Or, quoique ce soit le Saint-Esprit qui nous enseigne à demander par des gémissements inénarrables ; et quoique la langue de l’âme , comme le dit saint Bernard, soit la dévotion, sans laquelle on ne peut bien converser avec le Verbe divin ; néanmoins, d’après la loi ordinaire, ainsi que le dit saint Thomas (5), cette dévotion ne s’obtient que par la méditation ou la contemplation. Et comme la contemplation est le partage du petit nombre, il s’ensuit que le plus souvent ce pieux mouvement de l’âme procède de la méditation. C’est encore la méditation qui nous enseigne et nous découvre les choses que nous devons demander à Dieu, les raisons et les titres que nous devons Lui alléguer, les offrandes que nous devons Lui faire, nous donnant toutes ces lumières par le mystère dont nous nous occupons. On voit par là qu’il importe de faire précéder la prière vocale de quelque méditation ; car l’entendement pénétrant le sens des paroles, le fruit que l’on retirera de la prière vocale sera beaucoup plus grand.

Une autre raison très forte qui milite en faveur de l’oraison mentale, c’est que son fruit principal est la réformation des mœurs, la mortification des vices et des passions, et l’exercice de toutes les vertus. Ce fruit dispose l’âme à la contemplation parfaite, où les raisonnement cessent ; et c’est l’oraison ordinaire par voie de méditation qui produit un fruit si précieux. Car, suivant saint Thomas : « Les vertus morales qui réfrènent les passions sont des dispositions nécessaires pour la contemplation parfaite (6) ».

Voilà ce que dit le cardinal Cajetan ; et sa doctrine est celle de saint Grégoire, de saint Bernard, de saint Isidore, des autres saints Pères et des maîtres de la vie spirituelle.

 

SUITE

 

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21 novembre 2012 3 21 /11 /novembre /2012 16:07

 

C’est pourquoi il est expédient que chacun s’étudie à découvrir, à l’aide de la méditation, les racines de ses vices et leurs remèdes, et qu’il occupe son esprit de pensées qui agissent sur la volonté pour la porter à appliquer les remèdes des vices, afin de s’en purifier, conformément à la parole de David : « J’ai médité la nuit dans mon cœur, j’étais exercé, et je purifiais mon esprit : Meditatus sum nocte cum corde meo, exercitabar, et scopebam spiritum meum (3). » Il suit de là que ceux qui s’adonnent à l’oraison de quiétude et de silence avant d’avoir posé ce fondement, et sans motion spéciale de Dieu, sont dans le faux, et que leur vie est sans progrès spirituel. Leur oraison ne doit pas s’appeler une oraison de repos, mais d’oisiveté et de lâcheté d’esprit. Aussi, il leur arrive quelque chose de semblable à ce qui arrive aux oiseaux qui sortent du nid avant le temps : n’ayant ni la force de se soutenir en l’air, ni celle de retourner à leur nid [à la méditation ou à l’oraison de discours], ils tombent à terre et meurent de leur chute. De même ceux qui, sans le fondement dont nous avons parlé, et sans une motion spéciale de Dieu, s’adonnent à l’oraison de quiétude, ne parviennent ni à méditer, ni à être en repos devant Dieu ; et parce que, avant le temps, ils ont voulu voler au sommet de la vie spirituelle, leur esprit ne fait qu’aller çà et là, toujours déprimé par des pensées terrestres.

Cela est si vrai, que ceux mêmes qui sont parvenus à ce mode élevé d’oraison de repos ont besoin de ne pas oublier l’exercice de la méditation, et d’en faire usage de temps en temps en pensant aux divins mystères. Car très souvent la faveur et la motion de Dieu qui les élevaient à un repos si sublime viennent à cesser ; et alors il est nécessaire qu’ils travaillent avec les puissances de leur âme, et qu’ils recourent à la méditation proprement dite. Ils ne doivent point se considérer comme des vaisseaux de haut bord, qui se meuvent qu’avec le vent, mais comme de petits bateaux qui ont recours à la rame quand le vent ne suffit pas, et qui, si la rame et le vent manquaient à la fois, resteraient immobiles. De même, si le vent de la motion spéciale de Dieu, et la coopération et l’industrie de nos puissances [mémoire, intelligence et volonté] manquaient à la fois, l’âme resterait oisive et arrêtée dans son chemin spirituel.

De plus, c’est un devoir de se conformer dans l’oraison mentale à l’esprit de l’Église, dans les fêtes qu’elle célèbre de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de ses saints. Or, si l’on ne médite pas ces mystères, on n’éprouvera pas les sentiments particuliers qu’ils excitent ; on ne pourra point en parler avec cette ferveur qu’inspire une dévote méditation, mais on n’en parlera avec la sécheresse des savants qui ne s’appuient que sur leurs études.

Il est tellement dans l’ordre que tous s’y appliquent à méditer avec dévotion les mystères célébrés par l’Église, que Dieu n’en exempte pas ceux qu’il conduit par le chemin d’une oraison si élevée ; et à cette fin, il a coutume d’éclairer les esprits de sa lumière pour les appliquer à la contemplation des mystères qui sont l’objet des solennités de l’Église. Dieu montre par là combien il aime que les autres, qui marchent par la voie ordinaire, creusent par le raisonnement et la méditation ces mystères de grâce et de salut.

Nous devons dire encore que ce qui nous importe le plus en cette vie, ce sont les vertus solides et de poids, qui restent fermes et ne s’ébranlent pas facilement aux vents des tentations et aux changements des dispositions intérieures. Or, ceux qui se bornent aux seules affections tendres et aux douceurs de l’oraison qu’ils appellent repos, ont d’ordinaire peu de fermeté et de constance, parce que la dévotion sensible et l’affection tendre changent facilement. C’est pour cette raison que saint Bernard, dans sol livre « De la Considération », disait au Pape Eugène : « Noli nimis credere affectui tuo, qui nunc est : Ne vous fiez pas trop à la dévotion que vous sentez maintenant (nunc) » ; parce qu’elle a coutume de se changer promptement à son contraire. Ainsi, la vertu est plus solide et plus difficile à ébranler, quand elle se fonde sur de vives raisons qui ont la force de fixer et convaincre l’entendement [ou l’intelligence], et qui, par leur lumière, le détrompent de toute vanité et lui révèlent le véritable prix de la vertu elle-même. Sans nul doute, l’oraison extraordinaire que Dieu accorde apporte avec elle ces raisons et ces lumières ; mais, d’après la loi ordinaire, on ne les obtient que par des méditations et par des considérations profondes des mystères de la foi, qui sont comme les carrières, les mines, les sourcs d’où on les tire. 

Enfin, ceux qui, dans l’oraison, cherchent Dieu, les vertus qui l’honorent et la perfection évangélique, doivent avoir un esprit dépouillé de leurs propres idées et de leur propre jugement. Ils doivent bien se garder de fixer au Seigneur le temps de Ses visites et de Sa miséricorde. C’est donc une choses suspecte que de donner là-dessus une règle générale ; de dire, par exemple : Celui qui fera tel ou tel exercice durant tant d’années ou tant de mois obtiendra de Dieu telle ou telle faveur de Dieu, ou tel degré de vertu. C’est pourquoi on on blâme Cassien de promettre à ceux qui suivraient ses conseils pendant un temps déterminé la chasteté parfaite (8). En effet, les dons célestes et le progrès dans les verus dépendent beaucoup moins de notre art, de nos efforts et du temps, que du bon plaisir de Dieu ; parce que c’est là l’ouvrage de la grâce et d’une providence particulière, qui distribue ses faveurs à qui elle veut, quand elle veut et comme elle veut. Leur devoir est de rester humblement à leur place, et d’attendre que le divin Maître exécute ce qui est le plus conforme à son bon plaisir et le plus conforme à Son bon plaisir et le plus convenable pour eux, en leur disant : « Mon ami montez plus haut : Amice, ascende superius (9). »

La conclusion de tout ce qui vient d’être dit est celle-ci : que tous ceux qui s’adonnent à l’oraison, séculiers ou religieux, doivent, pour ce qui est de leur part, commencer et continuer par ce chemin ordinaire de la méditation, jusqu’à ce que Notre-Seigneur les appelle et les fasse monter à une autre voie plus élevée par une vocation spéciale : et dès l’instant que cette vocation est connue, c’est devoir lui obéir. Car si c’est un extrême très préjudiciable de vouloir de soi-même, sans cette vocation de Notre-Seigneur, s’élever témérairement à ce qui est au-dessus de nos forces, ce serait un extrême non moins préjudiciable que de résister à la vocation divine, dès qu’on conste que Dieu veut nous conduire par une autre voie spéciale. Quant à cette vocation, c’est à un maître spirituel, prudent et expérimenté, qu’il appartient d’en juger ; car son office est de voir et d’examiner attentivement les voies spéciales par lesquelles l’Esprit de Dieu guide ses serviteurs, travaillant non à les écarter de ces voies, mais au contraire à les y faire avancer et à les aider de ses conseils, pour qu’ils les suivent avec profit et sûreté.

Je dis que, même dans la voie ordinaire de la méditation, on doit se conduire par le jugement d’un guide prudent et expérimenté, parce qu’il y a dans cette voie une grande variété. L’Esprit de Dieu conduit les uns par la méditation des choses terribles qui saisissent l’âme de crainte ; il conduit les autres par la méditation de la vie et de la passion du Sauveur, ou bien par la considération des bienfaits divins. Enfin, il en conduit d’autres par d’autres voies différentes les unes des autres, donnant à chacun de plus grands sentiments dans telle considération que dans telle autre. L’office des maîtres spirituels est d’aider les uns et les autres dans ces différentes voies ; ils ne sont que les coopérateurs et les aides de Dieu dans la conduite spirituelle des âmes ; le guide et le maître principal, c’est Dieu Lui-même. Sa conduite doit être la règle suprême de tous les autres maîtres ; et quand Il ne leur accorde pas quelque lumière spéciale, ils doivent conduire les âmes d’après les règles générales qu’Il a laissées dans son Église. Mais ces règles générales, comme par les particulières, par leurs soins et leurs industries, ils doivent diriger les âmes vers la fin principale et le fruit par excellence de l’oraison, c’est-à-dire la connaissance de Dieu et de Jésus-Christ, la réformation de la vie et le progrès dans les vertus.

1)  S. Jean, 7 : 3 ;

2)  Somme théologique, 2, 2, qu. 180, art. 3, in corp. et ad. 4. ;

3)  S. Matthieu, 7 : 7 ;

4)  Reg. 137 ex brevioribus ;

5)  Somme théologique, 2, 2, qu. 82, art. 3 ;

6)  Ibid., 2, 2, qu. 180, art. 2 ;

7)  Psaumes, 76 : 7 ;

8)  Collat. 12, cap. 15 ;

9)  S. Luc, 14 : 10.

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Vie du Père Balthasar Alvarez de la Compagnie de Jésus par le Vble P. Louis Du Pont, S. J., traduite en français par le P. Marcel Bouix de la même Compagnie, Paris, Librairie Régis-Ruffet, 38, rue Saint-Sulpice, 38, 1873, chapitre XXXIIIe, quelques extraits du Traité composé par le Père Balthasar sur la manière de parler des choses spirituelles pour combattre le langage pervers de la secte des Illuminés qui parut en Espagne en l’année 1575, pages 375, 379, 381, 383, 390 :

 

« En l’année 1575, tandis que le Père Balthasar Alvarez était recteur du collège de Salamanque, parurent en Andalousie des hérétiques que l’on appela Illuminés, dont les discours et les manières de parler en matières spirituelles étaient très préjudiciables à la piété chrétienne. A Cordoue, le Saint-Office de l’Inquisition se hâta d’arrêter les progrès de cette hérésie, en sévissant contre ceux qui la professaient ; et le troisième dimanche de carême de cette même année, on publia contre eux un édit où l’on condamnait ces manières de parler comme contraires au véritable esprit de Jésus-Christ Notre-Seigneur, de l’Église et des saints. A cette occasion, le Provincial de cette province de Castille, le Père Jean Suarez, désirant que les religieux de la Compagnie qui, par état, s’occupent de l’oraison mentale et traitent des choses spirituelles, n’eussent dans leur manière de s’exprimer rien qui sentît le moins du monde le langage de ces hérétiques, ordonna au Père Balthasar Alvarez, qui avait une si grande intelligence des choses intérieures et spirituelles, de composer un petit traité sur la manière dont on doit parler de ces matières conformément à la vérité et à l’esprit de l’Église. […]

 

TRAITÉ

 

SUR LA MANIÈRE DONT ON DOIT PARLER DES CHOSES SPIRITUELLES.

 

«  […] Or, le moyen général pour atteindre ce but sera de parler de Dieu, des choses de Dieu et des exercices spirituels comme en parle la sainte Église catholique apostolique romaine, et les docteurs et les saints avec elle ; mode de langage sur les choses spirituelles, où tout respire la vérité, l’humilité, la clarté. […]

 

§ I. — DE L’ORAISON.

 

« […] Cinquièmement, que l’on déclare que, généralement parlant, l’oraison n’est pas seulement pour les parfaits, mais qu’elle est encore pour les imparfaits ; et que ce n’est point arrogance de la part des imparfaits de s’adonner à l’oraison et à la méditation, selon que leur état le requiert. Quant à la contemplation, qui est le dernier terme de l’oraison, il est vrai de dire qu’il n’y a que les parfaits et les purs de cœur qui y arrivent. […]

« Il n’y a aucun inconvénient à recommander aux personnes de garder le secret sur ce qui se passe dans leur oraison ; il est même nécessaire qu’elles le gardent, sauf à l’égard de ceux qui peuvent les aider et les diriger : à l’égard des supérieurs, auxquels, en raison de leur office, les consciences doivent être ouvertes, au moins pour ce qui est considérable ; et enfin à l’égard de telle autre personne à laquelle on jugerait expédient pour le service d’en parler. […]

 

§ II. — DES SENTIMENTS SPIRITUELS, ET DE LA COMMUNICATION DE DIEU AUX ÂMES.

 

« […] Troisièmement, alors même que ces consolations sensibles [par la voie des sens] viennent de Dieu, elles ne constituent pas la sainteté. […]

« […] Que l’on ait soin, en parlant de ces sentiments, de ce servir des termes communs et usités par les saints, et qu’on ne les loue qu’avec réserve : car la trop grande confiance en eux a été pour plusieurs la cause de grands dommages. Ces choses doivent être considérées comme moins principales ou secondaires ; et ce que l’on doit uniquement retirer d’elles, c’est la réforme de la vie, spécialement l’humilité et la patience à l’égard du prochain, et des désirs partant du fond du cœur d’être méprisé du monde.

« Le gouvernement de l’âme ne doit pas se régler sur ces mouvements ou sentiments spirituels, mais sur l’enseignement de la foi et de l’Église. […] »

 

« Tels sont les avis que donna ce maître prudent aux religieux de la Compagnie. Ces avis étaient nécessaires pour eux à cette époque ; mais ils sont pour tous, et dans tous les temps, d’une grande importance. »

 

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Vie du Père Balthasar Alvarez de la Compagnie de Jésus (directeur spirituel de Ste Thérèse d’Avila), par le Vble P. Louis Du Pont, S. J., traduite en français par le P. Marcel Bouix de la même Compagnie, Paris, Librairie Régis-Ruffet, 38, rue Saint-Sulpice, 38, 1873, chapitre XLIeCauses de la tempête racontée au chapitre précédent. – Réponses lumineuses et péremptoires du Père Balthasar Alvarez aux difficultés objectées contre l’oraison de quiétude et de silence. – Heureuse issue de cette affaire, pages 474, 475,  :

 

Notre misère est si grande et l’astuce de Satan si maligne, que ce mortel ennemi de notre salut a coutume de se transfigurer en ange de lumière pour nous tromper, se servant des dons mêmes que Dieu met en nous, pour ourdir la tentation par laquelle il prétend les détruire. […]

Ce qui accrut ces soupçons fut que certains hommes ignorants ou peu discrets allaient jusqu’à mépriser le mode d’oraison mentale par raisonnements, affections, demandes, colloques avec Notre-Seigneur, que saint Ignace enseigne dans son livre des Exercices spirituels. […] C’était là une erreur manifeste et une illusion. Rien n’était plus contraire à l’intention et au sentiment du Père Balthasar Alvarez. Il s’en était expliqué cent fois dans ses entretiens privés et dans ses discours publics ; et d’ailleurs sa propre conduite avait été la condamnation de cette erreur. Pendant seize ans, en effet, il avait fidèlement suivi la méthode ordinaire d’oraison, et c’est en récompense de cette fidélité que Notre-Seigneur l’avait élevé à une oraison extraordinaire. Il y a plus, même dans ce nouvel état, dès que cette oraison élevée lui manquait, il recourait à la méditation, comme à un lieu de refuge.

[…] Dans ce but, il écrivit un traité où il expliqua avec plus d’étendue l’oraison qu’on appelle de quiétude et de silence. Nous avons rapporté, au chapitre quatorzième et dans les suivants, une partie de ce qu’il dit à ce sujet ; nous allons en rapporter ici une autre partie, en exposant les réponses qu’il fit aux principales difficultés qu’on lui avait objectées et qui sont les suivantes :

 

 

PREMIÈRE DIFFICULTÉ.

 

« Dans ce mode d’oraison de quiétude, où l’âme ne s’occupe ni à discourir ni à méditer, il semble qu’elle ne fait rien et qu’elle perd plutôt un temps précieux qu’elle pourrait employer à produire des actes des différentes vertus. »

 

RÉPONSE.

 

« A cela on répond que, dans ce mode de prier, l’âme, au lieu d’être oisive [comme chez les Indous ou les illuminés qui se reposent dans leur vide], fait, au contraire, de grandes choses. Ainsi pensait saint Bernard quan il disait : Cet office de l’âme est l’affaire des affaires, et le plus grand des trésors (1) ; et c’est celui que David nous recommande en ces termes : Reposez-vous et voyez combien le Seigneur est doux : Vacate, et videte quoniam suavis est Dominus (2). Ainsi pensait saint Augustin, et voici les paroles de ce grand docteur : La charité de la vérité cherche un saint repos : Otium sanctum quaerit charitas veritatis (3). D’ailleurs, ce qui démontre que l’âme n’est point oisive dans cette oraison, ce sont les actes qu’elle y produit. L’entendement, il est vrai, cesse de raisonner sur les mystères particuliers ; mais la volonté ne demeure pas inactive : elle continue de produire des affections en présence de Dieu, qu’elle contemple des yeux de la foi. […] L’âme expose donc en silence ses besoins aux yeux du Seigneur, et elle attend sa miséricorde, mais avec une résignation entière à sa divine Volonté, parce que, dans son humilité, elle se répute indigne de sa visite. Enfin elle se compose, en la présence de Dieu, selons les affections et les sentiments divers que lui inspire l’onction du Saint-Esprit, qui est le principal maître de cette faculté, selon les paroles de saint Denys à Timothée : Tournez-vous vers le rayon : Converte te ad radium. C’est là que procède d’ordinaire cette merveilleuse union que le même saint appelle : Union de l’inconnu avec l’inconnu : Ignoti cum ignoto, et qui est le suprême degré de la théologie mystique. Il n’appartient qu’à ceux qui y sont parvenus de pouvoir l’expliquer ; quant aux autres, c’est chose très difficile, mais il suffit de l’avoir indiquée ici. »

1)  Ad Frates de Monte-Dei ;

2)  Psaumes, 45 : 11 ; 33 : 9 ;

3)  Lib. IXI de Civ. Dei, c. 19.

 

DEUXIÈME DIFFICULTÉ.

 

« Il semble que c’est tenter Dieu, que de cesser de méditer, et de se tenir en sa présence attendant qu’il parle ou qu’il donne quelque inspiration, ou qu’il révèle quelque chose ; une pareille manière d’oraison semble friser l’erreur des illuminés. »

 

RÉPONSE.

 

« […] Un tel genre d’oraison n’a évidemment rien de commun avec l’erreur des illuminés. […] L’oraison de quiétude et de silence incline, au contraire, à un profond respect de Dieu et à la réformation de la vie. Quand ces deux choses manquent, on ne peut entrer dans ce genre d’oraison. S’il arrive que quelqu’un y entre mais n’en retire aucun fruit, ce genre d’oraison fait bientôt justice de lui ; il le repousse et le condamne intérieurement. Et la raison en est simple : c’est qu’il est impossible à l’homme de paraître avec paix et sécurité devant Dieu, et de ne pas sentir intérieurement ses reproches quand il est contraire à son esprit, qui est un esprit de pureté et de sainteté, de réformation et de soumission à la divine Volonté. »

[…]

 

QUATRIÈME DIFFICULTÉ.

 

« On remarque que ceux qui vont par ce chemin s’enorgueillissent secrètement et sans s’en apercevoir, se préférant à ceux qui marchent par la voie ordinaire de l’oraison. Et de là vient qu’ils s’obstinent dans leur mode de prier [et y inclinent ceux qui les écoutent et suivent leur voie prétendument contemplative], sans vouloir se soumettre au jugement des supérieurs ou de ceux qui les dirigent [ou encore de ceux que l’Église a entérinés en tant que docteurs en ces questions spirituelles fort délicates], lorsque ceux-ci sont d’un avis contraire ; s’estimant gens spirituels qui peuvent tout juger et ne doivent être jugés par personne : Qui omnia possunt judicare et ipsi a nemine. »

 

RÉPONSE.

 

« La solution de cette difficulté est facile : on répond que ces défauts et tout autre qu’on pourrait remarquer en ceux qui usent de ce mode d’oraison, ne viennent point de l’oraison qu’ils suivent, mais de leur faiblesse, de leur indisposition ou de leur imperfection ; ainsi il faut les reprendre et les corriger. Mais on ne peut conclure de ces défauts que ce mode d’oraison soit mauvais. L’expérience nous démontre que ces défauts et souvent de plus grands encore se trouvent en ceux qui usent du raisonnement dans l’oraison ; car la vanité se mêle plus dans les choses où l’esprit déploie ses forces et sa pénétration. Mais de ce que quelqu’un ou même plusieurs abusent d’un mode quelconque d’oraison mentale, il ne s’ensuit point que l’oraison mentale soit mauvaise et qu’il faille l’abandonner. Et s’il fallait condamner tout ce dont les hommes abusent, il faudrait également abandonner les méditations et les communions fréquentes, attendu qu’il est des personnes qui en usent mal, ou, pour mieux dire, qui commettent des fautes dans l’usage qu’ils en font. […] »

 

 

SUITE

 

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21 novembre 2012 3 21 /11 /novembre /2012 15:58

 

SEPTIÈME DIFFICULTÉ.

 

« Ce mode d’oraison semble s’éloigner de la méthode commune d’oraison de la Compagnie, enseignée par notre Père saint Ignace et communément commandée par les docteurs ; ainsi il cause la division entre les membres d’une même communauté, les uns allant par un chemin et les autres par un autre. »

 

RÉPONSE.

 

« Mais la réponse est facile ; je dis qu’au contraire, ce mode de prier favorise la méthode commune d’oraison de la Compagnie. En effet, c’est par cette méthode que l’on doit commencer, à moins d’une inspiration spéciale de Notre-Seigneur ; et c’est d’elle que naît cette autre mode d’oraison, puisque c’est par le moyen de la méditation que l’on acquiert le repos de la contemplation. Et l’auteur des Exercices spirituels en est lui-même la preuve : par une grâce spéciale, il s’éleva de ces Exercices à ce mode d’oraison, puisqu’il est dit de lui dans sa vie que, dans l’oraison, il subissait plutôt les opérations divines, jouissant de ce qu’on lui donnait, qu’il ne travaillait par la voie du discours ; car, déjà alors, il se reposait, ayant atteint le terme et s’y étant uni. D’ordinaire, on doit proposer à tous la méthode commune d’oraison. Mais s’il plaît à Notre-Seigneur, par une faveur spéciale, d’élever quelqu’un dès le commencement à l’oraison de quiétude, on doit le conduire par cette voie. On peut, de même, initier à cette voie ceux qui se sont exercés depuis des années dans l’oraison commune par la méditation et par le raisonnement, lorsqu’ils sont déjà avancés et disposés pour ce mode de prier dans un repos intérieur en présence de Dieu et par voie de contemplation ; il faut leur conseiller toutefois de ne pas abandonner entièrement les méditations, mais de diminuer peu à peu le discours, et de donner plus aux affections, se contentant des discours passés, et produisant les affections rapportées plus haut. Et ceci est conforme à ce que dit notre Père saint Ignace dans les Additions de ses Exercices spirituels : Sitôt que nous trouvons dans un point de dévotion que nous cherchons, il faut rester là, sans nous mettre en peine de passer outre, jusqu’à ce que notre dévotion soit satisf²aite. On peut donner ce même conseil à ceux qui, par faiblesse ou pur toute autre cause, ne sont pas capables de faire de longs raisonnements. En pratique, on doit se conduire en tout par l’avis d’un directeur qui puisse être juge en cette matière. Son jugement fondé sur la prudence et sur les règles données là-dessus, peut être considéré comme signe de la vocation et de la volonté de Dieu ; et l’expérience prouve que Dieu a coutume d’aider ces sortes d’âmes et de les élever, quand elles y pensent moins, au repos de la contemplation [à ne pas confondre avec la prophétie qui peut exister sans la grâce sanctifiante – S. Th., 2-2, q. 172, a. 4, concl.]. Il est visible que ceci que ceci ne met point de division dans la communauté. En général, le mode de prier par affection et en discourant peu est du grand nombre. Le plus au point de perfection dans ce mode de prier est du petit nombre, vu que les parfaits sont toujours peu nombreux ; et plût à Dieu que les hommes élevés à cette haute oraison fussent en grand nombre pour enflammer les âmes tièdes ! Ainsi donc les âmes qui marchent de cette manière par un chemin particulier sont dans une voie qui n’a rien de répréhensible ; ce sont au contraire des âmes que Dieu veut enrichir de ses dons privilégiés ; car Dieu n’accorde pas des grâces ou des faveurs très particulières à ceux qui se contentent de la voie et de la vie commune (Porque no haze Dios mercedes muy particulares a los que se contentan con el camino y vida comun). »

 

Tel était en substance l’écrit du Père Balthasar Alvarez. Il le terminait par ces lignes, adressées au Père Visiteur : « Voilà ce qui s’est présenté à mon esprit sur ce mode d’oraison, et ma réponse aux difficultés proposées. Je prie Votre Révérence, pour l’amour qu’elle porte à Dieu et le désir qu’elle a de Lui plaire, de vouloir bien lire cet écrit, de l’examiner, et de faire savoir tant à moi qu’aux autres Pères de cette Province, qui pourraient être consultés par ceux que Dieu semblerait conduire par cette voie, ce que nous devons admettre ou rejeter de cette doctrine. J’espère de la bonté de Dieu que, par ce moyen, Il nous fera connaître, ainsi qu’à ces âmes, sa Très-Sainte Volonté. »

L’issue de cette tempête fut favorable au Père Balthasar Alvarez ; elle tourna à la gloire de sa personne et du mode d’oraison qui avait suivi [oraison de quiétude et de silence] ; car après que la cause eût été examinée par les supérieurs et d’autres personnes graves, le divin Maître, qui, selon sa coutume, exalte les humbles et venge l’honneur de ceux qui, pour son service, veulent se taire, souffrir et sacrifier même leur honneur, montra qu’Il prenait en main les intérêts d’un serviteur si courageux et si fidèle. […]

Chose admirable ! cette tribulation, qui semblait devoir porter un coup mortel à la réputation du Père Balthasar Alvarez, ne servit qu’à le faire connaître davantage et à rendre sa course plus rapide durant le peu de temps qu’il lui restait à vivre, afin qua sa couronne fût plus glorieuse.

 

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Vie du Père Balthasar Alvarez de la Compagnie de Jésus (directeur spirituel de Ste Thérèse d’Avila), par le Vble P. Louis Du Pont, S. J., traduite en français par le P. Marcel Bouix de la même Compagnie, Paris, Librairie Régis-Ruffet, 38, rue Saint-Sulpice, 38, 1873, chapitre XLVIIIe, Comment le Père Balthasar Alvarez s’éleva, de degré en degré, jusqu’au plus parfait amour de Dieu. — Des principales vertus que renferme cet amour. — Sentiments élevés du Père Balthasar sur ce sujet,  pages 560-564 :

 

[…] Ce saint homme présentait toutes ces offrandes, pour témoigner son amour à Celui qui l’aimait tant. Nous en avons la preuve dans ce qu’il écrit dans son journal, 3 août 1575.

« Un jour, dit-il, à l’action de grâces après la messe, j’eus un sentiment sur la manière d’aimer Dieu. Pour L’aimer comme Il le mérite, je devais lui donner tout ce qui est à moi, mon temps, mes goûts, mes amis, et tout le reste et le meilleur, et moi-même avec cela, attendu que Dieu me donne tout ce qui est à Lui, les grandes choses comme les petites, sans en excepter aucune, et que, par-dessus tout, il désire se donner Lui-même à moi. Mon cœur en demeura attendri et incliné à Notre-Seigneur, avec d’inexprimables délices ; ce fut une insigne faveur. Un autre jour, le 10 mars 1569, étant en oraison et l’âme tout éprise du désir de cet amour, je dis à Notre-Seigneur, avec un sentiment très intime : Ô Seigneur, que m’est-il donné de n’avoir plus à traiter avec personne qu’avec vous, ou des choses de votre service, qui regardent le bien des âmes, ainsi que vous le désirez ! Oh ! que n’ai-je déjà commencé l’ouvrage que vous aviez achevé à votre départ de ce monde ! Oh ! que ne suis-je dans l’heureuse nécessité de ne pouvoir plus ni m’éloigner un seul instant de vous, ni traiter d’aucune chose que par obéissance à vos ordres ! Comme ce fut une prière inspirée, le divin Maître me donna l’espérance qu’il me ferait cette faveur. »

Nous ne pouvons douter qu’une faveur si insigne ne lui ait été accordée ; car il travailla avec un soin extrême à enlever de son âme tout amour des créatures qui aurait pu tant soit peu refroidir en lui l’amour du Créateur. Jaloux de communiquer aux autres le grand trésor que son expérience lui avait appris à connaître, il les portait à cette manière d’aimer Dieu, et il les y exhortait en ces termes :

« Ayez Dieu en si grande et si haute estime, que tout l’amour que vous Lui portez vous paraisse petit. Pour mieux faire cela, réunissez, pour les concentrer en Dieu, toutes vos affections dispersées dans les créatures, non seulement dans celles qui n’ont pour vous que de l’indifférence, mais encore dans celles qui vous sont éperdument dévouées, afin qu’il soit manifeste que vous ne les abandonnez pas parce qu’elles vous abandonnent, mais uniquement à cause de la grande estime et du profond respect que vous avez pour Dieu. N’ayez point de peine à les abandonner, puisque c’était votre affection pour elles qui vous tenait éloigné de Dieu. Vous éprouverez ensuite qu’il n’y avait point en elles de vrai bonheur , et que ce bonheur ne se trouve qu’en Dieu. D’après cela, il sera bon de ne pas solliciter leur amitié ; et, si elles vous l’offrent de leur plein gré, il sera bon de la détourner et de la refroidir, tenant même à bonheur qu’elles vous la refusent. Car, de cette manière, vous payerez avec moins d’obstacles, et avec une plus parfaite intégrité, le tribut d’amour et d’obéissance que vous devez à Dieu, et vous mettrez tout votre cœur en Celui qui est tout votre trésor. De même, que c’est peu de tout votre temps pour le consacrer à Dieu, puisque saint Augustin nous dit que tout temps qui n’est pas employé à aimer Dieu est un temps perdu : Perdit quod vivit, qui te Deum non diligit (1). J’en dis autant de tous vos goûts, de toutes vos pensées, de toutes vos paroles, de toutes vos œuvres, de vos yeux, de vos oreilles et de tout le reste : ne les employez qu’à payer ce tribut d’amour au Seigneur. »

Pour arriver à ce degré de perfection dans l’amour, le Père Balthasar nous dit qu’il fut puissamment aidé par la lumière qu’il eut de la vanité des créatures ; car, s’arrêtant un jour à une plainte intérieure qu’il formait contre une personne qui, à son avis, ne répondait pas à ses bienfaits par l’affection qu’ils méritaient, il eut ces sentiments si profitables à son âme :

« Comprends ce que Dieu négocie pour ton bien. Tu n’aurais pas eu peu à souffrir, si la chose était arrivée comme tu la souhaitais. C’est Dieu qui, dans sa Providence et dans sa grande miséricorde envers toi, fait que les créatures te rebutent et t’envoie au Créateur, remplissant ainsi l’office qu’Il leur impose.

« Les créatures, dit le Père Balthasar dans son journal, le 30 juin 1575, remplissent cet office de trois manières admirables. La première, c’est qu’en ne satisfaisant point, en ne comblant point notre désir, lorsque nous les possédons et que nous jouissant d’elles, nous répondant comme jadis à Augustin : Je ne suis pas ton Dieu, je ne suis pas ton repos ni même ta consolation : Non sum ego Deus, non sum ego tua quies atque solatium (2). La seconde, en ne communiquant pas toujours ce peu de bien et de douceur qu’elles possèdent, mais en traitant, au contraire, de la manière la plus capricieuse, changeant sans cesse d’humeur, ne demeurant jamais dans le même état ; et c’est de tout cela que doit dépendre celui qui les recherche. La troisième manière, c’est en nous abandonnant sans retour, dès qu’elles rencontrent dans un autre un tant soit peu plus de bien, d’utilité ou de plaisir. Et bien que nous ayons fait l’expérience de cette vérité un plus grand nombre de fois que nous n’avons de cheveux à la tête, nous n’achevons pas de sortir d’une si sotte illusion, et nous ne cessons pas de courir après les créatures, en oubliant le Créateur ; d’où il résulte que nous n’avons ni faim du Créateur ni rassasiement des créatures. Le remède, c’est de les gagner de vitesse, de les prévenir, de commencer par où elles achèvent, c’est-à-dire de les abandonner promptement, pour ne pas perdre de temps, et de passer au Créateur, dans Lequel nous trouverons repos, paix, rassasiement, avec une stabilité éternelle, sans qu’il soit au pouvoir de personne d’empêcher ou de troubler cette jouissance. Qui jouit d’une paix plus grande que celui qui ne désire rien ? Qui est plus riche que celui qui tient pour superflu toutes les plus grandes et les plus éblouissantes choses du monde ? Ayez Dieu, et rien ne vous manquera. »

Ce sont ces sentiments et d’autres semblables que le divin Maître communiquait au Père Balthasar Alvarez pour le détacher entièrement de toutes les créatures. Comme ils étaient la règle de sa conduite, on ne connut jamais en lui aucune affection ni goût pour chose quelconque, quelque petite qu’elle fût.  Bien moins encore eut-il pour qui que ce soit un attachement qui altérât ou gênât tant soit peu la liberté et la franchise avec lesquelles il aimait Notre-Seigneur. À la vérité, il travailla longtemps pour arriver là, s’efforçant de dégager son cœur de telle sorte, qu’il vécût aussi détaché des créatures que s’il eût été dans les déserts d’Afrique. Enfin, avec la grâce divine, il arriva à cette bienheureuse liberté. Il était visible que cet homme, dont la société était si chère à plusieurs grands d’Espagne, et qui était capable des emplois les plus élevés, souhaitait et se fût estimé heureux de mourir ignoré dans quelque coin. C’est par ce mépris de lui-même qu’il monta au dernier et suprême degré de perfection, ainsi qu’on le verra dans le chapitre suivant.

 

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Vie du Père Balthasar Alvarez de la Compagnie de Jésus (directeur spirituel de Ste Thérèse d’Avila), par le Vble P. Louis Du Pont, S. J., traduite en français par le P. Marcel Bouix de la même Compagnie, Paris, Librairie Régis-Ruffet, 38, rue Saint-Sulpice, 38, 1873, chapitre XLIXe, Comment le Père Balthasar acquit la parfaite résignation et conformité à la volonté divine, en toutes choses, dans les prospérités comme dans les adversités. — Ses sentiments sur cette vertu,  pages 565-567, 568-570 :

 

La vie du Père Balthasar Alvarez, comme on l’a vu, fut un tissu de prospérités et d’adversités de tout genre ; mais toutes lui servirent comme d’échelons pour s’élever au plus haut degré de perfection dans le divin amour, en sorte que l’on vit se vérifier en lui ces paroles de l’Apôtre ; « Nous savons que tout coopère au bien de ceux qui aiment Dieu : Scimus quoniam diligentibus Deum omnia cooperantur in bO.N.U.m (1). » Et quel plus grand bien que l’augmentation de ce même amour de Dieu, surtout quand il est parvenu à n’avoir qu’une seule volonté avec Dieu, en toutes choses, corporelles et spirituelles, grandes et petites, sans vouloir choisir ni incliner vers l’une plutôt que vers l’autre, avant de connaître la volonté divine, dont il cherche l’accomplissement en tout ? Mais laissons ici parler le Père Balthasar Alvarez lui-même :

« Un jour, je demandais à Notre-Seigneur certaine chose que je désirais en vue de son service ; j’entendis cette réponse : Toute la perfection est dans la volonté de Dieu ; et le plus grand de tous les sacrifices est la conformité avec cette volonté, parce que Dieu est jaloux de sa gloire et qu’il sait ce qui est plus propre à la lui procurer. »

 

Un autre jour, le 27 janvier 1569, comme il doutait s’il dirait ou ne dirait pas la messe, à cause d’un empêchement qui était survenu, Notre Seigneur lui communiqua ce sentiment : « Ce n’est pas chose de petite importance que de connaître ou d’ignorer la volonté de Dieu ; car l’erreur en cela, comme la connaissance de la vérité, a les suites les plus graves. Si Dieu veut une chose, c’est témérité qu’un vil ver de terre ne la veuille pas ; et si Dieu ne la veut pas, c’est une effroyable folie à l’homlme d’oser l’entreprendre. Que si cela est vrai dans les choses les plus minimes, combien plus quand il s’agit de s’approcher ou de s’éloigner de l’autel ! Quelles suites, en effet, un tel acte ne peut-il pas avoir pour le bien comme pour le mal, suivant que que l’on est dans la volonté de Dieu ou qu’on agit contre sa volonté ? Je compris également alors qu’on ne doit pas vivre sans douleur et sans larmes dans une vie sujette à une si grande ignorance ; je compris avec quelle prudence nous devions nous conduire dans une chose si importante, et que l’unique moyen qui nous reste pour connaître la vérité est l’oraison continuelle, conformément à ces paroles de l’Écriture : “ Comme nous ignorons ce que nous devons faire, nous n’avons d’autre ressource que d’élever les yeux vers vous, Seigneur : Cum ignoremus quid agere debeamus, hoc solum habemus residui, ut oculos nostros dirigamus ad te (2). ” Ainsi, celui qui, avec une intention droite, priera humblement le Seigneur, pourra espérer d’être conduit par Sa main ; car il est écrit de Lui : “ Il dirigera le conseil du juste : Ipse diriget consilium ejus (3). ” Que si quelque fois il vient à se tromper, il peut espérer avec confiance le pardon de son erreur, attendu qu’il aura fait un faux pas sans le vouloir, et parce qu’il marchait à tâtons dans l’obscurité de la nuit. »

[…] Il reçut une lumière semblable dans une autre circonstance. Se trouvant un jour accablé par la multitude des occupations extérieures, il adressait à Notre-Seigneur des plaintes amoureuses de n’avoir pas le loisir d’être seul avec Lui. Le divin Maître lui fit alors cette réponse : « Contente-toi de ce que je me sers de toi, bien que je ne te tienne pas avec moi. » — « Et cette réponse, dit le Père Balthasar, laissa mon âme inondée de délices. »

 

Le 9 mai 1575, il eut ce sentiment sur le même sujet : « Il pourra bien se faire que plusieurs religieux de la Compagnie manquent de temps pour faire leurs propres volontés ; mais certes ils ne manqueront ni d’emplois ni de belles occasions pour faire la volonté de Dieu. S’il est nécessaire que le grain de froment meure pour porter du fruit, quoi de plus heureux, quoi de plus grand que cette mort ? Et, par conséquent, quoi de plus insensé que de la redouter et de s’en plaindre ? Si Dieu laissait à notre choix le genre de notre mort, en pourrions-nous trouver un plus doux que celui où l’on n’emploie ni le fer ni le feu, ni rien d’humiliant ? […] La loi qui gouverne ces religieux est la loi du Seigneur : loi sainte, loi pure et sans tache. Comme le Sauveur, ils ont pour nourriture, nourriture inconnue aux amateurs de leur propre volonté. Oh ! combien il est est qui ignorent ce délicieux aliment ! Cette volonté de Dieu, sans mélange d’intérêts propres, est le partage du petit nombre. Elle a été le partage du Sauveur, des apôtres, après la descente du Saint-Esprit ; d’un Paul, qui disait : Soit présents, soit absents, nous nous efforçons de Lui plaire : Contendimus sive absentes, sive præsentes placere illi ; d’un David, qui disait : Mon âme ne sera-t-elle pas soumise au Seigneur (4) ? Et ailleurs, qu’il le servirait sans intérêt propre (5). »

C’est là la partie la plus élevée de cette résignation et de cette conformité à la volonté divine, creset où s’épurent et se rafinent l’intention et le but de l’amour. Le Père Balthasar Alvarez s’y rendit insigne, aimant Dieu tellement sans intérêt propre, qu’il se dépouillait des consolations et des délices qui accompagnent d’ordinaire l’oraison, se résignant à en être privé, pour le bon plaisir de Dieu, comme on va le voir par ces sentiments qu’il nous a laissés par écrit :

« Ce que vous réglez, Seigneur, voilà la règle de toute créature ; ce que vous ordonnez, voilà ce qu’elle doit exécuter. Mais parmi les âmes qui ont reçu de Vous la faveur d’entrer au-dedans de Vous et d’expérimenter la douceur de votre présence, ainsi que la consolation de Votre parole et de Votre enseignement, il n’en est aucune qui puisse s’empêcher de sentir de la peine, quand ces délices lui manquent. C’est ce qui fait dire à David : “ Seigneur, écoutez mes larmes ; ne vous taisez pas : Auribus percipe lacrymas meas. Ne sileas (6).” C’est un grand trésor pour l’âme que d’être arrivée à sentir, par sa propre expérience, qu’elle ne peut vivre sans Dieu, ni sans sa faveur. Je ne dois pas néanmoins être inconsolable si les sentiments tendres manquent à mon cœur ; car la direction de Dieu ne me manque pas pour cela. Il en est de même de mes sentiments propres ; s’ils me manquent, les sentiments communs de la foi ne manquent point dans l’Église. Or, c’est à ce flambeau et à cette clarté que je dois m’éclairer. Les Mages devaient être la preuve de cette vérité : aussitôt qu’ils arrivent à Jérusalem, l’étoile se cache, et ce sont les docteurs qui, d’après les Écritures, leur déclarent où est né l’Enfant-Dieu. L’étoile se montre ensuite de nouveau, et leur joie redouble. Les sentiments particuliers ressemblent aux fleuves, qui parfois coulent sous terre ; ils s’en vont et ils reviennent, selon le bon plaisir de Dieu. Et afin que la foi s’appuie sur la Parole divine, et non sur eux, le Seigneur permet qu’ils manquent. »

Le Père Balthasar dit ailleurs : « Dieu me fit entendre qu’Il accorde les consolations dans une sobre mesure, parce que cela convient ainsi à Son service ; car l’âme est d’autant mieux disposée qu’elle ressemble plus au Rédempteur, qui vécut au milieu des travaux et l’âme remplie de tristesse. La consolation doit être à la manière du rafraîchissement que prend le voyageur dans une maison qu’il trouve sur le chemin : ce n’est ponit pour rester là, mais pour continuer sa route avec plus d’élan et de courage. »

S’entretenant avec Notre-Seigneur, il avait coutume de Lui dire : « Très cher Maître, puisque vous m’avez accordé la grâce de me faire goûter le repos, en m’offrant à Vous avec tout ce que je suis, à cette grâce daignez en ajouter une autre : faites que je trouve mon repos à me voir en tout par Vous selon votre bon plaisir. Je ne veux point de plus haute fin, ni de moins convenables moyens, ni plus de faveurs, ni moins de souffrances, ni plus de délices, ni moins de travaux. Je ne veux être considéré que selon ce que Dieu m’a accordé, et ce que j’ai mérité ; je ne veux être traité que comme Dieu m’a traité, et comme mes péchés l’ont mérité ; je ne veux pas plus de tendresses, ni moins de rigueur. »

Cette grâce qu’il avait reçue de Notre-Seigneur lui servait de règle pour diriger ceux qui marchent dans les voies spirituelles, et qui s’attristent parce qu’il leur semble qu’ils n’aiment pas Dieu avec ferveur. Il leur enseignait premièrement à supporter patiemment l’épreuve, quand, à leur avis, Dieu les traitait avec rigueur. Secondement, à se contenter de ce qu’Il leur donne, l’estimant comme un don de haute valeur. Troisièmement, à se contenter également de Ses retards, ne les trouvant pas longs, mais plutôt courts, et les tenant pour de riches trésors, attendu que les trésors des âmes pures ne consistent pas à posséder les biens de Dieu, mais à Le contenter et à Lui plaire. Quatrièmement, à lui rendre tous les services qui seront en leur pouvoir. « De même, disait-il, qu’une très chaste femme, s’efforce de plaire en tout à son mari, prenant ou quittant ses ornements selon son bon plaisir, et sans s’inquiéter de déplaire aux autres ; de même l’âme qui aime véritablement Dieu met tout son contentement à le contenter. Et si elle désire l’ornement des vertus, des sciences et d’autres grâces, ce n’est pas pour plaire aux hommes, ni pour en être estimée, parce qu’elle tient cela pour une sorte d’adultère, mais uniquement pour plaire à son Dieu et pour aider les autres à Lui plaire. De façon que si Dieu enlève à cette âme les consolations, les faveurs et les grâces gratuitement données, et ne lui laisse en quelque sorte pour partage que les humiliations et les mépris, elle en demeure contente. Pourquoi ? Parce que c’est ainsi que son Dieu le veut, et que tout son contentement consister à Le contenter. Et ainsi, selon le langage de l’Esprit-Saint, “ que le bien-aimé plaira à Dieu : Placens Deo factus est dilectus (7).” Celui qui marche dans les voies spirituelles, s’efforçant de plaire à Dieu de cette manière, sera aimé de Lui, et il parviendra à l’excellence de son amour et aux richesses qui en découlent. »

 

 

SUITE

 

 

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21 novembre 2012 3 21 /11 /novembre /2012 15:55

 

Pour confirmer cette doctrine, il disait : « La principale fin de toute bonne oraison, et le meilleur fruit qu’on en puisse retirer, c’est de donner à Dieu tout ce qu’Il nous demandera, et d’agréer avec une grande conformité tout ce qui sera de Son bon plaisir, tant pour la manière dont Il lui plaira de nous traiter, que pour les voies par lesquelles Il voudra nous conduire : trouvant bon qu’Il nous enlève la santé, l’honneur, les commodités et les autres choses naturelles ; et, relativement aux choses intérieures et spirituelles, agréant avec la même conformité qu’Il nous retire Ses faveurs, qu’Il s’absente de nous, ou qu’Il Se cache ; d’un côté, nous laissant froids et dans les ténèbres ; et, de l’autre, combattus de tentations, de craintes, de désolations, afin qu’Il soit ainsi plus glorifié et nous plus avancés dans Son service. C’est là ce qu’Il prétend, et c’est l’heureux fruit que nous en recueillerons, si nous demeurons fidèles, si nous persévérons à ne pas aller mendier auprès des créatures des consolations extérieures, quelque abandonnés que nous nous voyons ; si nous ne fuyons pas la croix et les épreuves qui nous viennent d’elle. Si, au milieu de ces épreuves, nous nous montrons fidèles, Dieu, non seulement nous ses anciennes faveurs, mais Il nous en accordera de plus grandes, comme Il fit pour les troupeaux du saint homme Job, avec lequel nous ne devons cesser de redire, tant que nous sommes dans cet état : “ Dieu me l’avait  donné, Dieu me l’a enlevé : Dominus dedit, Dominus abstulit (8).” Le Seigneur m’avait accordé ce don, Il me l’a enlevé, Son nom soit à jamais béni !  Car, soit qu’Il donne, soit qu’Il retire ce qu’Il a donné, Il fait tout par amour et pour mon profit. Nous devons encore dire avec le grand-prêtre Héli : “ Dieu est le Maître, qu’Il fasse ce qui est bon à Ses yeux : Dominus est ; quod bO.N.U.m est in oculis suis faciat (9).” J’estimerai bon tout ce qu’Il jugera tel, de quelque manière qu’Il me traite. Celui qui a cette résignation et qui travaille pour cette fin dans tout ce qu’il entreprend, est dans une grande paix. Tout en faisant de son côté tout ce qu’il peut et ce qu’il doit, il en abandonne néanmoins le résultat entre les mains de Dieu ? plus content d’un résultat contraire à sa consolation, quand c’est Dieu qui l’envoie, que de celui qui aurait été conforme à ses désirs. C’est ainsi que Job disait à son frère : “ Ayons bon courage ; combattons vaillamment pour notre peuple et pour les cités de notre Dieu ; et le Seigneur fera ce qui est bon en Sa présence : Confortare, et agamus viriliter pro populo nostro, et pro urbibus Dei nostri : “ Dominus autem quod in conspectu suo bO.N.U.m est, faciet (10) ”. »

Voilà ce que le Père Balthasar enseignait aux personnes d’oraison, et ce qu’il avait profondément gravé dans son cœur. Et ainsi, avec cette résignation et cette confiance, il aborda, comme on l’a vu, de grandes entreprises pour le bien des âmes, et il les conduisit heureusement à terme.

1)  Romains, 8 : 28 ;

2)  II Chroniques, 20 : 12 ;

3)  Ecclésiastique, 39 : 10 ;

4)  Psaumes, 61 : 2 ;

5)  Psaumes, 53 : 8 ;

6)  Psaumes, 38 : 13 ;

7)  Sagesse, 4 : 10 ;

8)  Job, 1 : 21 ;

9)  I Rois, 3 : 18 ;

10)                I Chroniques, 19 : 13.

 

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Vie du Père Balthasar Alvarez de la Compagnie de Jésus (directeur spirituel de Ste Thérèse d’Avila), par le Vble P. Louis Du Pont, S. J., traduite en français par le P. Marcel Bouix de la même Compagnie, Paris, Librairie Régis-Ruffet, 38, rue Saint-Sulpice, 38, 1873, chapitre Le, De quelques graves sentences du Père Balthasar Alvarez sur la résignation et la confiance en la providence de Dieu ; — Comment, par ces sentences, il console les malades et les affligés ; lettres sur ce sujet,  pages 574, 575-584 :

 

Le Père Balthasar Alvarez possédait, comme on l’a vu, une grâce spéciale et une prudence rare pour ramener à Dieu, par ses lettres, les âmes égarées, pour exciter les tièdes et pour encourager les pusillanimes. Nous allons voir qu’il n’excellait pas moins à consoler et à fortifier les malades et les affligés. Il savait ce qu’étaient la maladie et la tribulation ; il en avait souvent ressenti les étreintes. Il tirait donc de sa propre expérience les avis et les motifs de consolation qu’il donnait aux autres. Comme sa consolation unique, dans les maladies et les tribulations, était la résignation et la conformité à la volonté de Dieu et à son amoureuse providence, il en parlait admirablement sans ses lettres aux malades et aux affligés, et il les consolait en leur faisant connaître la grandeur d’un tel trésor. Nous en citerons quelques extraits pour notre consolation et notre profit.

 

[…] Écrivant à une autre personne d’un rang très élevé, il s’exprime ainsi sur la conformité à la volonté de Dieu :

 

« Salamanque, 1er mars 1576.

 

Une grande marque que votre état est agréable à Dieu, c’est la joie constante et habituelle qu’Il vous cause. Vous semblez être dans votre centre. Quel bonheur pour moi d’apprendre votre parfaite soumission à la volonté de Dieu ! Je souhaite ardemment que vous vous gouverniez en tout par une règle si infaillible. Si vous prenez une pareille étoile pour guide, non seulement vous n’aurez pas de naufrage à craindre, mais vous arriverez heureusement au port, et cela avec raison. Car, lorsque Dieu ouvre les yeux à une âme, afin qu’elle connaisse le bien qu’elle possède en Lui, Il les lui ouvre, en même temps, pour qu’elle découvre, à la même lumière, les trésors cachés dans les croix et les souffrances ; Il lui fait voir qu’elles sont des chars rapides qui font traverser en poste les intervalles que les âmes ont à franchir pour arriver à Dieu ; et que, par conséquent, c’est faire injure à la Providence que de les regarder comme des obstacles. L’âme, en effet, qui désire avancer dans la perfection et contenter Celui qu’elle doit aimer plus qu’elle-même, doit souhaiter, en même temps, d’avoir des occasions de Lui donner des preuves de cet amour. Prenant en pitié le jugement d’un monde aveugle qui appelle les croix et les souffrances des infortunes, des désastres, des poids accablants, cette âme les tiendra pour des faveurs et des grâces, d’autant plus grandes et plus précieuses, qu’elles pèseront davantage à la nature. »

 

La lettre qu’on va lire est adressée à un religieux :

 

« Vous souffrez, mon Révérend Père, du corps et plus encore de l’âme. C’est Dieu, dans sa douceur, qui vous envoie l’un et l’autre, afin que vous Le possédiez Lui-même un jour. Je me souviens de ces paroles que Notre-Seigneur adressa à sainte Gertrude : Lorsque Je vois quelque âme privée de vertus qui M’attirent à elle , parce que Mes délices sont d’être avec les enfants des hommes, Je la remplis de tribulations dans le corps et de troubles dans l’esprit ; et très souvent les troubles de l’esprit l’emportent sur les souffrances du corps. Mon but est de m’ouvrir ainsi un chemin vers cette âme, d’être attiré à elle par tout ce qu’elle endure, et de lui faire élever de grands cris vers Dieu, tandis qu’auparavant elle faisait à peine entendre sa voix ; car il est écrit : “Le Seigneur est près de ceux qui ont le cœur dans la tribulation : Juxta est Dominus iis, qui tribulato sunt corde” (1) ; et le Seigneur nous affirme Lui-même cette consolante vérité quand il lui dit : “Je suis avec lui dans la tribulation : Cum ipso sum in tribulatione ”(2). Cette charité de Dieu, voilà la cause de votre souffrance, et non la soustraction de votre amour. Ce n’est pas un éloignement de la bienveillance de Dieu, mais un embrassement de sa douceur ; et cet embrassement  doit être d’autant plus vénéré qu’il est plus étroit, car c’est par là que les créatures ont coutume de montrer l’amour qu’elles se portent les unes aux autres. Si votre souffrance augmente, que votre foi en Dieu augmente aussi : elle vous rendra la santé, comme saint Paul le dit d’autres malades animés d’une foi vive : “Par la foi, ils guérirent de leur infirmité : Fide convaluerunt de infirmitate” (3). Notre-Seigneur ne voudra point couper, avant la maturité, la grappe de raisin qu’Il a cultivée pour être servie à Sa table. Ne craignez pas de désirer et de demander la santé, si vous être résolu de l’employer uniquement à son service : ce désir Lui plaira, bien loin de l’offenser. Nous en avons pour garant ces paroles qu’Il adressa à la même sainte Gertrude : “La tendresse d’amour avec laquelle Je souhaite le salut des âmes Me force à recevoir les désirs par lesquels les justes recherchent ou désirent légitimement certains biens, comme si J’étais Moi-même l’objet de leur recherche et de leurs désirs. Quant à ceux qui gémissent sous le poids de l’infirmité du corps ou de la désolation de l’esprit, ou d’autres semblables souffrances, s’ils désirent la santé ou de se voir délivrés de ces  souffrances, Moi, pour pouvoir les récompenser magnifiquement et à cause du grand amour que Je leur porte, Je considérerai leurs désirs comme ayant ma divine Personne pour objet”. — O paroles capables de porter la consolation jusque dans le fond du cœur de celui qui sait entendre ! Je compatis, mon Révérend Père, à votre état, car j’ai expérimenté quelle est la faiblesse des hommes. Quand Dieu les abandonne à leurs propres forces, Il veut qu’ils voient alors clairement le peu qu’ils peuvent sans Lui lorsqu’ils L’abandonnent pour s’appuyer sur eux-mêmes. Et puisque j’ai été moi-même voisin des portes de la mort, comme vous, et que je vis, considérez-vous devant Dieu, et vivez dans la confiance qu’Il en pourra être de vous comme de moi, que vous recouvrerez même des forces plus grandes. Ainsi, courage ! ouvrez votre âme à la consolation ; et sachez que pour obtenir la santé et ce que vous désirez que Dieu vous accorde au plus tôt, ce qui est le plus à votre goût et vous tient le plus à cœur, un excellent moyen, c’est d’être respectueusement poli avec Dieu, vous réjouissant de vous abandonner entre Ses mains pour tout ce qu’Il voudra faire de vous. Jusqu’à ce que Dieu ait obtenu de vous cette soumission, sachez qu’Il vous laissera aller à la limite même de la mort ; mais s’Il vous voit résigné, humblement incliné devant Lui et soumis à tout, vous entendrez de Lui la réponse qu’Abraham entendit de la bouche de l’ange au moment où il levait le bras pour immoler son fils : “Arrête, ne frappe point, parce que Dieu ne voulait autre chose, sinon savoir ce qui était au fond de ton cœur ” (4) ; maintenant qu’Il l’a vu, Il t’ordonne de laisser ton fils, et de Lui offrir à sa place ce bélier en sacrifice. Certes, Dieu savait jusqu’où irait la fidélité d’Abraham, mais lui ne l’aurait pas su sans cette épreuve. Il n’a pas hésité à obéir à son Dieu ; et Dieu, pour récompense, non seulement lui rend ce fils bien-aimé, mais Il attache à son nom une gloire immortelle. Croyez-m’en, vous ne trouverez point de chemin plus court pour sortir de l’épreuve présente, et il n’y aura pas pour vous de plus doux souvenir quand la santé sera revenue. Jetez-vous sans réserve, et les yeux fermés, dans les mains de Dieu, et tenez pour certain que vous n’aurez pas à vous repentir de vous être ainsi jeté dans ces mains qui se laissèrent attacher à la croix pour vous mériter le repos temporel et éternel. »

1)  Psaumes, 33 : 19 ;

2)  Psaumes, 90 : 15 ;

3)  Hébreux, 11 : 34 ;

4)  Genèse, 22 : 12.

 

Voici deux autres lettres pleines d’onction, qu’il écrivit sur le même sujet à des dames de qualité. Il s’exprime ainsi dans la première :

 

« 22 mai 1572.

 

J’ai lu, madame, dans votre lettre le récit de vos douleurs, et je les crois plus grandes encore que vous ne le dites : car ce ne sont que les maux médiocres que l’on peut exprimer. Souvenez-vous que la douceur que vous attendiez de Dieu, outre cette qualité de ne pouvoir être exprimée, en possède d’autres semblables qui révèlent sa grandeur. Les justes, dit saint Augustin, se consolent de leurs peines par l’espérance de contempler un jour un spectacle si ravissant et d’une douceur si enivrante, que tout ce que nous pouvons concevoir en ce genre ne saurait nous en donner une idée. En vérité, je ne puis dire des souffrances que le divin Maître nous envoie, sinon ce que dit David des eaux de la mer. “Dieu, dit-il, a rassemblé les eaux de la mer comme dans une outre, mettant des abîmes dans les trésors ” (1). Ces eaux ainsi rassemblées nous représentent les maux que Dieu réunit dans une âme, chacun en son genre la faisant souffrir, et l’un excédant l’autre en amertume. Les trésors où Dieu met des abîmes sont Ses impénétrables et adorables desseins, Ses secrets, Ses dispositions surpassant notre intelligence, mais dans lesquels Il n’a qu’un seul but, une fin unique : de nous faire avancer dans le bien, d’enrichir et de sanctifier nos âmes. C’est à très juste titre que ces desseins de Dieu sont appelés les trésors des âmes. Car c’est de cette source que leur viennent toutes leurs richesses, toute leur félicité, tous les enseignements, toutes les consolations et tous les baumes qui adoucissent leurs peines. Le Roi-prophète dit que Dieu “met des abîmes dans ses trésors ”, quand Il réunit un grand nombre de peines et de souffrances dans une âme. C’est une grande parole que celle-là ! Mais si Dieu ne nous en donne pas Lui-même l’intelligence, elle restera obscure. Ainsi frappez à Ses portes : ce n’est pas sans mystère qu’Il nous les montre ; et en attendant qu’elles s’ouvrent, adorez en silence le secret que votre entendement ne peut pénétrer. Grand est le désir qu’a Dieu  de voir en nous l’image de son Fils formée au vif ; et s’Il veut nous voir seuls et brisés, Il ne vise, en cela, qu’à former en nous cette ressemblance. Depuis que son Fils, en qui Il Se complaît d’une complaisance infinie, s’est revêtu de la livrée que la foi nous prêche, Il ne peut être content quand Il voit que nous n’aspirons pas à la porter ; et que, quand Il veut Lui-même nous en revêtir, nous ne fléchissons pas soudain les genoux devant Lui, et nous ne l’en remercions pas avec beaucoup d’amour et de reconnaissance. Ce sont là des choses qu’il ne faut pas dire seulement, mais qu’il faut sentir, et recevoir avec une indicible consolation. Car Dieu Notre-Seigneur ne punit pas deux fois ; s’Il nous envoie maintenant des souffrances temporelles, c’est pour effacer des fautes qu’il faudrait plus tard punir par un feu éternel ; et Il lave pour ainsi dire à l’eau  de rose ce qu’Il a dû purifier par tout son sang versé au milieu d’effroyables supplices. Une âme qui a de l’amour pour Dieu, et à qui cet amour fait comprendre que c’est sa divine Majesté qui lui envoie ces puissants moyens de sanctification qui la réveillent, n’a pas besoin d’autres considérations pour les aimer et les adorer. Elle les considère tous comme des grâces ; tous sont à ses yeux de grands trains de poste ; tous, des braises ardentes du brasier de Dieu ; tous, de vives lumières de Sa bienveillance ; tous, des flèches de Son amour, et, tous, capables de fendre le cœur, fût-il plus dur que le rocher. Telle est la voie que le divin Maître vous ouvre ; et si vous ne brûlez pas de Son amour, craignez. C’est dans ce but qu’Il vous envoie les souffrances ; et si vous ne voyez pas en elles vos délices, gémissez sur vos péchés ; car ce sont eux qui, comme des voiles épais, vous empêchent de découvrir la félicité et les richesses renfermées pour vous dans les moyens si efficaces que Dieu prend pour réaliser le plus sublime de Ses desseins. Jusqu’à ce que vous entendiez cela, Dieu ne fera que vous livrer à votre folie ; jusqu’à ce que vous sachiez cela, Dieu ne fera que vous envoyer de l’amertume ; jusqu’à ce que vous estimiez cela, Dieu travaillera à vous humilier ; jusqu’à ce que cet arrangement de Sa providence vous contente, tout ce que vous désirerez sera déconcerté ; tout ce qui vous arrivera vous apportera du mécontentement ; tous les événements seront au rebours de vos pensées ; enfin, tout vous manquera, parce qu’il vous manque une chose qui seule peut rassasier, honorer et éclairer celui qui la possède. De là ce commentaire de saint Augustin sur ces paroles de David : “J’ai recherché le Seigneur, et Il m’a exaucé : Exquisivi Dominum, et exaudivit me ” (2). Ceux qui ne sont pas exaucés ne cherchent point Dieu, mais des choses différentes de Lui. Comme ils font injure à Dieu qui veut être aimé plus que ses biens, ils sont justement punis, en ce qu’ils ne les obtiennent jamais, et qu’ils sont exclus de sa familière amitié. Une telle démence est digne d’un tel châtiment. Si je m’étends sur ce sujet et à dessein, c’est parce que je désire perfectionner en vous ce que Dieu a commencé. Je compatis à toutes vos indispositions et à toutes vos peines, mais voici ce qui exite le plus ma compassion : Vous me dites que vous entendez en partie le trésor de ces douleurs et de ces peines. Hélas ! l’intelligence que vous en avez est si petite, que je n’en suis point satisfait. Vous brûlez, mais peu ; vous êtes éclairée, mais peu ; vous prenez toutes ces choses comme n’en comprenant pas la valeur. Pardonnez-moi la franchise de mon langage : il me semble que vous n’entendez pas votre pauvreté ni la richesse de Dieu. Et de là vient que vous ne prenez pas le présent de Dieu avec l’estime qui lui est due, et que vous ne recevez pas avec amour ce qu’Il vous envoie avec amour. Je crains que si vous marchez par cette voie, le remède ne se change en poison, et que vous ne gagniez pas, là où il est pour vous d’un intérêt suprême de gagner beaucoup. »

1)  Psaumes, 32 : 7 ;

2)  Psaumes, 33 : 5.

 

SUITE

 

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21 novembre 2012 3 21 /11 /novembre /2012 15:52

Dans la seconde lettre, le Père Balthasar s’exprime ainsi :

 

« Medina del Camo, mars 1572.

 

« Je rends grâces à Dieu de ce qu’Il ne vous oublie pas. Celui qui a des yeux pour voir, dit saint Augustin, considère les maladies comme des voyages en poste pour aller à Dieu. Car, lorsque ce Dieu de bonté travaille au bien et à la perfection des âmes, Il les fait vraiment voyager en poste. “Il redresse et Il châtie ceux qu’Il aime : Ego quos amo, arguo, et castigo ” (1). Je ne veux pas vous cacher que la joie que m’a donnée l’intelligence des desseins de Dieu sur vous, loin de diminuer par la blessure dont vous souffrez, n’a fait que croître. Voyez quel genre d’affection je vous porte ! L’Esprit-Saint nous dit : “La douleur de la blessure enlève les maux : Livor vulneris absterget mala ” (2). Entendez, s’il vous plaît, la leçon, et vous verrez quelles délices vous y trouverez : c’est-à-dire douleur au foie, et santé de l’âme. Ce n’est pas acheter cher les biens de l’âme, quand c’est au prix de quelques souffrances du corps. Continuez ce que vous avez si bien commencé, j’entends de renoncer à tout ; c’est la leçon que Dieu vous donne maintenant. Puisque vous avez déjà commencé à chercher Dieu seul et que vous L’avez trouvé, ne Lui donnez point de compagnie ; ce serait Lui faire injure. Pour prévenir cela, Il vous défigure. L’Épouse des Cantiques dit : “Ne me considérez pas ; je n’ai rien qui puisse vous plaire, car le soleil m’a décolorée : Nolite me considerare quod fusca sim, quia decoloravit me sol ”(3). Nous ne devons ni chercher pour Lui une autre compagnie, ni admettre une autre compagnie avec Lui ; le premier serait une fausseté ; le second, un partage du cœur. Ne Lui faites pas l’injure d’admettre à votre table un autre convive que Lui. Dites-Lui de prendre son repos dans votre âme. Que si vous ne comprenez pas comment Il vous accordera cette grâce, demandez-le-Lui à Lui-même ; et si vous vous adressez à Lui avec le respect que vous Lui devez, vous entendrez cette réponse intérieure : Ma fille, laisse-Moi faire ce que Je veux en toi. Et tenez cet accomplissement de la volonté de Dieu en vous comme un plus grand trésor que tout ce que ce même Dieu pourrait vous donner dans le temps et dans l’éternité. Avec cela, Dieu sera contentet vous, vous serz plus riche et plus avancée à son service. Accoutumez-vous à exalter Ses grandeurs dans tout ce qu’Il fait, croyant fermement ce que dit Son serviteur Moïse : “que Ses œuvres sont parfaites, et que toutes Ses voies et Ses jugements sont justes” (4). Puisqu’Il a daigné vous recevoir pour fille, gardez-vous de Le provoquer à la colère ; car Il verrait votre infidélité et Il vous en infligerait le châtiment, ainsi qu’Il l’a fait pour d’autres, selon ces paroles de l’Écriture : “Le Seigneur a vu, et Il a été poussé à la colère, parce que ses fils et ses filles L’ont provoqué : Vidit Dominus, et ad iracundiam concitatus est : quia provocaverunt eum filii sui et filiæ ” (5). Considérez que l’on doit mourir de honte quand on entend cette parole qu’Il prononce ensuite Lui-même : “O fils infidèles : infideles filii ” (6). Je n’ajoute que ces mots : Plus vous ferez de progrès dans le service de Dieu, plus vous en ferez dans mon estime, et l’estime à laquelle vous avez déjà droit n’est pas petite. »

1)  Apocalypse, 3 : 19 ;

2)  Proverbes, 20 : 30 ;

3)  Cantique, 1 : 5 ;

4)  Deutéronome, 32 : 4 ;

5)  Id., verset 19 ;

6)  Id., v. 20.

 

F I N

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3 août 2012 5 03 /08 /août /2012 15:12

 

 

 

Connaissez-vous l’histoire de votre pays ?

 

http://lessakele.over-blog.fr/article-sujet-un-peu-d-histoire-celle-que-l-on-n-enseigne-pas-108430850.html

 

Épisodes peu connus, qui éclairent les motivations actuelles et suscitent certaines inquiétudes pour l'avenir. 

 

Il s'agit là d'un peu d'histoire ... oubliée, mais c'est notre histoire, celle de la France. Plus particulièrement celle du Sud de la France ... Très intéressant. Cela remet un peu les "pendulesà l'heure" pour tous ceux qui auraient oublié ... ou qui ne l'ont jamais su !!! [ou qui ont voulu l’ignorer pour des fins peu honorables, voire pour l’opposer au catholicisme conformément au programme maçonnique et aux objectifs du Talmud !].

 

Utile leçon d'Histoire !!!

 

Les musulmans sont entrés pour la première fois en 714 dans ce qui était la France à l'époque. Ils se sont emparés de Narbonne, qui est devenue leur base pour les 40 années suivantes, et ont pratiqué des razzias méthodiques. Ils ont ravagé le Languedoc de 714 à 725, détruit Nîmes en 725 et ravagé la rive droite du Rhône jusqu'à Sens.

 

En 721, une armée musulmane de 100.000 soldats mit le siège devant Toulouse, défendue par Eudes, le duc d'Aquitaine. Charles Martel envoya des troupes pour aider Eudes. Après six mois de siège, cedernier fit une sortie et écrasa l'armée musulmane qui se replia en désordre sur l'Espagne et perdit 80.000 soldats dans la campagne.

 

On parle peu de cette bataille de Toulouse parce qu'Eudes était mérovingien. Les capétiens étaient en train de devenir rois de France et n'avaient pas envie de reconnaître une victoire mérovingienne.

 

Les musulmans ont conclu alors qu'il était dangereux d'attaquer la France en contournant les Pyrénées par l'est, et ils ont mené leurs nouvelles attaques en passant à l'Ouest des Pyrénées. 15.000 cavaliers musulmans ont pris et détruit Bordeaux, puis les Pays de la Loire, et mis le siège devant Poitiers, pour être finalement arrêtés par Charles Martel et Eudes à vingt kilomètres au nord de Poitiers, en 732.

 

Les musulmans survivants se sont dispersés en petites bandes et ont continué à ravager l'Aquitaine. De nouveaux soldats les rejoignaient de temps en temps pour participer aux pillages. (Ces bandes n'ontfinalement été éliminées qu'en 808, par Charlemagne.)

Les ravages à l'Est ont continué jusqu'à ce qu'en 737 Charles Martel descende au sud avec une armée puissante, et reprenne successivement Avignon, Nîmes, Maguelone, Agde, Béziers et mettent le siège devant Narbonne. Cependant, une attaque des Saxons sur le nord de la France a obligé Charles Martel à quitter la région.

 

En 759 enfin, Pépin le Bref reprit Narbonne et écrasa définitivement les envahisseurs musulmans. Ces derniers se dispersèrent en petites bandes, comme à l'Ouest, et continuèrent à ravager le pays, notamment en déportant les hommes pour en faire des esclaves castrés, et les femmes pour les introduire dans les harems d'Afrique du Nord, où elles étaient utilisées pour engendrer des musulmans.

 

La place forte des bandes se situait à Fraxinetum, l'actuelle Garde Freinet. Une zone d'environ 10.000 kilomètres carrés, dans les Maures, fut totalement dépeuplée. En 972, les bandes musulmanes capturèrent Mayeul, Abbé de Cluny, sur la route du Mont Genèvre. Le retentissement fut immense. Guillaume II Comte de Provence, passa 9 ans à faire une sorte de campagne électorale pour motiver tous les Provençaux, puis, à partir de 983, chassa méthodiquement toutes les bandes musulmanes, petites ou grandes. En 990, les dernières furent détruites. Elles avaient ravagé la France pendant deux siècles.

 

La pression musulmane ne cessa pas pour autant. Elle s'exerça pendant les 250 années suivantes par des razzias effectuées à partir de la mer. Les hommes capturés étaient emmenés dans des camps de castration en Corse, puis déportés dans les bagnes du Dâr al islam, et les femmes d'âge nubile dans les harems. Les repaires des pirates musulmans se trouvaient en Corse, Sardaigne, Sicile, sur les côtes d'Espagne et celles de l'Afrique du Nord.

 

Toulon a été totalement détruite par les musulmans en 1178 et 1197, les populations massacrées ou déportées, la ville laissée déserte. Finalement, les musulmans ayant été expulsés de Corse, Sicile, Sardaigne, du sud de l'Italie et de la partie nord de l'Espagne, lesattaques sur les terres françaises cessèrent mais elles continuèrent sur mer.

 

Ce n'est qu'en 1830 que la France, exaspérée par ces exactions, se décida à frapper le serpent à la tête, et à aller en Algérie détruire définitivement les dernières bases des pirates musulmans. Vous savez ce qu'est devenue ensuite l'Algérie, et l'histoire ne s'est pas figée.

 

Ce qu'il y a de frappant, c'est qu'entre 714, la première entrée, et 1830, l'écrasement définitif des pirates barbaresques, il s'est écoulé plus d'unmillénaire, ce qui montre qu'ils ne renoncent jamais !

Et la prochaine invasion est déjà programmée !....

 

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29 juin 2012 5 29 /06 /juin /2012 20:56

 

Gaxotte (Pierre), de l'Académie française, La Révolution française, Arthème Fayard et Cie, 1928, chap. IV : La crise de l'autorité, page 77 :

 

On connaît la vie de Rousseau. Ancien laquais congédié pour vol, entretenu à seize ans par une maîtresse qui en avait trente et qui partageait ses faveurs entre lui et son jardinier, chassé par M. de Mably, qui l'avait engagé comme précepteur et dont il pillait la cave, amant d'une femme de charge, Thérèse Levasseur, avec qui il vivait chez une autre protectrice, Mme d'Épinay, persécuté imaginaire, à demi fou avant de l'être tout à fait, il est chéri, admiré par toute la haute société."

 

Jean-Jacques Rousseau, Lettre à Dom Deschamp, 12 septembre 1762, Masson, II, 84 :

 

" Vous êtes bon de me tancer sur mes inexactitudes en fait de raisonnement. En êtes-vous à vous apercevoir que je vois très bien certains objets, mais que je ne sais point  comparer, que je suis assez fertile en propositions, sans jamais voir de conséquences [n'est-ce pas là un manque d'intelligence ?] ; qu'ordre et méthode qui sont vos dieux, sont mes furies ; que jamais rien ne s'offre à moi qu'isolé, et qu'au lieu de lier mes idées dans les lettres, j'use d'une charlatanerie de transitions, qui vous en impose tous les premiers, à tous vous autres grands philosophes ? C'est à cause de cela que je me suis mis à vous mépriser, voyant bien que je ne pouvais pas vous atteindre."

 

Jean-Jacques Rousseau, Dialogues, écrits entre 1772 et 1775, et où l'on voit Rousseau juge de Jean-Jacques, Deuxième Dialogue :

 

" Enflammé par la longue contemplation d'un objet, il fait parfois dans sa chambre de fortes et promptes résolutions qu'il oublie ou qu'il abandonne avant d'être arrivé dans la rue. Toute la vigueur de sa volonté s'épuise à résoudre ; et il n'en a plus pour exécuter."

 

ID., ibid. :

 

Jamais homme ne se conduisit moins sur des principes et des règles, et ne suivit plus aveuglément ses penchants. Prudence, raison, précaution, prévoyance, tout cela ne sont pour lui que des mots sans effet. Quand il est tenté, il succombe ; quand il ne l'est pas, il reste dans sa langueur."

 

ID., ibid. :

 

J'ai dit que Jean-Jacques n'était pas vertueux : notre homme ne le serait-il pas non plus ; et comment,faible et subjugué par ses penchants, pourrait-il l'être, n'ayant toujours pour guide que son propre cœur, jamais son devoir ni sa raison ? Comment la vertu, qui n'est que travail et combat, régnerait au sein de la mollesse et des doux loisirs ? Il serait bon, parce que la nature l'aurait fait tel ; Il ferait du bien, parce qu'il lui serait doux d'en faire : mais s'il s'agissait de combattre ses plus chers désirs et de déchirer son cœur pour emplir son devoir, le ferait-il aussi ? J'en doute. La loi de la nature, sa voix du moins, ne s'étend pas jusque-là."

 

ID., ibid. :

 

D'heureuses fictions lui tiennent lieu d'un bonheur réel ; et que dis-je ? lui seul est solidement heureux, puisque les biens terrestres peuvent à chaque instant échapper en mille manières à celui qui croit les tenir ; mais rien ne peut ôter les biens de l'imagination à quiconque sait en jouir ; il les possède sans risque et sans crainte." 

 

ID., Émile, l. IV (Prof. de foi) :

 

" Dans l'état d'abaissement où nous sommes durant cette vie, tous nos premiers penchants sont légitimes."

 

ID, ibid., l, V (Prof. de foi) :

 

" ... les idées générales et abstraites sont la source des plus grandes erreurs des hommes, jamais le jargon de la métaphysique n'a fait découvrir une seule vérité."

 

ID., Lettre à M. de Beaumont :

 

" Les premiers mouvements de la nature sont toujours droits."

 

ID., ibid., Premier Dialogue :

 

Tous les premiers mouvements de la nature sont bons et droits."

 

ID., Nouvelle Héloïse, Vpartie, lettre III :

 

" Il n'y a point d'erreur dans la nature."

 

ID., Discours sur l'origine de l'inégalité, Ire partie :

 

« ... j'ose presque assurer que l'état de réflexion est un état contre nature, et que l'homme qui médite est un animal dépravé [d'où l'on conclut qu'en ne méditant pas l'homme revient à ses origines et retrouve ainsi son état d'animal parfait]. » Quand on sait de source sûre que Jean-Jacques Rousseau était adulé par l'élite politique et mondaine de son temps et qu'il continue même à l'être de nos jours par l'éloge de ses écrits, de son style (a), de sa pensée politique et même philosophique, alors que les écrits de cet homme révèlent manifestement un déséquilibre moral et intellectuel notoire, on est bien obligé de conclure à la mort de l'intelligence de tous ceux et de toutes celles qui nous gouvernent et sont publiquement censés nous donner des leçons, alors qu’ils sont même incapables de nous dire ce qu’est la vérité.]

 

a) Cf. Antoine Albalat, La Formation du Style par l'Assimilation des Auteurs, Librairie Armand Colin, Paris, 1956, p. 11.

 

ID., Deuxième lettre à Sophie, Œuvres et correspondance inédites, éd. Streckeisen-Moulton, 1861 (Masson, II, p. 55) :

 

" ... le raisonnement, loin de nous éclairer, nous aveugle ; il n'élève point notre âme, il l'énerve et corrompt le jugement qu'il devrait perfectionner."

 

ID., IIet IVlettres à Sophie :

 

" Je veux parler à votre cœur, et je n'entreprends pas de discuter avec les philosophes. Ils auraient beau me prouver qu'ils ont raison, je sens qu'ils mentent, et je suis persuadé qu'ils le sentent aussi... Si vous sentez que j'ai raison, je n'en veux pas davantage."

 

ID., IIIlettre à Sophie (cf. également Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes,Ire partie) :

 

En philosophie, substance, âme, corps, éternité, mouvement, liberté, nécessité, contingence, etc., sont autant de mots qu'on est contraint d'employer à chaque instant et que personne n'a jamais conçus..."

 

ID., Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, IIpartie :

 

" L'exemple des sauvages qu'on a presque tous trouvés à ce point semble confirmer que le genre humain était fait pour y rester toujours, que cet état est la véritable jeunesse du monde, et que tous les progrès ultérieurs ont été en apparence autant de pas vers la perfection de l'individu, et en effet vers la décrépitude de l'espèce."

 

Lettre de Voltaire à Rousseau relative au Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, 30 août 1755 :

 

" J'ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain (...). On n'a jamais employé tant d'esprit à vouloir nous rendre bêtes, il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage.[On ne peut pas mieux dire.]

 

À SUIVRE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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29 juin 2012 5 29 /06 /juin /2012 20:53

 

 

J.-J. Rousseau, Du contrat social, l. I, chap. Ier et chap. VI :

 

L'homme est né libre, et partout [sauf solitaire et à l'état sauvage] il est dans les fers."

 

ID., ibid., l. I, chap. VI :

 

" “ Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant.” Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution.

" ... l'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté. Car, premièrement, chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous, et la condition étant égale pour tous, nul n'a intérêt de la rendre onéreuse aux autres.

" Enfin chacun se donnant à tous ne se donne à personne, et comme il n'y a pas un associé sur lequel on n'acquière le même droit qu'on lui cède sur soi, on gagne l'équivalent de tout ce qu'on perd, et plus de force pour conserver ce qu'on a.

 

ID., ibid., l. I, chap. VII :

 

" On voit par cette formule que l'acte d'association renferme un engagement réciproque du public avec les particuliers, et que chaque individu, contractant, pour ainsi dire, avec lui-même, se trouve engagé sous un double rapport ; savoir, comme membre du souverain envers les particuliers, et comme membre de l'État envers le souverain. [Nous avons là un joli tour de passe-passe et le programme d'un homme - ou plutôt d'un sauvage - incapable de maîtriser les inclinations vicieuses de ses sens et par conséquent incapable de raisonner sainement et de voir où son imagination débridée le conduit.]

" [...] Ainsi donc que le pacte social ne soit pas un vain formulaire, il renferme tacitement cet engagement qui seul peut donner de la force aux autres, que quiconque refusera d'obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps : ce qui ne signifie autre chose sinon qu'on le forcera d'être libre [...]."

 

ID., ibid., l. I, chap. VIII :

 

" Ce que l'homme perd par le contrat social, c'est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu'il peut atteindre ; ce qu'il gagne, c'est la liberté civile et la propriété de tout ce qu'il possède."[Rousseau a complètement perdu le sens du réel.]

 

ID., ibid., l. II, chap. III :

 

Il y a souvent bien de la différence entre la volonté de tous et la volonté générale ; celle-ci ne regarde qu'à l'intérêt commun, l'autre regarde à l'intérêt privé, et n'est qu'une somme de volonté particulières [...]. Mais quand il se fait des brigues, des associations partielles [enfin, nous y sommes !] aux dépens de la grande [de la grande association, c'est-à-dire de l'État], la volonté de chacune de ces associations devient générale par rapport à ses membres, et particulière par rapport à l'État [ce que le décret Le Chapelier a fidèlement illustré en supprimant les corporations ou les corps intermédiaires ou les " prétendus intérêts communs "]. [...]

Il importe donc pour avoir bien l'énoncé de la volonté générale qu'il n'y a pas de société [ou association]partielle dans l'État et que chaque citoyen n'opine que d'après lui [comme le sauvage solitaire - et la boucle est ainsi bouclée !]."

 

Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, livre III, chap. IV : De la démocratie :

 

A prendre le terme dans la rigueur de l'acception, il n'a jamais existé de véritable démocratie, et il n'en existera jamais. Il est contre l'ordre naturel que le grand nombre gouverne et que le petit soit gouverné. [...]Ajoutons qu'il n'y a pas de gouvernement si sujet aux guerres civiles et aux agitations intestines que le démocratique ou populaire, parce qu'il n'y en a aucun qui tende si fortement et si continuellement à changer de forme, ni qui demande plus de vigilance et de courage pour être maintenu dans la sienne. [...] S'il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes. [Tiens, tiens! là Rousseau semble avoir repris une certaine lucidité, mais en réalité un tel gouvernement est dans tous les cas contre nature, car gouverner et démocratiser sont deux termes inconciliables. Ce gouvernement ne convient par conséquent à aucune créature. Rousseau est un malheureux et dangereux insensé. Il faut vraiment que le monde soit dans une totale cécité intellectuelle pour ne pas s'en apercevoir.]

 

ID., ibid., livre IV, chap. III : Des élections :

 

" [...] Mais j'ai déjà dit qu'il n'y avait point de véritable démocratie."

 

ID., Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, seconde partie :

 

Ce système odieux [la tyrannie] est bien éloigné d'être même aujourd'hui celui des sages et bons monarques, et surtout des rois de France, comme on peut le voir en divers endroits de leurs édits et en particulier dans le passage suivant d'un écrit célèbre, publié en 1667, au nom et par les ordres de Louis XIV (1) : Qu'on ne dise donc point que le souverain ne soit pas sujet aux lois de son État, puisque la proposition contraire est une vérité du droit des gens que la flatterie a quelquefois attaquée, mais que les bons princes ont toujours défendue comme une divinité tutélaire de leurs États. Combien est-il plus légitime de dire avec le sage Platon que la parfaite félicité d'un royaume est qu'un prince soit obéi de ses sujets, que le prince obéisse à la loi, et que la loi soit droite et toujours dirigée au bien public.[Là aussi. Le lecteur conclura et choisira ce qui lui semble le plus raisonnable.]

 

1) Note de Maurice Jallut in "Propositions pour un nouveau régime", p. 21 :

 

" Il s'agit en réalité du “ Traité des droits de la Reine ”, que Louis XIV fit publier en 1667 pour défendre les droits de son épouse Marie-Thérèse à la succession des Pays-Bas espagnols."

Pour bien préciser sa pensée sur la souveraineté du peuple, J.-J. Rousseau ridiculise même les politiques qui s'imaginent qu'une somme de volontés particulières fait une volonté générale, écrivant dans son “ Contrat Social ” (liv. II, ch. II) :

" [...] ils font du souverain un être fantastique et formé de pièces rapportées ; c'est comme s'ils composaient l'homme de plusieurs corps dont l'un aurait des yeux, l'autre des bras, l'autre des pieds, et rien de plus. Les charlatans du Japon dépècent, dit-on, un enfant aux yeux des spectateurs, puis jetant en l'air tous ses membres l'un après l'autre, ils font retomber l'enfant vivant et tout rassemblé. Tels sont à peu près les tours de gobelets de nos politiques ; après avoir démembré le corps social par un prestige digne de la foire, ils rassemblent les pièces on ne sait comment." [Rousseau apporte de l'eau à notre moulin. D'aucuns concluront à bon droit que cette conception de la souveraineté conduit logiquement au règne du parti unique. Ne voit-on pas qu'en cherchant à obtenir des électeurs le plus grand nombre possible de voix tout en demeurant dans le cadre de la volonté générale, on ne peut que s'en tenir à quelques idées rudimentaires et à des vœux pieux fort séduisants, comme le chant des sirènes (1), sans considérer les intérêts des forces vives de la nation ou sans se prononcer sur des problèmes concrets et particuliers, c'est-à-dire sans jamais aller jusqu'au fond des choses ? Et qui doit ou devra déterminer et régler le bien commun ? Une majorité d'intérêts particuliers ? Là est la question. Et nous n'oublions pas non plus l'influence des groupes de pression et les plans ou les projets élaborés dans l'abstrait par des techniciens accrédités par le Pouvoir ("la chose des partisans") et finalement imposés au peuple. A quoi bon l'E.N.A., l'officine du naturalisme ou du positivisme juridique (cf. Hans Kelsen), si l'on ne voit pas cela ? Les énarques lisent peut-être tous les textes dont ils ont besoin pour leurs études ou leur carrière, mais ils ne semblent pas pour autant discerner le vrai du faux. Outre cela, ils ont été habitués depuis l'école primaire à lire des ouvrages qu'un État d'obédience maçonnique a choisis pour eux afin de les marquer à vie - ce qui, la grâce aidant, ne réussit pas toujours, mais laisse cependant des séquelles. Mais rares sont ceux qui osent sortir des sentiers battus en lisant d'autres ouvrages sérieux ou bien informés susceptibles de les changer du tout au tout. La carrière politique compte-t-elle plus que la vérité ? Savent-ils seulement ce qu'est la vérité ? - Pas plus qu'un ordinateur qui, bien que capable actuellement d'intégrer des systèmes différentiels du second ordre, n'est en réalité qu'une machine sans âme. Le pouvoir et l'argent attirent sans doute davantage nos énarques. Nous ne pouvons par conséquent leur accorder le moindre crédit. Ne nous laissons pas séduire par leurs belles paroles ou le chant des sirènes, car ils sont rompus à la dialectique et savent toujours retomber sur leurs pattes au profit de la Franc-Maçonnerie qui les a façonnés à sa manière dès leurs premières années à l'école laïque, c'est-à-dire à l'école sans Dieu ou sans Vérité.]

 

1) Cf. Homère, L'Odyssée, chant XII.

 

Quelle misère d'élaborer une Constitution basée sur les principes d'un homme sans principes qui se disait "assez fertile en propositions, sans jamais voir de conséquences " et qui s'était permis d'écrire que " les idées générales et abstraites sont la source des plus grandes erreurs des hommes " ! Si le Genevois, le sophiste de la liberté et de l'égalité qui n'a fait que reprendre les petits mystères de Weishaupt, se savait incapable d'abstraire des idées de la réalité, c'est-à-dire d'avoir une activité noétique adéquate pour penser, et de voir les conséquences de ses dogmes ou de ses postulats, tels que le principe de la souveraineté du peuple et la loi de la volonté générale, on se demande bien pourquoi il s'est mis à écrire sur des problèmes qui lui échappaient totalement. En effet, il n'a pas vu qu'en décrétant illimitée la souveraineté du peuple il légitimait frauduleusement et logiquement un pouvoir livré aux caprices de la volonté générale et récusait ainsi l'intangibilité des lois naturelles qui participent de la loi éternelle de Dieu. C'était la porte ouverte à tous les débordements dont les hommes sont capables et même à la justification puis à la légitimation des crimes les plus abominables (par exemple l'avortement). Nous l'avons vu d'abord avec les jacobins puis avec le communisme ou le socialisme et avec le nazisme ou le socialisme national qui tend maintenant à devenir international. Seuls les Papes, surtout jusqu'au Pape Pie XII, avaient vu clair, mais les laïcs catholiques ou chrétiens s'en sont indignement moqués en se laissant progressivement gagner par l'idéologie maçonnique qui ne voit partout que le despotisme ou l'esclavage. Nos travaux le prouvent incontestablement ; et nous en attendons toujours d'un pied ferme la réfutation en bonne et due forme Nous sommes vraiment arrivés à la fin d'un monde dont Dieu seul connaît la suite.

 

Les Constitutions de la France depuis 1789, texte intégral, édition mise à jour, 1995, GF Flammarion, Paris, ch. Ier : La Constitution de 1791, pp. 21-22, 24, 25 :

 

«  [...] Les " physiocrates " et les " économistes " auraient désiré que la Constitution organisât rationnellement l'exploitation des terres, les manufactures et les échanges commerciaux. Jean-Jacques Rousseau [nous y sommes!] souhaitait que la constitution ou " contrat social " assurât le bonheur des citoyens en leur garantissant une égalité, non plus seulement " en droits, mais " en jouissance ", c'est-à-dire par une répartition autoritaire des biens. Les rédacteurs des cahiers avaient lu les " philosophes " ou avaient entendu parler de leurs idées, la plupart prescrivirent aux députés de s'occuper d'abord de rédiger une constitution.

«  [...] La Déclaration de 1789 est donc restée célèbre dans sa rédaction du 26 août. Si d'autres déclarations des droits ont été publiées en 1793 et en 1795, c'est à celle de 1789 que se réfèrent, ainsi qu'on le verra plus loin, les constitutions du 27 octobre 1946 et du 4 octobre 1958 [peut-on être plus clair ?].

" [...] La déclaration française, au contraire, se veut universelle. Elle a subi l'influence des philosophes du XVIIIsiècle, et surtout de Locke [1], de Voltaire, de Rousseau [toujours lui !]. »

 

1) John Locke (1632-1704), philosophe anglais, de l'école nominaliste, c'est-à-dire de l'école pour laquelle l'universel n'est absolument pas dans les idées, sans que rien y réponde dans la réalité ; ce qui détruit purement et simplement la connaissance intellectuelle et fait de la science une fiction ».

 

Henri Collin, docteur en philosophie et en théologie, Manuel de philosophie thomiste 3 vol., tome III : Critériologie, ch. III, Le problème idéaliste, § 2 : L'expérience sensible, art. II : L'expérience externe, n° 489 : L'idéalisme subjectiviste, Librairie P. Téqui, éditeur, Paris, 1950, p. 43 :

 

À SUIVRE

 

 

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